Le Livre d'Argent

Dans le thread de la semaine dernière, j'ai évoqué la notion de « zone habitable », la zone autour d'une étoile où on reçoit juste la bonne quantité de chaleur pour que de l'eau puisse être sous forme liquide. Mais si l'eau liquide est assez indispensable à la vie telle qu'on la connaît, être à la bonne distance de son étoile est loin d'être la seule condition pour qu'une planète soit habitable.

Alors vu qu'on est de nouveau #VendrediVulga, repartons pour un nouveau #Vulgadredi pour tirer cette notion d'habitabilité au clair. Et vu que je re-bosse ce week-end et que donc je suis de repos aujourd'hui, on va bien prendre notre temps et en faire vingt-sept pouets !

Si vous l'avez loupé, le thread de la semaine dernière est là : https://fadrienn.irlnc.org/notice/AwyBqt6c4qOUfKUKjQ

2/27 Pour commencer, pourquoi est-ce que l'eau est si importante ? En premier lieu parce que c'est un solvant assez efficace, on peut dissoudre pas mal de choses dedans. Tellement qu'une bonne partie des liquides de notre quotidien (jus de fruits, lait avec ou sans chocolat, sang, etc.) ne sont techniquement que de l'eau avec pas mal de trucs plus ou moins dissouts dedans (voire de l'eau mélangée à un autre liquide, pour l'alcool, mais plus il y a d'alcool dans l'eau moins c'est bon pour la santé, donc modération, tout ça).

Être dans une solution aqueuse (donc être plongé dans l'eau liquide, quoi) facilite ou simplement rend possible un bon paquet de réactions chimiques, dont en particulier une bonne partie de celles qui caractérisent le vivant. Je l'ai mentionné la dernière fois, une bonne partie des acides aminés qui constituent nos protéines ne peuvent se former que dans l'eau liquide, par exemple.
Photo d'une surface d'eau liquide un peu agitée avec une goutte bien visible au dessus d'elle, qui illustre actuellement la page Wikipédia sur l'état liquide.

3/27 Mais l'eau a aussi d'autres caractéristiques intéressantes. Notamment celle d'être une des très rares substances (la seule à ma connaissance, même, mais ma connaissance n'étant pas absolue, je préfère ne pas être trop catégorique) à être moins dense à l'état solide qu'à l'état liquide. Ce qui fait qu'une étendue d'eau comme un lac peut geler en surface, et rester liquide en profondeur, permettant à la vie qu'elle abrite de résister à des périodes de froid.

La glace forme dans ce cas une sorte de bouclier thermique, isolant ce qui se passe dessous de l'air froid. L'eau au fond du lac a atteint sa densité maximum à 3,98° (ça reste assez chaud pour pas mal de formes de vie), et donc tout ce qui est plus froid descend difficilement, tandis que pour les autres matières la partie qui se solidifie en surface coule et refroidit le reste. Du coup, si vous voyez un lac gelé en surface, vous savez précisément quelle est la température de l'eau dessous.
Photo d'un lac gelé (prise apparemment au Kosovo) sur lequel on voit des ombres se refléter. Une personne est en train de marcher sur la glace au milieu de l'image.

4/27 Si vous avez lu mon thread sur les lunes, une couche de glace protectrice avec de l'eau liquide en dessous, ça vous fait peut-être penser à Europe, le satellite de Jupiter avec un océan d'eau liquide sous la surface gelée (d'ailleurs, je n'avais pas dit ça à ce moment-là, mais Ganymède est peut-être aussi dans ce genre de situation).

Alors, ce n'est pas tout à fait le même phénomène dans ce cas (notamment, c'est plus une question de pression que de température et de densité, l'eau en dessous peut être plus chaude que ça), mais effectivement, une bonne couche de glace peut permettre à l'eau d'exister en profondeur là-bas aussi. Du coup, est-ce qu'il peut y avoir de la vie dessous ? Eh ben ça dépend d'autres conditions, on va en reparler plus bas.

Ah, oui, si vous ne l'avez pas lu, le thread sur les lunes est là, au fait : https://fadrienn.irlnc.org/notice/AwVATkhLR4bOOKEfCa

5/27 Revenons donc à nos histoires de planètes. Pour trouver de l'eau liquide, il ne suffit donc pas qu'il y ait la bonne température : il faut aussi qu'il y ait une surface solide où l'eau peut s'accumuler. Il y a ça sur Terre ou dans Europe, mais on trouvera plus difficilement un océan sur une planète entièrement gazeuse comme le sont Jupiter ou Saturne !

Si l'eau se trouve en surface, il faut aussi une atmosphère suffisamment dense. C'est ce qui fait que Mars, bien qu'étant située à la bordure de la zone habitable de notre soleil, n'est en pratique pas habitable du tout : son atmosphère est tellement fine que l'eau ne peut quasiment pas y rester sous forme liquide, elle est soit gelée, soit à l'état de vapeur, sans position intermédiaire.
Photographie de l'atmosphère de la Terre prise depuis l'ISS, avec un joli coucher (ou lever ? pas facile à dire sur une photo) au milieu. On voit une bande sombre en haut (l'espace) et en bas (la surface solide de la Terre), et entre les deux, une couche colorée. Elle est rouge-orange au niveau du sol, à cause de la présence du Soleil, bleu sombre près de l'espace où elle se raréfie, et entre les deux, bleu ciel.

6/27 Pourtant, les multiples robots que l'on a envoyé pour étudier Mars nous ont permis de constater que ça n'a pas toujours été le cas : on trouve sur la planète rouge des traces d'anciennes rivières, et des roches sédimentaires qui n'ont pu se constituer qu'au fond de mers. Cette planète a donc du avoir l'air beaucoup plus accueillante dans un lointain passé, il y a environ quatre milliards d'année. Que s'est-il passé depuis ?

Eh bien, ça va nous permettre d'identifier un autre ingrédient assez indispensable pour rendre une planète habitable : un champ magnétique. Le noyau de la Terre en génère un, c'est ce qui permet à nos boussoles de nous pointer la direction du nord. Mars, en revanche, plus petite que la Terre, ne dispose pas d'une telle protection, et c'est ce qui l'a progressivement rendue inhabitable.
Combinaisons de photos prise par le rover Opportunity sur Mars, montrant une roche typiquement sédimentaire : on voit assez distinctement les lignes horizontales superposées formées par les dépôts successifs de sédiments au fond d'une mer.

7/27 En effet, notre étoile génère un flux de particules appelé « vent solaire » qui affecte les planètes qui se trouvent autour de lui. Sur Terre, le champ magnétique dévie ces particules, ce qui provoque de magnifiques aurores polaires… et nous protège en même temps. Sur Mars, en revanche, sans rien pour le dévier, ce vent solaire a progressivement balayé l'atmosphère vers l'espace, avec le résultat qu'on connait.

Les autres étoiles fonctionnant sur environ le même modèle que notre Soleil, elles doivent générer également un vent stellaire qui affectent les planètes qui les entourent. Seules celles qui disposent d'un champ magnétique comme le nôtre sont donc susceptibles de conserver une atmosphère sur le long terme. Mais ça, évidemment, c'est quelque chose qu'on ne peut pas détecter, vu la distance qui nous sépare des exoplanètes.
Vue d'artiste de la magnétosphère terrestre. On voit le Soleil d'un côté et la Terre de l'autre, une série de lignes colorées montrant les vents solaires. Ceux-ci sont déviés par notre champ magnétique, qui les redirige vers les pôles (où ils provoquent des aurores) ou les dévie loin de la Terre.

8/27 À l'inverse, il ne faut pas trop d'atmosphère non plus. Vénus, notre autre voisine, bien que faisant quasi-la même taille que la Terre, a une atmosphère cent fois plus dense : c'est une des caractéristiques qui la rendent totalement inhabitable, la pression au niveau du sol étant beaucoup trop élevée (de même que la température, l'effet de serre étant aussi très important).

Mais de manière un peu moins intuitive… il ne faut pas trop d'eau non plus ! L'eau facilite en effet les réactions chimiques quand elle permet aux substances qui sont dissoutes dedans de se rencontrer. Plus il y a d'eau, plus ces éléments chimiques sont dilués, ce qui peut aller jusqu'au point où la rencontre entre deux molécules d'autre chose que d'eau devient statistiquement tellement improbable que les réactions chimiques n'ont plus lieu.
Photo de Vénus prise par la sonde Mariner 10 : son atmosphère étant dense et opaque, on ne voit rien de son sol. En fait, si ne fait que regarder une photo d'elle sans connaître sa taille et sa densité, on peut presque la prendre pour une planète gazeuse (mais, en proportion, bien sûr, elle contient beaucoup plus de roche que de gaz).

9/27 Mais ça va même un peu plus loin que juste « ce serait trop dilué ». Sur Terre, une partie des éléments nécessaires à la vie est essentiellement piégée dans la roche, et l'érosion est pour beaucoup dans ce qui en rend une infime partie disponible pour nous. Si aucune roche ne dépassait à l'air libre, ça n'aurait en grande partie pas pu avoir lieu, et la Terre serait sans doute restée inhabitable.

Une « planète océan », composée principalement d'eau sans rien qui en dépasse, a donc peu de chances d'abriter la vie. D'un autre côté, si c'est théoriquement possible que ça existe, on n'en a encore jamais rencontré (ou en tout cas, on n'a rien détecté qui nous laisse à penser qu'on en a trouvé une). Donc bon, peut-être pas la peine de trop s'en préoccuper.
Vue d'artiste d'une planète-océan. On voit une surface bleue recouverte de nuages blancs, qui ressemble un peu à la Terre… à ceci près qu'aucune île ni aucun continent ne dépasse hors de l'eau.

10/27 Ceci dit, tant qu'on parle de ça, avoir beaucoup trop d'eau peut entraîne une pression beaucoup plus élevée que dans nos océans à nous, ce qui peut aller jusqu'à bloquer toute activité volcanique ! Or, l'activité volcanique est à l'origine du reste de la mise à dispo des composants piégés dans la roche. Et c'est probablement elle aussi qui est à l'origine de la formation d'une bonne partie de l'atmosphère terrestre.

Et donc de là, deux choses. On va se garder l'atmosphère pour la suite, et commencer par parler de l'effet des volcans dans l'eau. Il y sont une source de chaleur et de minéraux, amenant notamment au fond de nos océans au développement de formes de vie chimiosynthétiques, totalement indépendantes des formes de vie utilisant la photosynthèse (directement ou en mangeant des plantes) qu'on retrouve plus proches de la surface ou à l'air libre.
Photo de « fumeurs blancs », une des formes que peuvent prendre les volcans sous-marins de notre planète. On voit le fond de l'océan, et des panaches de fumée qui remontent vers la surface. Ces endroits, qui semblent assez peu accueillants pour nous, sont en fait des zones grouillant de vie.

11/27 C'est la découverte de ces formes de vie au fond de nos océans qui a conduit à imaginer que des lunes comme Europe pourraient être habitées : sous la glace, pas de photosynthèse, mais il y a en revanche très probablement des volcans au fond de cet océan interne, donc il n'est pas impossible que la vie soit apparue là-bas.

Ceci dit, il faut quand même préciser que, si des micro-organismes chimiosynthétiques sont à la base de tout un écosystème près de nos volcans sous-marins à nous, la plupart des autres bestioles qui y vivent sont de proches cousines de celles qu'on trouve en surface. Pas mal de ces espèces ont eu besoin de côtoyer des espèces photosynthétiques au cours de leur évolution. Donc, à voir ce qui pourrait se développer en restant exclusivement au fond.
Photo du fond des océans, à proximité d'un volcan sous-marin, prise par un sous-marin de la NOAA. On reconnaît les formes familières de plusieurs crustacés marin vivant proche de la surface (crevettes, araignées de mer), montrant qu'il s'agit d'espèces proches de celles qui vivent comme nous de la photosynthèse.

12/27 Un autre ennui avec le fait d'être piégé sous une surface gelée, c'est que… c'est indétectable de loin ! Même s'il y avait dans Europe des trucs ressemblant à nos animaux marins, il faudrait aller plonger dans cet océan pour pouvoir s'en rendre compte, rien ne remonte à la surface. Si c'est potentiellement envisageable (même si très compliqué) d'aller voir ça de près pour Europe, c'est simplement totalement hors de portée pour une exoplanète.

Chercher des traces de vie ne peut donc se faire que sur des planètes où l'océan est à l'air libre, pour qu'on puisse avoir quelque chose à identifier. Pour les autres, on peut rêver, mais on ne pourra jamais confirmer ni infirmer, donc c'est quand même un tantinet moins intéressant.
Vue de la surface d'Europe prise par la sonde Galileo (on ne voit que la surface, comme une vue aérienne sur Terre). Deux couleurs se distinguent nettement : le blanc de la glace, et des zones un peu plus brunes où elle est mélangée à du sel. Aucune ouverture ne laisse deviner quoi que ce soit de ce qu'il se passe là-dessous.

13/27 Revenons donc à cet atmosphère. À la base, celui de la Terre a donc été en grande partie formé par le dégazage qui se produit dans les volcans. Ça ne devait pas être franchement respirable pour nous ! L'atmosphère qu'on connaît aujourd'hui, j'en ai parlé la semaine dernière en réponse à une question du HuitAns de @parleur, est en fait une conséquence de l'apparition de la vie.

En effet, sur la Terre primitive, l'oxygène disponible était plutôt rare, et globalement peu apprécié des premiers êtres vivants, qui respiraient plutôt des sulfates. Puis, il y a un peu plus de deux milliards d'année, le rejet massif de l'oxygène par ces organismes a progressivement conduit à le faire augmenter en proportion dans notre atmosphère.

Deux liens Wikipédia pour creuser le sujet : https://fr.wikipedia.org/wiki/Micro-organisme_sulfato-r%C3%A9ducteur et https://fr.wikipedia.org/wiki/Grande_Oxydation

14/27 Mais donc pour résumer rapidement, cela a eu entre autres comme conséquence de créer des conditions un peu plus hostile à la vie des organismes respirant du sulfate, et beaucoup plus favorable à celle de ceux respirant de l'oxygène, qui étaient jusque là très peu nombreux. La sélection naturelle a ensuit fait le boulot, et c'est de là que nous venons.

Cet exemple nous montre qu'il peut y avoir une différence assez importante entre ce qui est habitable pour nous, et ce qui est favorable à l'apparition de la vie. Les formes de vie sont en constante interaction avec leur environnement, et peuvent grandement le modifier, pas toujours à leur avantage (la vie en général survivra au dérèglement climatique actuel, mais pas forcément notre vie à nous).
Image d'un ours polaire en train de dormir sur un morceau d'iceberg dérivant sur la mer. La fonte des glaces, conséquence du dérèglement climatique que nous provoquons, met gravement en danger pas mal d'espèces vivantes en détruisant leur habitat naturel.

15/27 Une autre conséquence du changement d'oxygène dans notre atmosphère, c'est que ça a considérablement refroidi le climat de l'époque, conduisant à une glaciation qui a duré trois cent millions d'années. Heureusement, la vie a pu continuer à se développer dans les océans, sous la couche de glace, et la Terre a fini par retrouver un climat plus favorable, probablement en partie par les volcans.

En effet, les conditions climatiques sont évidemment assez importantes pour les différentes formes de vies, et l'activité volcanique, en raison de ce qu'elle émet dans l'atmosphère, joue un grand rôle de stabilisateur sur le long terme. C'est une autre raison qui fait qu'une planète a sans doute besoin de volcans pour être habitable, et donc qu'une quantité d'eau trop importante (ou de quoi que ce soit d'autre qui empêcherait leur existence) serait problématique.
Photo aérienne d'une éruption du Bárðarbunga en 2014. On y voit plusieurs projections de lave, mais surtout des panaches de fumée montant vers le ciel, témoignant du fait que ces éruptions volcaniques libèrent dans l'atmosphère des gaz autrefois piégés sous nos pieds.

16/27 Bref, si on veut trouver une exoplanète habitée, il n'est donc pas nécessaire de la chercher avec de l'oxygène dans son atmosphère. Mais si on en trouve une avec de une atmosphère bien oxygénée, ça peut donc potentiellement indiquer qu'il y a de la vie là-bas pour avoir fait le boulot ! (Juste de l'oxygène ne suffirait pas comme preuve, ceci dit).

Au fait, comment ferait-on pour détecter ça à distance, alors qu'on ne peut pas le faire dans le cas d'une surface gelée sans atmosphère ? Grâce à la spectroscopie : si on arrive à capter de la lumière qui a traversé cette atmosphère, il va y manquer certaines longueurs d'ondes, caractéristiques des éléments qu'elle a rencontré sur son passage.

Mais ça, j'en parlais dans ma vidéo sur les couleurs, donc je vous y renvoie : https://skeptikon.fr/w/vtpYiPna5LREQPL6Pz5gJn

17/27 Du coup, qu'est-ce qu'on détecte, jusque là ? Ben, surtout des planètes beaucoup plus lourdes que la nôtre, que ce soient des géantes gazeuses comme Jupiter ou des « super-Terre », des planètes rocheuses comme la nôtre mais beaucoup plus massives. C'est logique vue la distance qui nous sépare des autres étoiles, qui nous empêche de voir les objets trop petits (ou le fait qu'on les détecte en observant leurs effets sur les mouvements de leurs étoiles, effets qui sont d'autant plus forts que les planètes sont massives).

Mais c'est un peu ennuyeux parce que, pour autant qu'on sache, il est quand même fortement probable que la gravité joue aussi un rôle pour l'apparition de la vie, et qu'une planète trop lourde n'est probablement pas un bon candidat non plus.
Comparaison des tailles (la masse seule étant plus difficile à représenter en image) entre la Terre et quatre exoplanètes découvertes. Évidemment, si l'image de la Terre est une vraie photo, celles des exoplanètes sont des vues d'artiste (on voit d'ailleurs un reflet sous elles comme si elles étaient des billes posées sur une surface, ce qui me semble être un choix douteux, mais bon). Les exoplanètes représentées sont Kepler-22b, Kepler-69c, Kepler-62e et Kepler-62f. Les trois dernières font entre une fois et demie et deux fois la taille de la Terre, la première est plutôt trois fois plus grosse que notre planète.

18/27 Voyons ça en commençant de l'autre côté : il faut au moins un minimum de gravité pour que la vie puisse se développer. Ça joue déjà au niveau biologique : la gravité, qui fait que certaines cellules vont se trouver « vers le haut » et d'autres « vers le bas », est un des éléments qui joue dans la première spécialisation de nos cellules, à partir d'un embryon où elles sont toutes indifférenciées. Pas dit qu'on arrive à se reproduire dans l'espace !

Mais ça joue plus généralement au niveau des autres facteurs déjà vus plus haut : une petite planète comme Mars n'a pas d'activité volcanique continue (elle a bien eu des volcans dans son histoire, mais surtout de points chauds, pas de tectonique des plaques), et sa faible pesanteur a probablement aussi joué un rôle dans la perte de son atmosphère, vu qu'elle le retenait moins fortement que la Terre.
Photo d'Olympus Mons prise par la sonde Viking. Olympus Mons est un volcan éteint, le plus grand de Mars, et en fait la plus grande montagne du système solaire, puisqu'il est haut comme trois fois notre Mont Everest, et large comme la France métropolitaine. Il résulte vraisemblablement d'un point chaud, et, s'il a pu grandir autant, c'est parce que Mars n'a pas d'activité tectonique (sur Terre, le déplacement des plaques fait que les points chauds font naître plusieurs volcans différents au fil du temps, ce qui donne des archipels volcaniques comme les îles Canaries).
replies
2
announces
1
likes
0

19/27 Et qu'en est-il des planètes plus lourdes ? C'est plus compliqué, car nous n'avons pas d'exemples proches pour nous faire une idée de ce à quoi elles ressemblent (dans le système solaire, la Terre est la plus grosse de toutes les planètes rocheuses). La forte densité qui règne sur ces planètes peut toutefois gêner à plusieurs niveaux.

D'une part, le champ magnétique terrestre est produit par l'activité du noyau de notre planète, partiellement liquide. Plus la pression est élevée, plus il faut chauffer pour que la matière passe à l'état liquide, et donc une planète de composition similaire à la nôtre, mais beaucoup plus dense, aurait sans doute un noyau beaucoup moins actif, et pas de champ magnétique.
Vue en coupe de la Terre, représentant ses différentes paties (croûte, manteau, noyau). Si le noyau interne de notre planète est solide, le noyau externe, constitué surtout de fer et de nickel, est en partie liquide, et ce sont les mouvements de convection qui y ont lieu qui génèrent le champ magnétique terrestre.

20/27 D'autre part, l'eau étant bien plus légère que la roche ou le métal, une planète très massive a aussi peu de chances de contenir une proportion suffisante d'eau pour que celle-ci puisse jouer son rôle. La Terre, on l'a vu la semaine dernière, s'est sans doute d'abord formée quasiment sans eau, puis celle-ci a été amenée par les comètes qui nous sont tombées dessus. Plus la planète est massive, plus important doit être ce bombardement pour amener de l'eau en quantité suffisante.

Une pesanteur plus importante rend également plus difficile de se mouvoir, ce qui évidemment gène un peu le développement d'une bonne partie de la vie telle qu'on la connaît. Ce serait déjà très chouette de trouver une planète avec des trucs qui ressemblent à nos bactéries, mais on préférerait des animaux capables de sautiller, non ?
Encore une photo de comète, parce que je n'en avais pas assez mis la semaine dernière. Celle-ci présente C2023 A3 vue depuis l'ISS, on peut voir la surface terrestre, puis l'atmosphère, puis la comète sur fond de ciel étoilé. Même si la perspective joue (la comète est loin derrière, et pas en train de foncer vers la Terre), on remarque quand même qu'une seule comète paraît quand même sacrément petite par rapport à la taille d'une planète comme la Terre ; il faudrait un nombre impressionnant de collisions pour former un océan sur une super-Terre.

21/27 On voit donc que c'est une question d'équilibre. Il faut être proche de son étoile, mais pas trop ; avoir assez d'eau, mais pas trop ; avoir une masse suffisante, mais pas trop ; etc. La difficulté, c'est qu'on n'a qu'un seul exemple de planète habitée sous la main, donc difficile d'extrapoler à partir de ça quelles sont les limites exactes !

On pense aujourd'hui qu'une partie des super-Terres pourraient être des candidates potentielles à l'apparition de la vie, mais on ne sait pas vraiment à partir de combien de fois la masse de notre planète ça devient « trop ». Donc, dans le doute, on continue à la fois d'étudier les planètes qu'on a découvertes, et de rendre nos instruments plus précis pour trouver des planètes qui ressemblent davantage à la nôtre.
Comparaison de tailles. On voit à gauche une photo de la Terre, à droite une photo de Neptune (dont le diamètre fait quatre fois celui de notre planète), et entre les deux, une boule blanche de taille intermédiaire. Il s'agit de la taille estimée de l'exoplanète Gliese 1214 b, surnommée Enaiposha. Il y a en effet toujours une certaine incertitude entre les super-Terres, planètes rocheuses plus massives que la nôtre, et les mini-Neptunes, planètes gazeuses moins massives que celles de notre système solaire.

22/27 Mais il ne suffit pas que la vie puisse apparaître : encore faut-il lui laisser le temps de se développer. Sur Terre, la vie est apparemment apparue quelques centaines de millions d'années seulement après la formation de la planète, mais la grande oxydation (l'apport massif d'oxygène dans l'atmosphère) n'est survenu qu'un peu plus d'un milliard et demi d'années plus tard. Et ce n'est qu'après encore un autre milliard d'années que la vie se diversifie assez pour qu'on y retrouve les grandes lignées animales et végétales actuelles.

L'évolution est en effet quelque chose qui se déroule sur un temps très long, et là encore, nous ne connaissons pas suffisamment, à partir des seules traces fossiles qu'on retrouve sur Terre, les conditions exactes qui sont requises pour que la vie prenne des formes plus ou moins familières pour nous (même si elles resteront probablement très exotiques).
Stromatolithes fossilisés, datant d'il y a 3,4 milliards d'années. Il s'agit d'une des plus anciennes traces de vie découvertes sur Terre. On voit surtout de la roche sur laquelle se dessinent des formes étranges.

23/27 Ça nous dit quand même quelque chose : pour que la vie se développe au delà de formes microscopiques, il faut sans doute au moins plusieurs centaines de millions d'années… Et donc ce n'est pas vraiment la peine d'en chercher autour de toutes les étoiles. En effet, plus une étoile est massive, plus sa longévité va être courte.

Une étoile comme notre Soleil va avoir une durée de vie totale d'environ une dizaine de milliards d'années. Les naines rouges, les étoiles les plus petites, peuvent parfois atteindre la centaine de milliards. Mais les géantes bleues, elles, ont une durée de vie inférieure (parfois de beaucoup) au milliard d'années. Même si la vie pourrait apparaître sur une planète tournant autour d'une telle étoile, elle n'aurait donc probablement pas le temps de s'y développer suffisamment.
Comparaison de taille entre quatre étoiles : une naine rouge de 0,08 masses solaires, une naine jaune semblable à notre Soleil, une super-géante bleue de 150 masses solaires, et, en bas et beaucoup plus grosse, une géante rouge, résultat de l'emballement d'une étoile inférieure à cinq masses solaires à la fin de sa vie. Si cette dernière est donc à classer à part, les trois autres sont d'autant plus lumineuses qu'elles sont lourdes.

24/27 Il faut sans doute aussi que les conditions de vie soient suffisamment stables. Si une planète a, autour de son étoile, une orbite suffisamment elliptique pour que les températures varient énormément à sa surface, ça risque de ne pas aider (surtout si on sort de la zone habitable d'un côté ou de l'autre).

Mais même en restant à une distance raisonnable de l'étoile en permanence, il faut que celle étoile ait un rythme de vie plutôt calme. C'est le cas de notre Soleil, mais d'autres étoiles ont par exemple une luminosité qui varie beaucoup avec le temps. Ou bien connaissent régulièrement des éruptions stellaires assez importantes, suffisantes pour grandement affecter les planètes qui les entourent. Peu de chances que la vie se développe assez à proximité.
Image de notre Soleil (prise depuis la station spatiale Skylab en 1973) montrant une des plus grandes éruptions solaires jamais enregistrée. À vue de nez, vue la taille du Soleil sur la photo (et sachant que son diamètre fait à peu près cent fois celui de la Terre), cette éruption est plus grande que la distance Terre-Lune. Ça reste trop petit pour nous atteindre, mais certaines étoiles ont des éruptions encore beaucoup plus imposantes.

25/27 On peut d'ailleurs noter que les caractéristiques de l'étoile peuvent aussi changer pas mal les formes que prendra vraisemblablement la vie là-bas. Par exemple, sur Terre, les plantes sont principalement vertes, parce que c'est cette couleur leur permet de capter le plus efficacement la lumière émise par notre Soleil. Une étoile d'une température différente provoquera sans doute une photosynthèse basée sur d'autres pigments, et donc des plantes d'une autre couleur.

La vie telle qu'on la connaît est donc très spécifique aux conditions dans laquelle elle s'est développée (même si elle a pu en affecter certaines, comme notre atmosphère). S'il est évidemment assez vain de ne chercher que des planètes ayant rigoureusement les mêmes conditions que nous, il reste fondamentalement très difficile de déterminer quels degrés de libertés on peut s'accorder avec tous ces paramètres.
Vue au microscope de cellules végétales, montrant clairement la chlorophylle, le pigment vert qui intervient dans la photosynthèse. Cette couleur est un compromis adapté à la luminosité de notre étoile, mais il existe sur Terre des pigments d'une autre couleur permettant également la photosynthèse. Autour d'une étoile de température différente de la nôtre, la chlorophylle ne serait pas forcément celui majoritairement utilisé.

@elzen "Jamais" c'est pessimiste, non ?
On a encore 4 milliards d'années avant que le soleil ne meure, et même si j'ai bien suivi au moins 500 millions d'années avant qu'il ne commence à faire des méchancetés à notre pauvre petite mère la terre...
Ça laisse du temps pour essayer, il me semble ?
La voile solaire promue par Tyson pour aller sur Proxima Centauri en quelques décennies consomme trop d'énergie, mais en quelques siècles ou millénaires ça doit pouvoir se faire ?

26/27 Pour résumer, on peut dire qu'il nous faut vraisemblablement :

– Une planète principalement constituée de roche, en orbite stable dans la zone habitable d'une étoile calme,

– Avec une masse lui permettant de générer un champ magnétique et d'avoir une activité volcanique (probablement une tectonique des plaques),

– Et une atmosphère d'une densité suffisante pour que l'eau puisse rester liquide (qui peut être en partie produite par ces volcans),

– Que cette eau soit bien présente, avec d'autres éléments chimiques (les comètes peuvent amener ça en cours de route),

– Mais probablement qu'il reste tout de même des terres émergées.
Vue d'artiste de l'exoplanète TOI 700 e, une des plus sérieuses candidates dans la recherche de vie extraterrestre. Sa taille est très légèrement inférieure à celle de la Terre, et elle se situe dans la zone habitable d'une étoile naine rouge particulièrement calme. L'image nous la présente sur fond de ciel étoilée (avec une des autres exoplanètes du système dans le lointain). Elle ressemble un peu à la Terre vue de loin avec des nuages blancs et des reflets bleus, mais l'artiste a représenté une masse continentale marron occupant la quasi-totalité de la face visible.

27/27 Ça fait pas mal de conditions. Mais vu le nombre d'étoiles qu'il y a autour de nous, la plupart d'entre elles ayant des planètes autour d'elles, ça ne représente pas un obstacle si énorme que ça. Tiens, d'ailleurs, on re-causera un peu de ce point dans le thread de la semaine prochaine. En attendant, on va en rester là pour cette fois, merci d'avoir lu ^^

(Et n'hésitez pas à faire signe d'une façon ou d'une autre si ça vous plaît et que vous voulez que je continue ces threads, c'est toujours plus sympa de savoir qu'il y a des gens qui lisent. D'ailleurs, merci à @AlainPortay qui a vaillamment repouété tous les messages de ce thread à mesure que le les publiais !)
Extrait d'une B.D. de Gee où on voit un personnage avec une cravate, des lunettes noires et un flingue disant « Bonjour. Mon nom est Hanger. Cliff Hanger. Vous ne m'aviez pas vu venir ? C'est normal, c'est un métier, hein… »

@elzen merci à toi pour ce thread passionnant.

@lienrag Disons, très probablement jamais à l'échelle de notre génération. Peut-être que nos descendants trouveront un moyen d'atteindre une fraction non-négligeable de la vitesse de la lumière pour envoyer des sondes plus loin, mais, pour l'instant, les sondes Pioneers parties il y a plus de cinquante ans sont encore à moins d'une journée-lumière d'ici, et Proxima Centauri b est à quatre années lumières… on n'est pas près de la voir de près.

Mais mon point est surtout de dire que les planètes avec une atmosphère et de l'eau liquide en surface, on a moyen de capter quelques infos de loin ; les planètes (ou lunes, ce qui est encore plus dur à détecter) avec un océan sous une couche de glace sans atmosphère, il faut forcément aller creuser dedans. Donc pour la recherche de vie extraterrestre, on peut assez vraisemblablement oublier les secondes (comme j'en parlais dans le thread sur les microbes extraterrestres, en pratique on évite déjà d'aller se poser sur Europe pour ne pas risquer de la contaminer par de la vie terrestre et de provoquer ainsi la disparition de l'éventuelle vie locale.)

@elzen

Ben justement, je comprends pas comment on peut penser "à l'échelle de notre génération" quand on travaille dans la cosmologie ?

Je me souviens du géologue qui nous expliquait que la rift valley deviendrait une mer dans assez peu de temps, il savait bien qu'il ne serait plus là pour le voir mais ça l'empêchait pas de le prévoir...

@lienrag Je pense que ça dépend beaucoup de ce dont on parle. C'est cool de savoir que Phobos va, d'ici une trentaine de millions d'années, finir par se désagréger et former un anneau autour de Mars, ou que la galaxie d'Andromède fusionnera avec la Voie Lactée dans environ quatre milliards d'années, parce que ça se produira de toute façon sans qu'on soit là pour l'observer, et que c'est un test intéressant pour voir comment nos théories actuelles gèrent ce genre de cas.

Spéculer sur les moyens de transports interstellaires que nos descendants mettront peut-être au point un jour, c'est beaucoup plus hasardeux, et ça n'a en pratique pas grand chose à voir avec l'astrophysique. En l'état et à moins d'une percée technologique difficile à prévoir (et peu probable d'après ce qu'on sait), on n'a pas moyen d'aller voir, donc autant se consacrer à des choses sur lesquels on a concrètement moyen de travailler.

Enfin, c'est mon avis. Évidemment, tu trouveras des gens pour spéculer quand même, mais globalement, les planètes sans atmosphère, y a pas grand chose de plus à dire dans ce cas que « là, il y a peut-être de la vie, peut-être pas, tant qu'on ne peut pas y aller on n'en saura pas plus. »

@elzen

De ce que je comprends, ce n'est pas vrai qu'on a pas moyen d'aller voir.
Cela prendra (selon la destination) quelques milliers à millions d'années avec les technologies actuelles, mais on peut quand même espérer qu'on aura un jour des dirigeants qui cesseront de ne réfléchir qu'à court terme.

@lienrag Pour le coup, ce n'est pas une question de réfléchir à court terme ou pas. Si on prévoyait actuellement d'envoyer une sonde vers une exoplanète, le temps qu'elle arrive là-bas, l'espèce humaine, si elle existe encore, parlera des langues et utilisera des technos totalement différentes de ce qu'on a actuellement : ils n'écouteront vraisemblablement plus ou ne seront pas en mesure de décoder le message.

Penser à nos descendants sur des durées de milliers/millions d'années, c'est intéressant quand on parle de l'enfouissement des déchets nucléaires, qui seront toujours actifs et donc pour lesquels il faut prévoir une forme de prévention, et c'est un casse-tête justement parce qu'on sait que c'est un temps trop long à notre échelle. Pour ce qui est de l'exploration spatiale, en l'état, c'est une perte de temps pure et simple.

Pour travailler scientifiquement, on a besoin de choses vérifiables. Les planètes dont on peut capter des informations à distance, parce qu'elles ont une atmosphère par exemple, ça a du sens de réfléchir à des instruments pour essayer d'en apprendre davantage ; celles dont l'hypothétique vie n'émet absolument aucune trace vers l'espace, ce n'est juste pas la peine de s'en préoccuper, vu que, les concernant, on ne peut rien faire d'autre que spéculer.

Maintenant, j'ai bien compris que cette réponse ne te satisfait pas, mais tu sais, ce n'est pas en venant continuer d'insister ici que ça va changer quoi que ce soit ^^"

@elzen

C'est un argument que je lis souvent, et qui m'a toujours paru totalement lunaire : on sait bien lire encore aujourd'hui le commentaire du compte ebay d'Ea-Nasir ! Et on continue à citer Aristote.
Qu'ils ne se poseront pas forcément les mêmes questions que nous, c'est assez probable.
Qu'une sonde polyvalente arrivée sur place ne leur soit d'aucune utilité alors qu'ils n'ont rien d'autre de disponible, c'est bien moins évident.

@elzen
Il n'y a pas aussi des conditions d'orbite propice au "bombardement" par des comètes ? Ou ce sont les même statistiques partout.

@turb Alors, comme dit dans le thread de la semaine dernière, les comètes sont des objets beaucoup trop légers pour être détectés hors de conditions exceptionnelles, donc c'est difficile d'avoir de certitudes pour ce qui concerne d'autres systèmes stellaires.

A priori, tous les systèmes se sont formés à partir d'un disque d'accrétion autour de leur étoile, ce qui donne une configuration très très très générale similaire ; mais ensuite la tronche que ça prend dépend de la façon dont les planètes se forment et des jeux de billard cosmique qui leur permettent ou pas de rester en place.

Chez nous, il semble que Jupiter se soit formée en premier et ait ensuite fortement influencé le reste du système. Ça a probablement joué un rôle. Mais difficile de faire la part des choses entre ce qui relève de l'histoire spécifique d'un système et ce qui est généralisable.

Si tu veux creuser la question, tu peux peut-être commencer par là : https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_bombardement_tardif

@elzen
Wow ça a l'air compliqué... Merci !

@elzen
Les unicellulaires n'ont pas besoin de spécialisation, et donc pas besoin de gravité ?

@bikepunk Hm, je préfère ne pas m'engager ^^

J'ai cité l'exemple du développement embryonaire parce que je me souviens avoir déjà lu de la doc' là-dessus, donc je sais que dans ce cas-là, la gravité joue un rôle, mais je ne suis clairement pas suffisamment spécialiste pour dire dans quels autres cas elle en joue ou pas.

Ceci dit, vu l'état de la station Mir (où les protocoles de stérilisation étaient moins au point qu'à bord de l'ISS) à la fin de sa carrière, je pense qu'on ne prend pas trop de risque à affirmer qu'au moins certaines bactéries ont réussi à pas trop mal s'en sortir en impesanteur.

@elzen

Merci pour ce fil. J'ai appris des choses sans me casser la tête <3