Le Livre d'Argent

Tiens, @defakator et @mmontarges, j'ai cru voir qu'en découvrant The Dig, vous avez un peu tiqué sur la remarque de Brink selon laquelle d'éventuels microbes extraterrestres « ne peuvent pas contaminer notre structure cellulaire » et donc ne présenteraient aucun danger pour nous.

C'est vrai que ça peut ressembler à une excuse facile des développeurs pour pouvoir virer les combis spatiales, mais pour le coup, ce point-là est quelque chose de plutôt crédible, et ça me semble assez intéressant de détailler un peu ça, donc, douze pouets.
Capture d'écran du jeu The Dig, on y voit le personnage principal, Boston Low, retirer le casque de sa combinaison spatiale sur une exoplanète.

2/12 Les virus et bactéries qui sont susceptibles de nous rendre malade sont des parasites, et les parasites ont besoin d'être assez spécialisés pour pouvoir infecter leur hôte.

À titre d'exemple, la rafflésie, plante connue pour avoir la fleur la plus grande du monde, et aussi pour puer la chair en décomposition, est un parasite qui infecte les vignes du genre tetrastigma. C'est la seule famille de plante que les rafflésies peuvent utiliser comme hôte, ce qui rend leur culture (aux rafflésie, hein, pas au tétrastigmas) assez délicate et fait que certaines espèces de rafflésie sont aujourd'hui menacées d'extinction.
Photo d'une fleur de rafflésie. Heureusement, les images ne transmettent pas l'odeur.

3/12 Les virus en particulier doivent, pour se reproduire, utiliser notre matériel cellulaire. C'est d'ailleurs ce qui fait que classer ou pas les virus parmi les êtres vivants fait débat (la caractéristique commune à l'ensemble du vivant connu à part eux étant la capacité des cellules à s'auto-répliquer).

Pour cela, il est nécessaire de commencer par entrer dans la cellule, ce qui demande déjà une certaine spécialisation (même au sein d'un même individu, les virus ne vont pas attaquer toutes les cellules : par exemple, le VIH ne s'attaque qu'à nos globules blancs), puis d'interagir avec les mécanismes qui servent à répliquer notre ADN ou notre ARN.
Capture d'écran du dessin animé Il était une fois la vie, où on voit un groupe de virus attaquer une cellule.

4/12 Des formes de vies extraterrestres seraient-elles capables de ce genre de choses ? Ce serait assez hautement improbable : déjà, il faudrait pour ça que les microbes aliens aient quelque chose qui ressemble à des cellules avec de l'ADN ou de l'ARN dedans. Toute la vie qu'on connaît sur Terre est comme ça, mais rien n'indique a priori qu'une vie totalement déconnectée de la nôtre ne pourrait pas avoir une structure complètement différente de la nôtre.

On ne sait pas encore comment la vie apparaît, mais on sait que la nôtre est le fruit d'une certaine histoire, et d'une adaptation aux matériaux à disposition chez nous, et les deux seraient probablement assez différents ailleurs.
Schéma de la structure d'une cellule eucaryote, où on voit notamment le noyau contenant l'ADN.

5/12 Admettons pour l'exercice que la vie se développe sur une autre planète de la même manière que la nôtre, donc avec de l'ADN, de l'ARN et des cellules assez semblables à celles de la vie terrestre. Est-ce que ça suffirait à les rendre capable de nous infecter ? Vraisemblablement pas.

Parce que nos microbes et nous avons été le fruit d'une co-évolution : s'ils peuvent nous infecter, c'est parce qu'on partage une histoire en commun, dans laquelle ils nous ont fréquenté assez pour être au moins aussi efficace à ce jeu que nous ne le sommes à les dégager de là. Nos globules blancs ayant pour fonction de base de dégager tout ce qui ne fait pas partie de l'organisme, que ce soit vivant ou pas, et on tombe malade quand des microbes arrivent à se reproduire à l'intérieur de nous plus vite que nous ne les dégageons.
Capture d'écran du dessin animé Il était une fois la vie, où on voit des macrophages, représentés comme des bennes à ordure.

6/12 Un exemple trompeur pouvant venir en tête ici (je crois qu'un de vous deux l'a évoqué à un moment) est celui de la « découverte des Amériques ». C'est vrai que, de notre point de vue macro, c'était sans doute ce qui se rapprochait le plus, dans notre expérience, de se rendre sur une exoplanète habitée.

Mais au niveau biologique, on restait sur la même planète avec des êtres vivants ayant une très grande partie de leur histoire évolutive commune avec la nôtre, ce qui n'a juste rien à voir. Une histoire évolutive d'ailleurs tellement commune qu'on trouvait des représentants de la même espèce homo sapiens des deux côtés de l'océan.
Peinture montrant Christophe Colomb prendre possession des Amériques en 1492, il pose un genou à terre et lève sa bannière, entouré de quelques compagnons de voyages, avec ses bateaux à l'arrière-plan.

7/12 D'ailleurs, à ce sujet, c'est intéressant de noter que les transmissions de maladies qui ont eu lieu étaient dans un sens beaucoup plus que dans l'autre : la variole et quelques autres ont décimé les populations amérindiennes pendant que les colons s'en sortaient plutôt pas mal. Pourquoi ?

Parce que si des deux côtés nous avions des cellules d'homo sapiens qui peuvent être infectées de la même manière, les colons trimballaient beaucoup plus de microbes avec eux que les natifs n'en avaient à partager en retour. Et ça c'est à cause de l'élevage.
Photo d'une balance faite avec des pierres, et déséquilibrée : il y a beaucoup plus de pierres d'un côté que de l'autre, ce qui la fait pencher.

8/12 Les microbes, comme tous les êtres vivant, évoluent en fonction de leur milieu. S'ils sont fréquemment en contact avec une espèce qu'ils ne peuvent pas infecter à la base, il est possible qu'une mutation finisse par leur apporter les moyens de s'en prendre à elle. Comme, en Europe, on a développé un élevage assez intensif depuis la préhistoire, des microbes attaquant nos animaux ont eu plein d'occasions de finir par nous attaquer nous.

De l'autre côté de l'océan, l'élevage était pratiqué de manière beaucoup moins intense, donc les microbes avaient beaucoup moins de ponts pour passer d'une espèce à l'autre. Résultat, ils avaient beaucoup moins d'infections à nous transmettre que nous n'en avions à leur offrir en échange.

D'ailleurs, à ce sujet : https://lejournal.cnrs.fr/articles/quand-lhomme-favorise-les-epidemies

9/12 Évidemment, à force de fréquenter ces microbes, nous on avait des défenses immunitaires plutôt efficace contre, tandis qu'eux n'en avaient pas. Donc les microbes qui étaient habitués à lutter chez les européens ont trouvé plutôt facile de s'en prendre aux amérindiens, au moins dans un premier temps, le temps qu'eux aussi se construisent des réponses immunitaires.

Mais ça, c'est donc le fruit d'une co-évolution : ça fonctionne comme ça précisément parce que ce n'est pas une vie alien qui s'est développée de façon totalement déconnectée de la nôtre, mais des parasites qui se sont spécialisés pour attaquer des êtres humains.
Capture extraite de ma vidéo sur le mécanisme de l'évolution, on y voit un (corona)virus aller s'installer avec sa valise dans un humain affublé d'un logo « home sweet home ».

10/12 Bien sûr, ça ne veut pas dire que le risque est nul. D'ailleurs, il me semble que les premiers hommes à avoir marché sur notre Lune ont été placés en quarantaine à leur retour, par précaution, alors même que notre Lune n'est pas habitée, contrairement à la planète dans The Dig. Mais c'est juste une précaution, les probabilités qu'un microbe alien arrive à nous infecter sont quand même pas mal faibles (et on peut comprendre d'éviter la quarantaine quand on a des réserves d'oxygène limitées).

Bon, évidemment, un truc peut nous tuer sans s'y prendre comme nos microbes, on peut imaginer plein de façons plus ou moins atroces de mourir au contact d'une vie extraterrestre. M'enfin, il n'y a même pas besoin de rencontrer des aliens pour ça, on peut aussi mourir juste en creusant un trou, comme Brink l'a appris à ses dépends.
Capture d'écran du jeu The Dig, où on voit l'un des personnages du jeu, Brink, commencer à creuser dans une zone assez instable.

11/12 Par contre, le fait que l'air de la planète soit respirable pour nous (il me semble même que les persos disent qu'il sent bon !), ça, c'est déjà un peu plus invraisemblable, surtout quand on sait que, justement, si on a un air respirable sur Terre… c'est aussi une affaire de co-évolution.

L'oxygène était un poison toxique pour pas mal d'organismes de la Terre primitive, qui s'en sont débarrassés en l'évacuant dans l'atmosphère, où il s'est accumulé assez pour la rendre irrespirable pour eux, jusqu'à ce que les (au départ rares) êtres vivants qui arrivaient à l'utiliser ne deviennent de loin les plus nombreux.
Image de la Terre lors de la glaciation huronienne. La glace recouvre presque l'ensemble de la planète, car le rejet massif d'oxygène par les formes de vie de l'époque a causé un refroidissement climatique intense qui a duré environ trois cent millions d'années.

12/12 Il y a fort à parier que le vivant d'une autre planète modifierait aussi pas mal son environnement, mais est-ce que ça donnerait quelque chose qui ressemble à notre atmosphère à nous ? Ça dépend probablement de ce qu'on entend par « ressembler ». Probablement pas assez pour qu'on puisse le respirer sans souci.

Mais bon, à partir du moment où il suffit de poser quatre plaques sur un piédestal pour qu'un astéroïde rebrousse chemin en dépassant la vitesse de la lumière… La science-fiction, c'est cool pour la partie science, mais aussi pour la partie fiction, après tout !
Capture montrant le logo du jeu. On peut lire « The Dig » sur fond noir.

question sans doute bête

@elzen

Une question qui n'a rien a voir avec ce jeu me vient en tête...

et quand est il des "pollution" humaines précédentes?

par exemples une bactéries qui aurait été transporté par une sonde précédemment envoyé,

est ce que le risque est accru? décrue? quasi nul?

re: question sans doute bête
@Vefhtagn Alors, déjà, pour répondre au CW, la question est loin d'être bête. On fait justement très gaffe à stériliser autant que possible les sondes avant de les envoyer là haut… mais ce n'est a priori pas pour nous qu'on a peur.

Traverser l'espace est passablement dangereux pour des organismes vivants, mais des bactéries (et pas que) ont montré une capacité assez intéressante à arrêter toute activité le temps du trajet et à pouvoir « reprendre vie » en rentrant sur Terre. Donc théoriquement, si une sonde se pose dans un endroit habitable, il est possible que celui-ci soit contaminé par la vie terrestre.

(Et ça me relance le thread, je vais faire cinq pouets de plus.)

re: question sans doute bête
2/5 Il y a même une hypothèse, assez difficilement vérifiable, qui dit que ça aurait pu se produire sans notre intervention. Il y a à peu près 3,8 milliards d'années, à l'époque approximative où la vie est apparue sur Terre, Mars était une planète beaucoup plus accueillante qu'aujourd'hui, avec des mers à sa surface, tandis que la Terre, elle, était encore pas mal hostile.

Et comme, à l'époque, y avait encore pas mal de cailloux qui tombaient du ciel en projetant des débris dans l'espace, il est théoriquement possible que des formes de vie aient été échangées entre les deux planètes de cette manière.

Je renverrais bien vers Wikipédia à ce sujet mais l'article actuel est, disons, assez léger : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lithopanspermie

re: question sans doute bête
3/5 Bref, revenons à nos moutons. Ce dont on a peur, c'est que des bactéries venues de la Terre puissent débarquer dans un endroit habité et donc habitable, se mettre à s'y reproduire, et s'y sentir tellement bien qu'elles finissent par prendre la place d'espèces autochtones, comme le font certaines espèces invasives sur notre planètes. Ce serait assez gênant qu'on dégomme la vie extraterrestre par accident avant même de la détecter.

C'est pour cette raison que la sonde Cassini, par exemple, a été envoyée se scratcher dans Saturne à la fin de sa mission : les chances qu'un truc comme ça se produise dans Saturne sont minimes, mais on voulait à tout prix éviter que la sonde ne finisse par accident par percuter Encelade, qui est un des rares endroits où on trouve de l'eau sous forme liquide et donc où une forme de vie a potentiellement pu apparaître.

re: question sans doute bête
4/5 Et donc, mettons qu'on ait foiré notre coup et qu'une sonde commence par amener des bactéries terrestres sur un endroit où, plus tard, des humains viendront se poser. Si les bactéries ont pu envahir l'endroit, seront-elles dangereuses pour nous ?

Ça va dépendre beaucoup du type de bactéries. L'écrasante majorité de celles qu'on a sur Terre sont totalement sans danger pour des êtres humains (voire même pour n'importe quoi d'autre, plein de bactéries ne sont pas pathogènes. D'ailleurs, nous ne pourrions pas vivre sans un paquet de bactéries assez utiles vivant dans notre tube digestif). Les risques qu'un truc inoffensif ne devienne dangereux pour nous sans être en contact avec nous sont infimes.

re: question sans doute bête
5/5 Par contre, si la souche bactérienne était au départ dangereuse pour nous (et qu'on suppose qu'elle arrive quand même à se débrouiller pour se reproduire sans nous infecter, ça limite un peu), ça va dépendre du temps qui s'écoule avant notre arrivée. À court terme, elle va rester aussi dangereuse, voire même potentiellement plus si de notre côté, on ne la fréquente plus assez et on perd nos mécanismes de défenses (c'est un des trucs qui fait peur avec les souches microbiennes piégées dans le permafrost et que le changement climatique peut réactiver, par exemple).

S'il s'écoule suffisamment de temps, a priori, on peut accumuler suffisamment de mutations des deux côtés pour que ce qui leur permettait de nous attaquer perde grandement en efficacité. Mais combien de temps il faudrait pour ça, c'est beaucoup plus dur à estimer, vu que globalement ça dépend surtout du hasard de l'évolution.
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@elzen Merci beaucoup pour toutes ces infos ! Pour ma part, ce qui m'avait fait tiquer c'était surtout la manière un peu maladroite des personnages de parler de ces questions, forcément fondamentales dans leur situation, mais en les expédiant quand même très très vite. Forcément, c'est un jeu et il y a une balance à trouver entre le réalisme (imposé par l'équipage en partie scientifique) et le fun (parce qu'on a évidemment envie d'aller explorer ce monde nouveau, sans se soucier de l'oxygène !)

@elzen C'est vrai que si le scientifique se mettait à délivrer tout ce raisonnement en plein milieu du jeu, on se demanderait un peu ce qui se passe. 😄 Même si ça n'a pas grand chose à voir, ça me fait un peu penser à cette vidéo qui me laisse toujours hilare à chaque visionnage.
https://www.youtube.com/watch?v=-UYgORr5Qhg

@defakator En effet ! ^^

Je trouve d'ailleurs intéressant de noter que, dans le jeu, ils font explicitement poser la question à Low pour que Brink réponde immédiatement par la négative. Si Low s'était contenté de dire que l'air est respirable (« en tout cas autant que celui de Los Angeles ») et avait aussitôt retiré son casque sans évoquer du tout la question des microbes, combien de joueurs y auraient pensé ?