§ Posté le 27/06/2015 à 15h 23m 36
Un faux problème assez célèbre(1) demande : Sachant que l'homme descend du singe, un singe monté sur les épaules d'un homme peut-il en descendre ?
En réalité, la première partie de la phrase n'a pas vraiment de sens, au regard de l'évolution. En effet, elle supposerait qu'il existe, deux entités séparées, « l'homme » d'une part, « le singe » de l'autre. Si l'on identifie assez bien « l'homme » en tant qu'espèce, le singulier pour désigner « le singe » est déjà plus problématique : rangerait-on dans la même boîte le ouistiti et le chimpanzé ?
Nos camarades anglophones ne font (en théorie) pas cette erreur, rangeant le premier dans une catégorie dénommée « monkey », et le second(2) dans une catégorie « ape ». Mais chacune de ces deux catégories regroupe encore un nombre assez important de singes différents.
Or, il faut comprendre la façon dont sont constitués ces groupes. La base en est la notion d'innovation partagée. En effet, tous les êtres vivants sont les descendants d'un ancêtre unique, un être unicellulaire surnommé « LUCA », pour Last Universal Common Ancestor (« dernier ancêtre commun universel »(3)).
Vous avez sûrement fait assez de biologie dans votre vie pour savoir qu'une cellule est, grosso-modo, constituée d'une membrane la séparant du monde extérieur, à l'intérieur de laquelle on trouve plein de trucs bizarres, comme le matériel génétique (c'est-à-dire les plans de construction), qui se reproduit en recopiant tout son contenu en double avant de se séparer en deux, chacune des deux cellules ainsi obtenues étant le plus souvent rigoureusement identique à celle de départ. Le plus souvent seulement, parce que, parfois, des erreurs peuvent survenir.
Un beau jour, il y a environ deux milliards d'années(4), une erreur de recopie sur le matériel génétique a fait apparaître un truc bizarre : une deuxième membrane s'est formée, séparant ledit matériel génétique du reste de l'intérieur de la cellule. En gros, la cellule mutante venait de fabriquer un coffre dans lequel ranger ses plans. On a depuis appelé ce coffre noyau cellulaire.
Cette cellule-ci, comme les autres, a continué à se multiplier, et l'on a donc vu apparaître deux populations de cellules : certaines qui avaient un noyau, et d'autres pas. D'autres modifications ont continué à subvenir de temps à autres, mais elles n'ont pu que créer d'autres différenciations. C'est cela que l'on appelle innovation partagée : tous les descendants de la première cellule à noyau, même s'ils changent eux-même d'aspects, restent des cellules à noyau (si on veut faire sérieux, on dit « eucaryotes »).
Étant, nous-mêmes, descendants de cette première cellule à noyau, nous sommes des eucaryotes. Étant des descendants des premiers organismes pluricellulaires mobiles (des trucs avec plusieurs cellules et qui bougent), nous sommes aussi des métazoaires (dans le langage courant, on dit « animaux »). Étant des descendants des premiers animaux à avoir eu un squelette interne, nous sommes des vertébrés. Étant des descendants des premiers vertébrés ayant eu des poils et ayant allaité leurs petits, nous sommes des mammifères. Et ainsi de suite.
C'est pour cela que l'on utilise l'image d'un arbre en biologie, et plus spécifiquement en systématique, pour décrire le classement des êtres vivants : à partir d'une racine unique, la vie se sépare en différentes branches, qui elles-mêmes se séparent en d'autres branches, et ainsi de suite. Chaque séparation entre deux branches correspondant à l'apparition d'une caractéristique nouvelle, que l'une des branches possédera et l'autre pas.
Et la règle, pour donner des noms, c'est que chaque nouvelle branche possède un nom particulier, que partagent toutes les autres branches qui en partent. À chaque nouveau croisement, on donne un nouveau nom à la branche présentant la nouvelle caractéristique, mais en gardant tous les noms issus des embranchements précédents. Les mammifères sont des vertébrés, les vertébrés sont des métazoaires, les métazoaires sont des eucaryotes.
Partant de là, vous l'aurez compris, si l'homme descend d'un groupe appelé « singes », c'est que… l'homme en fait toujours partie. Nous sommes donc des singes
Plus précisément, nous faisons partie d'un groupe de mammifères appelé « primates », dont l'innovation partagée est que l'un des cinq doigts(5) qui composent notre main peut venir se placer du côté opposé aux quatre autres. Ce pouce opposable nous permet de saisir des objets, comme par exemple des branches d'arbres pour pouvoir y grimper, ou des marteaux pour construire une ferme, une grange et une barrière(6).
Au sein de ce groupe des primates, cinq branches distinctes se sont peu à peu dégagées : celle des lémuriens, des tarsiens avec leurs yeux énormes, des singes à queue, des gibbons, et des grands singes, qui est celle à laquelle nous appartenons.
Si, contrairement à nos cousins de trois de ces groupes, nous n'avons pas de queue, c'est parce que l'une des caractéristiques que nous partageons avec les autres grands singes et avec les gibbons est que, au bout de quelques jours de développements, la queue que possèdent nos embryons se transforme en un coccyx.
Vous noterez que, dans ces séparations, certaines branches peuvent être plus ou moins proches des autres(7). Ainsi, tarsiens et singes à queue sont extrêmement proches, au point qu'on a longtemps pensé que les premiers faisaient en fait partie des seconds.
Mais, vous le savez, la science fonctionne par remise en cause perpétuelle et précisions successives : les systématiciens ne cessent de reprendre leurs travaux pour dessiner un arbre du vivant aussi proche que possible des liens de parenté réels entre espèces. D'autres erreurs de ce genre ont ainsi pu être corrigées à mesure que nos connaissances progressaient, et certaines d'entre elles ont été assez importantes.
Les gens ayant fréquenté les écoles primaires au siècle dernier(8), par exemple, ont dû apprendre une classification qui donnait quatre grands groupes de vertébrés : les poissons, les reptiles, les oiseaux et les mammifères. Eh bien, il se trouve après vérification que, sur ces quatre groupes, le dernier est le seul à ne pas avoir été chamboulé(9) par d'autres découvertes.
Commençons par les poissons : on a habituellement tendance à regrouper dans cette catégorie à peu près tous les animaux qui vivent dans la mer, possèdent un squelette (pour exclure les poulpes, calmars, krakens(10) et compagnie), et ne sont ni tortue, ni cétacé (bon, j'oublie probablement plein d'autres créatures marines). En particulier, donc, les raies et les requins étaient considérés comme des poissons.
Or, il se trouve que raies et requins, s'ils sont bien des vertébrés, ont un squelette constitué essentiellement de cartilage, quand les poissons « à arrêtes » ont un squelette contenant pas mal d'os, comme le nôtre. Vous aurez compris ce que cela signifie : les poissons « à arrêtes » et nous faisons partie d'un même groupe, celui des ostéichtyens, dont l'innovation partagée est l'os, et dont raies et requins ne font pas partie.
Ce groupe se sépare ensuite entre les actinoptérygiens, qui sont la plupart des « poissons » que nous désignons comme tels, et les sarcoptérygiens(11), auxquels sont consacrés un excellent bouquin, et dont sont issus les tétrapodes que nous sommes. Quant aux raies et aux requins, puisque j'en suis à citer plein de mots savants, ils forment le groupe des chondrichthyens, avec lequel nous partageons tout de même, en plus des caractères plus anciens, de l'hémoglobine et une mâchoire.
Si on veut continuer à utiliser « poisson » de manière un peu rigoureuse, à moins de considérer que nous n'en soyons, il faut donc considérer que les raies et les requins n'en sont pas non plus, puisque les poissons classiques sont plus éloignés d'eux que de nous. On pourrait considérer, sans trop se prendre la tête, que « poisson » serait juste un mot usuel pour désigner les actinoptérygiens, ce qui ferait qu'il y aurait plein d'autres sortes de bestioles dans les mers.
Passons aux reptiles, dont le nom indique qu'ils sont censés se déplacer par reptation, c'est-à-dire en rampant. Si cela correspond bien aux serpents(12), c'est moins adapté à plein de créatures dotées de pattes, comme les lézards, les tortues, les crocodiles et les dinosaures, quoiqu'on ait eu l'habitude de fourrer tout dans la même catégorie.
Il faudrait faire, en fait, plusieurs catégories différentes : les squamates, qui incluent serpents, iguanes et lézards, sont bien ensemble sur la même branche, mais les tortues, quant à elles, forment une branche tout à fait différente. Quant aux crocodiles… ils sont en fait beaucoup plus proches des oiseaux que des autres « reptiles ».
Ces oiseaux, pour leur part, ont vu leur placement dans l'arbre du vivant révisé d'une manière qui ne manque pas d'attirer l'attention : il forment bien une branche complète(13), contrairement aux deux précédentes catégories, mais c'est leur ascendance qui a été réétudiée.
Il se trouve en effet que, contrairement à la façon dont ils étaient dessinés jusque là, pas mal d'espèces, parmi les célèbres dinosaures, étaient dotés de plumes. Et quand on les couvre comme il se doit de plumes, la ressemblance devient frappante(14) : les prédateurs bipèdes tels que le célèbre Tyrannosaurus Rex ou les non moins fameux vélociraptors sont en fait beaucoup plus proches des oiseaux qu'ils ne le sont des paisibles quadrupèdes à formes variées que sont le diplodocus, le stégosaure ou le tricératops.
En d'autres termes : les dinosaures n'ont absolument pas disparu, j'en entend un chanter sous ma fenêtre à l'instant où j'écris ces lignes
Si vous êtes habitués à dire que quelque chose se produira quand les poules auront des dents
… peut-être faut-il plutôt se demander si la chose ne s'est pas déjà produite quand les ancêtres des poules avaient des dents.
Quant à savoir qui, de l'œuf ou de la poule, est survenu en premier, nous pouvons trancher sans risques en disant que des tas de formes de vie pondaient déjà des œufs longtemps avant que l'espèce « poule » apparaisse (même si ça ne fait en fait que décaler le problème).
(Oh, et, je vous l'ai déjà indiqué, mais, si vous voulez davantage d'information sur notre place au sein de l'arbre du vivant, n'hésitez pas à jeter un œil au magnifique documentaire télévisé Espèces d'espèces, si possible dans sa version longue Lire les livres publiés sur le sujet par Guillaume Lecointre peut également s'avérer très intéressant)