§ Posté le 02/02/2013 à 22h 07m 53
Cet article en deux parties porte donc sur la façon dont nous autres, homo sapiens, qui nous qualifions doctement d'intelligents, avons quelques difficultés à poser cerner les limites de cette notion dès qu'elle doit s'appliquer à d'autres que nous.
L'objectif initial de cet article, qui en occupera la seconde partie, est de vous présenter les raisons de mon scepticisme à l'égard des projets du type SETI, visant à rechercher des formes d'intelligence ailleurs dans l'univers.
Mais avant de nous engager ainsi dans les profondeurs du cosmos, il me semble, et cela formera notre première partie, qu'il y a quelques détails intéressants à mentionner sur notre bonne vieille planète Terre, à propos des autres habitants que nous y côtoyons.
La première de ces choses est que l'intelligence des autres animaux est parfois une cause de mauvaise réputation. L'exemple que je cite le plus souvent à ce sujet est celui du corbeau : la mauvaise réputation de cet oiseau vient en grande partie du fait qu'il s'occupait, après les sanglantes batailles du moyen-âge, de consommer les restes des chevaliers morts au combat, ce que ne faisaient pas les autres charognards.
Or, représentez-vous un chevalier du moyen-âge avec son équipement de combat : la côte de maille, si ce n'est l'armure, ne protègent pas uniquement des coups, mais également des coups de crocs ou de becs. Si les autres prédateurs ne touchaient pas à ces cadavres, c'est simplement qu'ils n'en étaient pas capables, et le fait qu'un corbeau soit suffisamment dégourdi pour déshabiller les corps(1) devrait, à mon humble avis, nous donner une plus haute impression de lui.
Mais bon, cessons avec ces détails morbides, en espérant que je n'ai pas dégoutté tous mes lecteurs d'entrée de jeu, et passons à un autre aspect : nous avons tendance à considérer que l'intelligence, chez un animal, serait lié à sa capacité d'obéissance.
En témoignent l'âne et le cheval : le premier de ces deux animaux souffre d'une réputation de bêtise, venant du fait qu'il montre beaucoup plus de difficultés que le second à être par nous dressé. Le raisonnement correspondant doit être quelque chose du genre « si l'animal ne fait pas ce moi, grand homo sapiens, j'ai décidé, c'est sans doute qu'il est trop bête pour me comprendre ».
En réalité, il semble plutôt que l'âne soit plus intelligent que le cheval(2), et non pas moins. Il comprend généralement très bien ce que l'on attend de lui ; simplement, il choisit de faire ce qui lui plaît à lui plutôt que ce qui nous plaît à nous (et inutile d'insister : il est têtu. Une vraie tête de mule). Intelligent, oui, obéissant, non.
Alors, bien sûr, nous ne parlons pas ici de la même sorte d'« intelligence » que la nôtre, n'est-ce pas ? Pas si sûr. Pour pouvoir dire ça, il faudrait commencer par définir précisément ce qu'est censé être l'intelligence, dans un sens ou dans l'autre, et ce n'est pas exactement un problème trivial.
L'une des caractéristiques que nous mettons généralement en avant est la capacité à utiliser un langage construit. La faculté à communiquer est en effet un élément essentiel dans notre propre usage de l'intelligence. Alan Turing, par exemple, à basé sur cette capacité à communiquer son fameux test de reconnaissance d'une intelligence artificielle.
Or, nous ne sommes pas les seuls à disposer d'un tel langage construit, même si, d'après les connaissances actuelles, les nôtres semblent dépasser en complexité ceux des autres créatures de cette planète. Si vous êtes intéressés par le sujet, cet article de Wikipédia semble être un bon point de départ.
Un autre élément important à prendre en compte est la conscience de soi et du monde. Entre autres aspects, la conscience de soi semble manifestée par la capacité à se reconnaître soi-même, face à un miroir, par exemple.
On a ainsi fait passer à plusieurs animaux le test du miroir, et il semble que plusieurs d'entre eux le réussissent. Parmi les familles d'espèces dont au moins une a réussi, nous notons les grands singes (dont nous faisons partie, mais nous n'en sommes pas les seuls), les cétacés, les éléphants, et certains oiseaux (« oiseaux » est une famille bien trop vaste, mais je connais moins les détails de leur propre branche de l'arbre de la vie).
Il convient cependant de noter un point important : pour que le test du miroir ait des chances d'être concluant, il faut que l'animal base ses rapports aux autres individus en grande partie sur la vue. Les animaux utilisant principalement d'autres sens auront donc de plus grandes difficultés à réussir, sans que cela ne permette de conclure qu'ils n'ont pas conscience d'eux-mêmes.
Une petite précision, ici, que j'avais omise de renseigner dans l'article à l'époque : le succès ou l'échec à ce test du miroir dépend aussi de raisons que l'on peut qualifier de sociales. Ainsi, les gorilles ont la capacité de réussir à ce test, mais ont longtemps semblé y échouer, parce qu'il semble qu'il soit mal vu, pour un gorille, de regarder un autre gorille dans les yeux. Nous connaissons ainsi au moins un cas de gorille présentant des difficultés relationnelles marquées avec ses semblables et qui a brillamment réussi ce test.
Et c'est un point particulièrement significatif : bien que nous considérions l'intelligence comme le fruit de notre activité cérébrale, nous utilisons pour la mesurer un certain nombre d'éléments qui ne dépendent pas uniquement du cerveau.
Une autre illustration importante de ce principe : les dauphins sont des créatures dont la capacité cérébrale est au moins similaire à la nôtre. Ils disposent, semble-t-il, d'un langage construit, et passent comme nous le test du miroir. Ils sont donc parfois considérés comme au moins aussi intelligents que nous… mais parfois seulement, car cette intelligence ne peut pas s'exprimer de la même manière que la nôtre, étant donné qu'il leur manque la capacité physique à construire quelque chose.
Un point fondamental dans notre rapport à l'intelligence est la capacité à concevoir et à utiliser des outils, ce qui n'est possible que si nous disposons d'organes capables de saisir et de manipuler les objets.
Notre main, avec son pouce opposable, a été aussi essentielle que notre cerveau pour la construction de nos sociétés humaines, et la question se pose de savoir si nous sommes aptes à identifier une espèce comme intelligente si elle ne dispose pas d'un tel organe préhenseur.
Bon, la bonne nouvelle est qu'il n'y a pas nécessairement que nos mains qui permettent cela. Par exemple, le poulpe(3) aussi peut utiliser des outils avec ses bras. Et les auteurs de science fiction ne manquent pas d'imagination pour nous inventer toutes sortes de créatures de formes variées qui pourraient le faire également.
Néanmoins, et puisque, vous l'aurez deviné, cette mention de le science fiction va nous ramener vers les profondeurs de l'espace, j'insiste encore une fois sur le fait que l'intelligence ne se manifeste pas forcément de la façon dont on s'y attend.
Le nom du projet que je citais au début, « SETI », signifie « Search for Extra-Terrestrial Intelligence », soit recherche d'une intelligence extra-terrestre… et pourtant, ce que ce programme cherche en fait, ce n'est pas de l'intelligence, mais seulement la reproduction de notre manière de fonctionner.
En effet, l'objectif du projet est d'identifier, parmi les nombreuses informations que nos instruments captent en permanence de l'espace, un signal que nous soyons capables d'identifier comme étant émis par des créatures intelligentes(4).
Or, ce que nous captons, ce sont des ondes électromagnétiques. Nous n'y trouverons donc quelque chose que si les créatures les ayant émises utilisent de tels ondes, ce qui n'est pas forcément gagné d'avance. Il existe de nombreux autres moyens de communiquer que par les ondes électromagnétiques, et une forme de vie intelligente pourrait très bien avoir pu en choisir une autre.
De plus, les ondes électromagnétiques se déplacent à une très grande vitesse(5), mais tout de même pas de façon instantanée. Et, si quelques étoiles sont relativement proches de la nôtre, la plupart des autres sont situées à des distances… astronomiques, sans mauvais jeu de mot(6).
Nous n'émettons nous-mêmes d'ondes électromagnétiques reconnaissables que depuis moins d'une centaine d'années. Pour espérer capter un signale d'une planète lointaine, il faudrait donc, à quelques exceptions près, que ses habitants aient commencé à émettre au minimum plusieurs siècles avant nous.
Alors certes, la vie a pu apparaître plus tôt sur certaines planètes que sur la nôtre, l'évolution sur ces planètes a pu donner plus rapidement des créatures semblables à nous, et ces créatures ont pu développer des technologies similaires aux nôtres plus vite… mais les probabilités sont quand même extrêmement minces.
L'évolution est un phénomène qui repose en très grande partie sur le hasard. Nous n'en sommes pas un aboutissement, mais simplement une sorte d'« accident de parcours », au même titre que n'importe quelle autre espèce vivante. Il n'est donc absolument pas assuré que quelque chose qui puisse ressembler suffisamment à nous pour émettre des signaux que nous pourrons repérer de cette manière ait vu le jour ; et moins encore aussi rapidement.
Il existe une équation, formulée par un astronome du nom de Frank Drake, censée déterminer, en fonction de plusieurs paramètres comme le nombre de planètes habitables par système stellaire, ou la probabilité qu'une vie « intelligente » apparaisse, le nombre de civilisations dans cet univers avec lesquelles nous serions potentiellement en mesure de communiquer.
Je vais encore citer XKCD, mais cette équation pourrait tout-à-fait négliger un facteur important (comme d'hab', version française). Comme mentionné en commentaire, ce lien n'est hélas plus valide. Les anglophones trouveront toutefois des éléments d'explications ici. J'ai par ailleurs abordé plus en détail la question de l'équation de Drake par là.
Alors, certes, j'aime beaucoup la phrase que je vous ai déjà cité à propos du film Contact : Si nous étions les seuls dans l’Univers… ce serait un beau gâchis d’espace.
Mais pour autant, bien que j'estime qu'il soit probable que la vie, et potentiellement qu'une vie intelligente, existe ailleurs dans l'univers, il me paraît fort peu probable que nous puissions les découvrir ainsi ; et je pense qu'il y a un fameux tas de trucs plus intéressants à faire avec la puissance de calcul dont nous disposons, comme par exemple faire progresser notre connaissance de l'univers lui-même.
Et avant de se préoccuper de savoir comment nous communiquerions avec une éventuelle intelligence extraterrestre, ça pourrait être intéressant d'essayer de s'occuper d'améliorer nos relations avec la seule que nous connaissions déjà.