§ Posté le 14/01/2013 à 1h 38m 09
Suite à la mort, il y a un peu plus d'un an, de deux grands noms de l'histoire de l'Informatique, j'avais décidé de vous dire quelques mots sur quelques autres de ces « grands noms ». J'ai mis plus de temps à m'y mettre que prévu, mais nous y voilà.
Charles Babbage
Le type qui a fait la différence, si vous me pardonnez ce jeu de mot foireux.
Charles Babbage, inventeur du XIXe siècle, s'est en effet illustré par la mise au point, dans les années 1820, de la machine à différences, une machine à calculer mécanique, pour le compte de la Société royale d'astronomie britannique.
Il n'était bien sûr pas le premier à travailler sur une telle machine : deux siècles auparavant, Blaise Pascal mettait au point sa Pascaline, jeu d'engrenages capables de réaliser les quatre opérations de base.
Mais la machine à différences de Babbage avait pour projet d'aller plus loin encore, et de permettre de procéder à des résolutions d'équations polynômiales.
Au bout d'une dizaine d'années de travail, Babbage avait mis au point une bonne ébauche de ce qui aboutirait plus tard à l'organisation interne de nos ordinateurs modernes. Sa machine devait comprendre notamment une unité de commande, une unité de calcul, un outil de stockage, et même une imprimante.
Mais l'avancée fondamentale fut le dispositif de lectures de cartes perforées, semblables aux cartes utilisées à l'époque sur les métiers à tisser : sa machine analytique n'avait pas une fonction interne cadrée et prédéfinie, mais était un outil de calcul programmable.
Malheureusement, Babbage ne fut jamais satisfait de son travail : il passa une bonne partie de sa vie à retravailler les plans sans les avoir terminé, si bien que cette machine ne fut jamais construite entièrement de son vivant (ce qui aurait, de toute façon, été assez difficile compte tenu des techniques de l'époque).
Cependant, il mit tout de même au point plusieurs prototypes partiellement fonctionnels ; et l'un de ses fils parvint à en assembler une entière au début du XXe siècle. Une reconstitution réalisée cent ans plus tard, en utilisant les moyens de l'époque, permit de démontrer non seulement que les plans étaient corrects, mais que la machine aurait tout de même pu fonctionner avant la mort de Babbage en 1871.
La machine analytique de Charles Babbage, qualifiable d'ordinateur mécanique, aurait pu donner au monde de l'époque un air d'univers steampunk.
Ada Lovelace
Celle qui a analysé la machine analytique.
Fille d'une passionnée de mathématiques, Ada Lovelace reçut une éducation scientifique approfondie, ce qui, à l'époque, était très inhabituel pour une femme. Elle rencontra Charles Babbage en 1833, soit peu avant que la machine à différences ne devienne officiellement la machine analytique.
La jeune femme fut très impressionnée par l'outil, et commença à aider Babbage dans ses travaux. Elle dû cependant s'interrompre plusieurs années, son mariage et la naissance de ses enfants l'occupant à plein temps (sa santé ayant également quelque peu souffert des grossesses).
Elle avait cependant repris ses travaux au début des années 1840, durant lesquelles elle réalisa un grand travail de documentation concernant la machine analytique et son fonctionnement. Elle eut d'ailleurs l'idée d'intégrer à cette documentation un exemple de ce que l'on pouvait faire faire à la machine : le tout premier programme informatique de l'Histoire.
Il s'agissait d'un algorithme formalisé, pouvant être traduit en cartes perforées pour être exécuté par la machine (plutôt que déroulé à la main, comme on faisait jusque là), et destiné à calculer les nombres de Bernoulli. Elle réalisa cet algorithme elle-même (avec l'aide de Babbage pour la partie mathématique des travaux), ce qui fit d'elle la toute première programmeuse.
La vision qu'avait Ada Lovelace de la machine analytique était moins limitée que celle du concepteur même de cette machine, et plus proche des usages actuels de l'informatique : alors que Charles Babbage n'y voyait rien d'autre qu'une machine à calculer très perfectionnée, elle fut la première à imaginer que l'on pourrait l'utiliser pour tout un tas d'autres usages, par exemple pour composer de la musique.
Elle écrivit à ce sujet : La machine analytique n'a nullement la prétention de créer quelque chose par elle-même. Elle peut exécuter tout ce que nous saurons lui ordonner d'exécuter […] Son rôle est de nous aider à effectuer ce que nous savons déjà dominer.
On peut dire que si Charles Babbage, en s'occupant de la partie matérielle, fut le père de l'informatique, Ada Lovelace, en s'occupant de la partie « logicielle », en fut en quelque sorte la mère.
Dans les années 1980, un langage de programmation destiné aux systèmes embarqué fut nommé « Ada » en son honneur.
Alan Turing
Le fondateur de la science informatique.
Brillant mathématicien anglais, Alan Turing commence par travailler sur les notions de calculabilité. Il définit par exemple le modèle de fonctionnement capable de résoudre tout calcul basé sur une procédure algorithmique. On parle de « machine de Turing » (Turing lui-même parlait de « machine universelle »), ou de système « Turing-complet ». Il obtient sa thèse sur ce sujet en 1938.
Lorsqu'éclate la seconde guerre mondiale, Turing rejoint l'équipe travaillant à casser les codes de chiffrement nazis, plus particulièrement en étudiant la machine Enigma qui génère ces codes.
À ce poste, Turing est le principal auteur de plusieurs progrès majeurs, grâce notamment à ses études statistiques des messages. Il rédige entre autres les spécifications d'une machine électromagnétique de calcul (appelée « bombe ») qui permet d'augmenter considérablement la vitesse des tentatives de décryptage.
Après la guerre, Turing travaille sur le Manchester Mark I, l'un des tous premiers véritables ordinateurs, qu'il a contribué à concevoir. Reprenant ses travaux sur la machine universelle, il propose une des premières méthodes de preuve d'algorithmes, qui servira de base à ce qui se fera par la suite dans ce domaine.
Il travaille également sur l'intelligence artificielle, notamment en définissant le test qui porte son nom. Le principe général du test est que, si un être humain peut communiquer simultanément avec un autre être humain et avec une machine, sans pouvoir identifier lequel des deux est l'être humain, alors la machine peut être qualifiée d'intelligente.
Hélas, à l'époque, l'homosexualité est condamnable. En 1952, l'une de ses relations s'ébruite, et Turing est condamné à la castration chimique. Le procès est assez médiatisé, et l'homme se voit professionnellement mis à l'écart.
Deux ans plus tard, il finit par se suicider en s'empoisonnant au cyanure.
Alan Turing reste cependant l'un des plus grands noms de l'informatique, ayant ouvert la voie dans de nombreux domaines.
Grace Hopper
L'idole d'Héliade. Et il y a de quoi
Grace Hopper était professeur de maths à l'Université de Yale lors de l'attaque de Pearl Harbor, suite à laquelle elle décida de s'engager dans l'armée. Premier problème : elle avait déjà 35 ans à l'époque, soit plus que l'âge limite pour s'engager. Second problème : petite et menue, elle ne passait clairement pas les qualifications physiques. Troisième problème : le métier de prof d'université était considéré comme trop important pour que ceux qui l'exerçaient soient envoyés se battre.
À force d'insistance, cependant (deux ans à insister, quand même !), elle finit par réussir à se faire enrôler dans l'U.S. Navy, et est affectée à l'équipe s'occupant du Harvard Mark I, le premier ordinateur numérique, dont elle devient l'une des premières programmeuses.
À la fin de la seconde guerre mondiale, l'université lui propose de reprendre son poste de professeur. Elle refuse, préférant rester à travailler sur le Mark II, successeur du premier, travail qu'elle juge plus « funny ».
C'est vers cette époque et sur cet ordinateur que survint l'anecdote d'une panne causée par une mite qui s'était maladroitement engagée dans les circuits. Grace Hopper récupère délicatement l'insecte (mort dans l'accident) et le scotche sur son journal de bord avec la mention first actual case of bug being found
. Cette anecdote contribua à populariser l'expression « bug » en informatique.
Grace Hopper écrivit le premier compilateur de l'histoire ; et fut également à l'origine du langage COBOL, qui fut (de loin) le langage de programmation le plus utilisé jusque dans les années 1980.
Mise à la porte contre son gré en 1967 pour avoir atteint la limite d'âge, elle fut tout de même rappelée par l'U.S. Navy six mois plus tard en raison de ses compétences exceptionnelles. Elle déclara qu'elle n'accepterait de revenir que si on lui donnait un bureau au Pentagone… ce qui fut accordé. Son premier geste fut alors d'y installer une machine à café et un… drapeau pirate.
Elle fut ensuite plusieurs fois mise à la retraite puis rappelée, jusqu'à son départ définitif en 1986. Gradée « contre-amirale », elle détient encore le record de l'officier en service actif le plus âgé de l'U.S. Navy.
Décédée en 1992, elle est enterrée, selon ses dernières volontés, dans une tombe voisine de celle de John Fitzgerald Kennedy.
Semper Fi.