Le Livre d'Argent

La semaine dernière, je vous présentais Cadmos, le prince phénicien exilé qui a fondé la Kadmeia, la citadelle de Thèbes.
Nous l'avions laissé alors qu'Harmonia son épouse et lui avaient 4 filles et 1 fils.
Mais qu'advint-il de ces filles et fils ? Eurent-elles et il des vies heureuses et comblées ? Ou y a-t-il eu beaucoup, beaucoup trop dans leur vie de rencontre avec des divinités ?

Thèbes, les filles de Cadmos : Autonoé et Sémélé, un THREAD ⬇️
#MythologieGrecque #Thèbes

Rappelons déjà où trouver l'épisode précédent, c'est ici : https://mastodon.top/@hist_myth/115357302500302248

DONC ! Cadmos et Harmonia avaient eu pour enfants Ino, Agavé, Autonoé et Sémélé ♀️ ainsi que Polydoros♂️ .

Mais Harmonia avait aussi eu comme cadeaux de mariage une robe et un collier maudits attirant sur sa lignée le malheur et la chcoumoune, ce que nous allons tout de suite voir en suivant deux de ses filles et leurs lignées : Autonoé et Sémélé.

Autonoé et son fiston, d'abord.
Autonoé, devenue adulte, est promptement mariée à un gars qu'on connaît mieux pour d'autres légendes : Aristaios.

Ou Aristée, si vous avez découvert la mythologie dans des traductions de Virgile en français.

Y aurait des tonnes de trucs à raconter sur Aristaios. Déjà, que sa maman est Kyréné, une princesse chasseresse du peuple mythique des Lapithoi (une ethnie probablement plus historique que mythique qui plus tard se serait entretuée avec les Centaures). Kyréné gardait des troupeaux et un beau jour a tué un lion monstrueux à mains nues, eh ouais, pour dépanner un roi voisin.

Quant au papa d'Aristaios...

... ce n'était autre que le dieu Apollon.
Apollon qui, en bon fils de Zeus, a reproduit les errances paternelles en flashant sur Kyréné, la flanquant sur son char volant, et l'emmenant de force sur la rive sud de la Méditerranée.
Euuuh c'est pas très glop ?

Pour se faire pardonner, Apollon (après avoir mis sa victime enceinte !) lui a offert le territoire de Cyrénaïque, peu ou prou la Libye.

Aristaios, le fils de cette union, est un inventeur mythique.

Élevé par le sage centaure Chiron, les Muses et les Nymphes, Aristaios a dit le mythe inventé certains modes de chasse et d'élevage, mais surtout le lait caillé, l'huile d'olive et l'apiculture.

(C'est aussi lui qui est, on va dire charitablement, la cause de la mort d'Eurydice l'amante du poète Orphée mais c'est une histoire pour une autre fois.)

Autonoé fille de Cadmos épouse donc ce chercheur en agronomie, et en a un fils : Actéon.

Et bon... Je sais pas si je vous ai prévenu.e.s mais ce mythe est assez gore, hein ? Chassez loin des écrans les âmes sensibles et antispécistes :/

Ayant lui aussi intégré la Chiron & Nymphs Academy, Actéon devient un beau jeune homme doué en sport, enfin surtout à la chasse, la chasse et encore la chasse.
Il n'aime rien tant que de courir après les cerfs, courser les lions, prendre les sangliers en filature et trucider de mignons petits lapereaux.

Un jour, comme Actéon se promène dans la forêt en compagnie de quelques cinq compagnons et cinquante chiens de chasse affamés, le jeune homme fait une rencontre.
Une mauvaise rencontre.
Il croise une déesse toute nue.

"Wooh ben quoi, s'plutôt un coup de bol, hé, pas vré, hé ?" s'exclament ici les mecs cishet de mon lectorat. Hélas non, mecs cishet, hélas non.

Racontons toute l'histoire.
Mont Cithéron, près de la Kadmeia. C'est midi, il fait chaud.

La déesse Artémis se balade dans le quartier avec sa suite. Artémis est la déesse à la fois du monde sauvage, de la chasse et de la virginité, et sa suite se compose de jeunes nymphes chassant librement dans la nature et vouées à la virginité.
Comme il fait chaud, Artémis et ses nymphes décident de se baigner dans un lac du mont Cithéron. Elles enlèvent donc leurs tuniques et vont faire trempette.
C'est là qu'Actéon les entend jouer dans l'eau.
Alors, voyant des femmes nues...

@elzen Tu dis ça parce que je n'ai pas fait la liste de toutes les héroïnes de mythes qui s'appellent Créuse ou Hippodamie...

... ce con monte sur un putain d'arbre pour les regarder mieux !!!

Enfin ça dépend des versions. Mais sachez que celle-ci existe.

Il aurait pu ainsi mater impunément, mais une des nymphes de la suite d'Artémis l'aperçoit et lance l'alarme : Artémis se cache aussitôt, voudrait envoyer un bon coup de flèche là où je pense au voyeur, mais a oublié son arc sur les bords du lac ; alors vlan, elle lui projette un peu d'eau dessus.

Actéon dégringole de l'arbre et se met à courir.
— Waah, je cours vite, se dit-il en filant entre les fourrés.
Puis il se dit que c'est peut-être parce qu'il est à quatre pattes.
— Mais au fait, qu'est-ce que je fous à quatre pattes ?
Puis il se dit que c'est peut-être parce qu'il est transformé en cerf.

Il est transformé en cerf !
Et dans le coin se trouvent ses cinq compagnons de chasse et les cent chiens dressés à l'hallali et la curée !

Whoopsie.

Et justement, ses cinquante chiens ont très très envie de bouffer du cerf. Alors quand un magnifique animal sauvage aux grands bois majestueux déboule en face d'eux, ils ne se font pas prier.

Ils déchiquètent et boulottent direct le pauvre animal malgré ses brâmes de douleur.

(Je vous avais prévenu.e.s que c'était gore.)

Après quoi, d'ailleurs, les chiens ne se sentent pas très bien. Deux d'entre eux se mettent à crier en aboiements le nom d'Actéon, et à devenir enragés.

Les chiens deviennent malades et se traînent piteusement jusque chez le sage centaure Chiron, l'éducateur d'Actéon, qui ne les guérit qu'en leur montrant une statue de leur maître dans une sorte de rite expiatoire.

Un rêve envoyé par les dieux apprend à Aristaios la mort de son fils, et il lui fait des funérailles en l'absence de corps. Malgré ça, Aristaios dégoûté part pour l'île de Kéôs, abandonnant apparemment son épouse puisqu'on la retrouve sans lui dans d'autres mythes thébains.

Cependant allons voir la deuxième héroïne de ce thread : Sémélé fille de Cadmos.

Sémélé n'a qu'un souci dans sa vie : elle est jolie.
Et ça, c'est dangereux. Très dangereux. Car ça attire un dieu.

Vous savez bien sûr toutes et tous lequel :

ZEUS.

L'histoire de Zeus et Sémélé est contée avec moult détails pittoresques par le poète Nonnos de Panopolis dont je vous livre ici la version :
Sémélé, une nuit, fait un rêve. Dans son songe, elle est un grand arbre portant un superbe fruit.

Mais voilà qu'un incendie ravage l'arbre, qui tombe entièrement consumé ; par miracle le fruit échappe aux flammes, et un oiseau le transporte magiquement dans le ciel de Zeus où il se transforme en homme à cornes de taureau.

— Weiiiird, pense sûrement Sémélé au réveil.
Elle accourt tout raconter à son papa Cadmos.
— Weiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiird, marmonne le papa Cadmos, et père et fille accourent tout raconter au devin obligatoire des légendes thébaines : Tirésias le prophète aveugle.

Tirésias ne dit pas "Weiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiird", mais sourit finaudement, car il a tout compris bien évidemment, et il envoie Sémélé faire un grand sacrifice à Zeus.

Sémélé s'exécute, mais en charcutant des bovins comme il se doit pour un sacrifice, elle dégueulasse sa robe, et va alors se baigner dans le fleuve Asopos tout proche.

Et du coup bam pouf ! Zeus aperçoit Sémélé alors qu'elle nage dans le fleuve toute nue.

Mais c'est pas une déesse, là, alors s'pas pareil #sarcasme

Zeus résout de se faire Sémélé le soir même.
Il passe la journée à râler contre le Soleil qui se couche trop lentement, menaçant de le chasser à coups de pied du ciel.

À la nuit tombée, Zeus se faufile hors de l'Olympe, se choisit un petit stock de métamorphoses probables (taureau, lion, serpent, jeune homme couronné de lierre criant ''Evohé'', ce qui se transmettra à son gamin) et file chez Sémélé.

Et pour une fois, POUR UNE FOIS, la fille est consentante.

Confetti, champagne ou Champomy : une relation amoureuse mythique qui N'est PAS sous le signe du viol ou de la violence !

Réjouissons-nous ça va pas durer !

Toujours est-il que Sémélé tombe enceinte, et fait pendant sa grossesse toute sorte de gestes prophétiques annonçant la nature débridée, euphorisante, du fils qu'elle porte (danser pour un rien pieds nus dans l'herbe, crier et mugir comme une vache... mères de famille vous me direz si vous étiez comme ça pendant vos grossesses).

Mais cependant, la déesse Héra, divinité du mariage et épouse de Zeus, est avertie des tromperies de Zeus (peut-être par Phthonos, la Jalousie incarnée).

Bouillonnant de colère, elle se casse de l'Olympe protégée des regards par un nuage d'or 100 % opaque, et prend magiquement l'apparence de la nounou de Sémélé, Béroé.

Sous ce déguisement, Héra approche sa rivale et lui demande innocemment où en sont ses amours.

— C'est merveilleux, le grand Zeus est un amant si tendre ! s'exclame Sémélé.

En effet, contrairement à son habitude d'oublier ses conquêtes, Zeus entretient une relation avec Sémélé, allant la trouver régulièrement pour refaire des galipettes.

— Mais, insinue Héra/Béroé, es-tu sûre que c'est bien Zeus ?
— Pourquoi tu dis ça ?
— Le monde est fourbe, ma fille... Ton amant pourrait bien être un mortel... un simple prince, un minuscule empereur du monde... qui prétend être un dieu, fi ! Tu dois vérifier que c'est bien Zeus.
— Mais crois-tu qu'il ait des papiers d'identité ?

— Il y a un autre moyen, chérie. Tu vois, quand Zeus fait l'amour avec Héra, il arrive en lançant la foudre, dans toute sa puissance, avec du feu et des éclairs sur tout le corps.
— Tu es super bien renseignée dis donc !
— Oui, bon ahem ! En tout cas si ton amant peut faire ça, alors il s'agit vraiment de Zeus.
— En plus ça doit être quelque chose de faire l'amour comme les dieux ! Je veux je veux je veux ! Je lui demande dès ce soir !

Et le soir même, quand Zeus vient la retrouver dans sa chambre, Sémélé lui fait jurer d'exaucer le vœu qu'elle va demander.

Zeus est déjà chaud bouillant, alors il jure, promis juré craché, serment inviolable sur le Styx.

— Alors je veux que tu me fasses l'amour comme à Héra !

Zeus est embêté.
Mais il a juré.
Alors il monte dans le ciel, prend sa foudre – en version édulcorée pour faire un peu moins de dégâts – ajoute nuages, orages, éclairs, et se précipite vers Sémélé en cet équipage.

Malheureusement un corps mortel n'est pas équipé pour résister à un dieu tout feu tout flamme, et Sémélé tombe littéralement en cendres avant même l'acte.

Whoopsie.

(Moralité : pour faire l'amour, sortez couverts, n'oubliez pas votre préservatif et votre paratonnerre. Même si c'est pas super facile à faire tenir dans un sac à main.)

Pourtant, miracle ! Le fœtus que portait Sémélé a survécu à la grillade !

Le marmot est là intouché dans les cendres de sa propre mère tel le fantasme secret d'un MAGA pro-life !

(ne visualisez pas trop j'ai essayé c'est un peu gerbant)

— Nom de moi-même, mon fils est encore vivant ! s'écrie Zeus.

Il attrape le bambin pas fini, s'incise la cuisse (ouille), y fourre cet espèce de têtard rosâtre (aïe), et referme le tout avec des broches en or (aaaaïe), le tout sans anesthésie (AAAAÏE)

Quand les neuf mois de la grossesse sont à peu près terminés, Zeus dégrafe les broches d'or et se rouvre la cuisse (OUUUUILLE), dont naît le petit bébé dieu.

C'est pourquoi, entre une foultitude de noms et d'attributs, l'enfant portera le nom de Dionysos.

Et il causera beaucoup, beaucoup de problèmes à la lignée royale de Thèbes.

Mais ce sera pour un prochain épisode !

Sources : Apollodore, Bibliothèque; Apollonios de Rhodes, Argonautiques (+scholies) ; Callimaque, Hymne à Apollon ; Diodore de Sicile, Histoire universelle ; Euripide, Bacchantes ; Hygin, Fables ; Ovide, Métamorphoses ; Nonnos de Panopolis, Dionysiaques ; Pindare, Pythiques.

@hist_myth Ainsi donc, quelqu'un est vraiment sortie de la cuisse de jupiter :)

@marushah C'est de là que vient l'expression :)

@hist_myth D'où l'expression "sortir de la cuisse de Jupiter" ?

@ClydeB Oui !
Autrement dit "se prendre pour un dieu".
Et quel dieu d'ailleurs (Dionysos est une divinité extrêmement complexe à la légende et à la symbolique trèèèèèèèèèèèèèèèèèèès riche)

@hist_myth I learn a new French word every time you post.

@Virginicus Was it chcoumoune this time? (Borrowed from Arab I think)

@Virginicus BTW it's not the correct spelling apparently (it should be spelled scoumoune, but I spell it as I've first heard it)

@Virginicus And Google tells me it's supposed to come from Corsica? I'd have bet it was Arabic!

@hist_myth Wiktionary says, “il se propage en France par les pieds-noirs d’Algérie, …” so that’s reasonable. It derives from Latin “excommunicare”!

@Virginicus Interesting!
To be fair it's not really a fancy word... not very "fresh" either... More something you'd hear old people say!