Le Livre d'Argent

Okay, en ce nouveau #VendrediVulga, on est donc repartis pour un nouveau #Vulgadredi, et cette fois-ci, pour changer un peu de l'astronomie, on va partir sur un autre de mes intérêts spécifiques, l'évolution. On va parler plus spécifiquement ici d'évolution en biologie, parce qu'en fait, le mécanisme général s'applique aussi à pas mal d'autres domaines, mais ça vous le savez déjà si vous avez vu ma vidéo sur le sujet.

Ce sera aussi un thread un peu moins illustré, parce que bon, même si j'aime beaucoup ajouter plein de précisions dans les alt-text, trouver des illustrations est de loin ce qui me prend le plus de temps dans ces threads. Pour compenser, je vais tenter de mettre un peu plus de lien pour permettre aux gens de creuser. Et donc, c'est parti pour seize pouets, dans lesquels on va répondre à une question : peut-on prédire l'évolution ?

Ah, et si vous n'avez pas vu la vidéo, elle est là : https://skeptikon.fr/videos/watch/20f8140e-2197-41ae-b033-86fc69b059f9

2/16 Et on va suivre la B.D. de @gee de cette semaine et directement débuter par un gros spoiler : l'évolution du futur, non, on ne peut pas. On peut jouer aux devinettes, et ça peut donner des trucs super intéressants. Par exemple, vu qu'on est aussi #VendrediLecture, je peux vous recommander « Demain, les animaux du futur », de Marc Boulay et (Jean-)Sébastien Steyer, qui est très très cool. Mais ça reste plus de la fiction que de la science.

Par contre, on peut prédire l'évolution du présent et du passé, et c'est beaucoup moins trivial et plus intéressant que ça peut le sembler dit comme ça. Parce qu'on parle de choses sur lesquelles on a des connaissances assez incomplètes, et qu'il s'agit de prédictions au sens scientifique, c'est-à-dire de conséquences logiques, mais non-encore observées, de ce que nous dit une théorie. Détaillons donc ça un peu.

Oh, et si vous voulez lire ladite B.D., c'est ici : https://grisebouille.net/detendons-nous-du-spoiler/

3/16 En ce qui concerne l'évolution, il y a évidemment un nom qui est assez connu : celui de Charles Darwin. Sauf que, comme d'habitude en sciences, ce nom connu est l'arbre qui cache la forêt, parce qu'il y a plein d'autres gens qui ont fait progresser l'état des connaissances, de façon plus ou moins décisive. En l'occurrence, et en 1858, Charles Darwin a reçu une lettre d'un jeune collègue, dénommé Alfred Wallace, qui lui demandait son avis.

Wallace avait commencé depuis quelques temps à mettre au point une possible explication théorique du fait que le monde vivant semble divisé en un certain nombre d'espèces, distinctes les unes des autres, mais présentant néanmoins assez de ressemblances pour qu'on les devine apparentées. Et il souhaitait un retour d'un collègue plus expérimenté avant de chercher à faire publier ses travaux. Darwin sera assez surpris à leur lecture.
Dessin illustratif en noir et blanc réalisé par Wallace et présentant une grenouille volante qu'il a découverte au cours de ses travaux. Il s'agit d'une grenouille environ ordinaire, sauf que ses pieds et ses mains sont largement palmées, lui permettant de planer un peu dans les airs. Wallace travaillait dans ce qui est aujourd'hui la Malaisie quand il a envoyé à Darwin la lettre dont il est question ici. Autre dessin illustratif en noir et blanc réalisé par Wallace, celui-ci présentant un chimpanzé assis dans les branches d'un arbre. Cette image-ci a été réalisée beaucoup plus tard que l'autre, dans un ouvrage dédiée à l'application de la sélection naturelle à l'histoire de l'espèce humaine. À l'époque de l'écriture de ce livre, Wallace avait hélas commencé à verser fortement dans le spiritisme, ce qui l'amenait à des positions de plus en plus éloignées de celles vers lesquelles la recherche en évolution s'orientait.
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4/16 En effet, si le vocabulaire employé est différent, les mécanismes explicatifs proposés par Wallace ressemblent énormément à ceux sur lesquels il est lui-même en train de travailler depuis une vingtaine d'années, sans jamais avoir osé publier quoi que ce soit à ce sujet. Les deux hommes ont, indépendamment l'un de l'autre, mis au point la même base théorique.

Après avoir lui-même demandé l'avis de Charles Lyell, le seul collègue à qui il avait parlé de ses travaux jusque là, Darwin décide alors d'envoyer pour relecture et publication à la fois les travaux de Wallace (qui ne lui en demandait pas tant !), et un article qu'il avait lui-même écrit sur la question. Les deux seront donc publiés en même temps.
Photomontage en noir et blanc mettant côte à côte les plus célèbres images de Charles Darwin (à gauche) et d'Alfred Wallace (à droite). Les deux sont assez âgés, avec une veste de costume et une barbe blanche qui serait assez longue pour leur couvrir un éventuel nœud papillon (qu'ils n'ont probablement pas ; on voit que Wallace porte une cravate, mais Darwin est vu légèrement sur le côté, et donc on ne voit pas trop sous sa veste). Ils ne se ressemblent toutefois pas tant que ça, notamment parce que Darwin est chauve et que Wallace porte des lunettes.

5/16 Des travaux indépendants qui arrivent à la même conclusion, c'est généralement plutôt bon signe pour la solidité, en sciences. Wallace n'étant pas très connu, il n'aurait sans doute pas été pris au sérieux s'il avait proposé ce type de travaux tout seul ; mais Darwin bénéficiait lui-aussi du fait qu'un autre que lui arrive aux mêmes conclusions, car ce qu'ils proposaient tous deux était assez révolutionnaire pour l'époque.

C'est suite à cette publication croisée que Darwin publiera, un an plus tard, son plus célèbre ouvrage : « De l'origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la survie ». Un titre un peu à rallonge, qu'on résume souvent à « L'Origine des espèces », ce qui a le mérite d'être plus court, mais qui est aussi beaucoup moins explicite.

L'ouvrage étant depuis le temps passé dans le domaine public, vous pouvez le consulter là : https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Origine_des_esp%C3%A8ces

6/16 Dans cet ouvrage, Darwin pose comme principe de base que le monde vivant est en perpétuelle évolution. Après tout, vous êtes différents de vos parents, qui eux-mêmes le sont des leurs, etc. Il pose également que cette évolution est principalement due au hasard (ce qui sera confirmé plus tard, notamment par l'essor de la génétique et l'étude des mutations). Partant de ces postulats, il cherche à expliquer pourquoi on voit néanmoins apparaître des formes globalement stables dans le temps, ces fameuses espèces.

Ce que Darwin (comme Wallace, mais avec d'autres mots) nous propose n'est donc pas l'évolution, mais la sélection naturelle. L'idée générale est que, dans un monde comme le nôtre où les ressources sont finies, les êtres vivants vont se retrouver en compétition. Étant donné qu'ils sont tous différents, certains vont être plus avantagés que d'autres. Si ces avantages sont héréditaires, c'est-à-dire transmis d'une génération à l'autre, on doit donc voir les formes les moins adaptées disparaître petit à petit à l'échelle des générations.
Image illustrative extraite de ma vidéo sus-mentionnée présentant les mécanismes de l'évolution. On y voit, en traits noirs sur fonds blancs (les couleurs sont inversées dans la vidéo), trois cascades de messages dans un jeu de type passe-parole (« téléphone arabe »), présentés en colonne avec des personnages fauchés dans les B.D. de Gee. Dans la première, le message est un simple « Bonjour, monde ! », qui se transmet efficacement jusqu'au bout. Dans la seconde, le message est le logo du groupe AC⚡DC. Ce message se transmet efficacement, jusqu'à rencontrer quelqu'un qui ne connaît manifestement pas le groupe et donc commence à le déformer. Dans la troisième, le mot transmis au départ est « ultracrépidarianisme », un mot tellement inutilement compliqué que dès la seconde personne de la chaîne, le message semble en voie de disparition rapide.

7/16 Ce mécanisme général conduit les êtres vivants à se spécialiser. Si un individu dispose d'un caractère spécifique, apparu aléatoirement, qui lui permet de mieux profiter des ressources, il le transmettra sans doute davantage ; et quelques générations plus tard, toute la population présentera cette caractéristique. C'est ainsi que semblent se former des espèces.

Si ces espèces sont stables à l'échelle de quelques générations, elles ne sont cependant pas éternelles, car le monde vivant reste en perpétuel changement, dépendant fortement d'un environnement qui lui-même évolue : une caractéristique apparue chez une autre espèce peut modifier l'équilibre, et ainsi de suite. Toute évolution est un co-évolution, ce qui rend les choses d'autant plus imprévisibles.
Photomontage d'un des plus célèbres exemples pratiques de la sélection naturelle. On voit quatre vignettes présentant deux sortes de papillon, des phalènes du bouleau, posées sur le tronc d'un arbre. En haut, les phalènes sont de couleur blanche, en bas de couleur noir ; à gauche les arbres ont l'écorce claire, et à droite, elles sont couvertes de suies et donc très sombres. La cause de cette suie est affichée à l'arrière-plan : les usines de la révolution industrielle anglaise qui rejettent énormément de fumées dans l'air. On constate que la variété de phalènes blanches se dissimule beaucoup mieux sur les troncs clairs, et la variété de phalènes noires beaucoup mieux sur les troncs sombres. Le changement de pression sélective due à la fumée des usines a donc fait varier les populations de papillons, ce qui a fourni un sujet d'étude très intéressant pendant les débuts de la théorie de l'évolution, comme j'en parle dans la vidéo fournie en conclusion du thread.

8/16 Darwin affinera plus tard cette idée générale en publiant un deuxième livre, intitulé « La Filiation de l'homme et la sélection liée au sexe » (il aimait bien les titres à rallonge, visiblement). Cet ouvrage-ci aborde le fait que, l'évolution fonctionnant par la transmission des caractères d'une génération à l'autre, la capacité à se reproduire, et pour cela à séduire le sexe opposé, est quelque chose d'assez important.

Cela apporte une explication évolutive à des caractères handicapants pour la survie (comme la célèbre queue du mâle paon, qui le rend plus facilement victime des prédateurs) mais le compensent en rendant l'individu plus sexy selon les critères de son espèce (Darwin ne le dit évidemment pas comme ça).

L'ouvrage est aussi sur Wikisource (avec un titre un peu différent faisant qu'il est moins facile à trouver, les aléas des traductions) : https://fr.wikisource.org/wiki/La_Descendance_de_l%E2%80%99homme_et_la_s%C3%A9lection_sexuelle

9/16 Une petite précision ici : bien qu'il y ait deux bouquins successifs avec des sujets un peu différents, la sélection sexuelle n'est pas, contrairement à ce qu'on lit parfois, « une deuxième sélection », différente de la sélection naturelle. La sélection naturelle est le résultat d'un ensemble de facteurs, parfois contradictoires entre eux (courir vite permet d'échapper aux prédateurs, mais nécessite d'avoir accès à plus de nourriture : ce sera donc un avantage ou un inconvénient selon l'environnement), dont la sélection sexuelle est un des aspects.

Si on veut parler uniquement des aspects de la sélection naturelle qui portent sur la survie, mais pas sur la reproduction (ce que Darwin faisait dans son premier bouquin), on parle maintenant plutôt de « sélection utilitaire ». Je le précise parce que vous trouverez la confusion dans des œuvres de vulga par ailleurs très chouettes. Par exemple, je vous conseille vivement de visionner cette très intéressante vidéo de @gameofhearth, mais donc son usage de « sélection naturelle » est plus restrictif que le sens usuel, ne portant que sur la sélection utilitaire.

Bref, sa vidéo est là, n'hésitez pas : https://skeptikon.fr/w/8Za23dfTprcT2vfP2cK1vB

10/16 Autre point, bien que la compétition soit un élément central dans les mécaniques évolutives, il faut quand même relativiser ça. Darwin lui-même a aussi travaillé pas mal aussi sur les notions d'association mutualiste et de coopération. Et puis bien sûr, la théorie n'est pas restée bloquée à l'époque de Darwin, notre compréhension de l'évolution a pas mal avancé depuis son époque.

J'avais d'ailleurs écrit un article là-dessus il y a douze ans, d'ailleurs il faudrait sans doute que je révise un peu l'article sur certains points, mais bon. Des tas de scientifiques sont repassés après Darwin et ont corrigé et étendu ses travaux. Il n'empêche que Darwin lui-même proposait déjà quelque chose de beaucoup plus intéressant que ce à quoi on caricature hélas parfois ses travaux.

Si jamais vous voulez jeter un œil à l'article, il est là : https://fadrienn.irlnc.org/articles/sciences/evolution/

11/16 Et donc, on sait maintenant, notamment, que la coopération fait partie des éléments importants qui ont été sélectionnés au cours de notre évolution à nous, contrairement à que certaines personnes ayant caricaturé Darwin mettaient en avant. Néanmoins, en ce qui concerne Darwin lui-même, c'est surtout à propos des plantes et des insectes qu'il a étudié le sujet. Et c'est ce qui va nous intéresser ici.

En effet, on avait déjà remarqué à cette époque que les plantes à fleur attirent certains insectes volants qui, en venant butiner, se couvrent de pollen, qu'ils transportent alors jusqu'aux fleurs des autres plantes, aidant ainsi celles-ci à se reproduire. Ce qui est donc à bénéfice mutuel, et qu'on peut interpréter comme une forme de coopération (même si d'autres lectures sont également possibles).
Planche du webcomic « foxes in love » montrant quatre images : sur la première, on voit un un renard cyan lire un livre. La légende nous indique ce qu'il lit (c'est en anglais, mais je traduits) : « Les animaux apprennent leur compétence la plus importante en premier. Un poulain de quelques heures peut courir, un serpent à peine sorti de l'œuf peut mordre. » On voit ensuite un bébé renard jaune avec une tétine et des jouets à côté de lui, et la légende « Que font les bébés ? » Puis, sur l'image suivante, ce bébé lâche sa tétine en criant « Ouin ! », et la légende précise : « Les bébés pleurent. » La dernière image montre le renard cyan en train de serrer le bébé renard contre lui, et la légende conclue : « Votre compétence de survie la plus importante est d'appeler à l'aide. »

12/16 Entre autres plantes, Darwin étudie en particulier l'espèce Angraecum sesquipedale, que l'on surnomme depuis « l'orchidée de Darwin ». Cette plante présente une caractéristique particulière : une sorte de poche assez longue au fond de laquelle se trouve une petite quantité de nectar. Certaines variétés de papillons appelés sphinx sont connus pour avoir une trompe assez longue, mais pour accéder à ce nectar, il leur en faudrait une qui dépasse largement la longueur de leur corps, ce qui semble assez improbable.

Darwin va néanmoins postuler que, si sa théorie de la sélection naturelle est exacte, alors il doit nécessairement exister une variété d'insectes disposant d'une trompe suffisamment longue pour accéder à ce nectar : l'orchidée et le papillon doivent avoir co-évolué de manière à ce que la taille de de la trompe et celle de la poche continuent de correspondre. Darwin fait cette supposition en 1862, et à l'époque, personne n'y croît.
Photographie d'une orchidée de la famille Angraecum sesquipedale, ou orchidée de Darwin. On voit la plante avec quelques feuilles une fleur blanche à cinq pétales, et sous la fleur, une énigmatique tige verte assez longue, qui est donc creuse et contient du nectar au bout. Ce qui est assez particulier, car il paraît là comme ça assez improbable qu'un insecte puisse aller chercher le nectar si loin. Et pourtant…

13/16 Mais en 1867, on découvre, dans une autre partie du monde (si ma mémoire est bonne, au Brésil, alors que l'orchidée vient de Madagascar), une espèce de sphinx ayant une trompe presque assez longue pour accéder au nectar de l'orchidée de Darwin. Alfred Wallace, va alors étudier cette espèce, et une fois de plus tomber d'accord avec son collègue : il lui semble assez probable qu'il existe une espèce cousine de celle qu'on vient de découvrir, qui aurait une trompe encore plus longue. Il en profite d'ailleurs pour donner une description un peu plus détaillée de ce à quoi devrait ressembler cette espèce.

Il faudra néanmoins attendre 1903, soit plus de quarante ans après la première proposition par Darwin, pour qu'on finisse par découvrir Xanthopan praedicta, que suite à cette description on surnommera le « papillon de Wallace », prouvant ainsi que les deux naturalistes avaient raison sur ce point.
Photographie d'un spécimen empaillé de Xanthopan praedicta (on notera que le nom est une référence au fait que son espèce avait été prédite), ou papillon de Wallace (certaines personnes disent aussi papillon de Darwin, mais vu qu'on a déjà donné son nom à lui à l'orchidée, ça me semble plus sympa de donner l'autre au papillon). L'animal a quatre ailes, un corps assez allongé, deux antennes… et surtout une trompe qui fait plus de deux fois la longueur de son corps, et qui lui permet donc d'accéder au nectar de la fleur.

14/16 Néanmoins, si vous avez suivi mon thread de la semaine dernière, vous savez déjà qu'une prédiction qui se réalise n'est pas non plus une preuve définitive (Darwin a d'ailleurs bien dit que si sa théorie est exacte, alors le papillon doit exister, ce qui ne veut pas dire que si le papillon existe, alors sa théorie doit être exacte). Est-il possible qu'une observation ultérieure vienne invalider la théorie de la sélection naturelle ?

Ce serait mieux, car une théorie scientifique n'en est une que si elle passe l'épreuve des faits. Une explication du monde qui fonctionnerait quoi qu'il se passe n'expliquerait en fait pas grand chose. Il s'agit ici du critère de réfutabilité, proposé par le célèbre épistémologue Karl Popper (dont les travaux ont aussi été caricaturés, mais on ne va pas rentrer dans le détail à ce sujet pour ce thread-ci).

Oh, d'ailleurs, le thread de la semaine dernière est là : https://fadrienn.irlnc.org/notice/AyMztvDdmCsEVRGpYe

15/16 Et Karl Popper a justement, lors de ses premiers travaux sur ce concept (au passage : Popper étant anglais, il parlait de « falsifiability », d'où le fait qu'on croise parfois « falsifiabilité » ; mais « réfutabilité » a quand même un sens qui correspond mieux en français), a choisi la sélection naturelle (aux côtés de la psychanalyse et de l'astrologie) comme exemple d'énoncé non-réfutable, et donc d'après lui sans valeur scientifique.

Néanmoins, les biologistes n'étaient pas d'accord, à raison. Puisque Popper invitait à produire un exemple d'observation qui réfuterait la théorie, John Haldane aurait répondu : « des lapins fossiles de l'ère précambrienne. » Cette réponse est inutilement spécifique, mais plutôt parlante : si on trouvait un fossile d'une espèce connue daté d'une époque très largement antérieure à celle à laquelle cette espèce a pu apparaître, cela remettrait immédiatement en cause les bases mêmes de la théorie de l'évolution, et conduirait à l'invalider.
Fossile de trilobite, une famille d'arthropodes apparu au cambrien, une période où la biodiversité s'est particulièrement développée. On voit, vue de côté pour en faire ressortir les reliefs, une forme allongée dans la pierre avec une structure centrale et des lignes partants sur les côtés, qui sont les vestiges de son thorax. Les trilobites ont survécu à plusieurs extinctions de masse, mais ont fini par disparaître lors de la crise Permien-Trias. Ils n'ont donc côtoyé ni les mammifères, ni les dinosaures, ces deux familles d'animaux étant apparues au Trias. Effectivement, trouver un animal présentant toutes les caractéristiques des mammifères (ou des dinosaures, ou de n'importe quelle autre branche de l'arbre du vivant apparue par la suite) daté d'avant le cambrien, donc avant l'apparition des trilobites, remettrait très fortement en cause nos connaissances sur l'histoire du vivant.

16/16 Popper a en tout cas été convaincu par cette réponse (ou plus vraisemblablement, par des conversations plus détaillées avec des spécialistes du domaine), et a publié un démenti reconnaissant que la théorie de la sélection naturelle est bien réfutable. Ce qu'on devrait d'ailleurs collectivement plus souvent, car c'est important de reconnaître ses erreurs.

Il ressort en tout cas de tout ça que, si la façon dont la biodiversité actuelle évoluera dans le futur est assez imprédictible, puisque dépendant du hasard et de conditions qui elles-mêmes évolueront, travailler en biologie et en paléontologie, c'est bien faire des prédictions sur ce que l'on doit ou ne doit pas observer dans la nature : c'est globalement comme ça qu'une bonne partie de la science fonctionne. Ce qui est quand même plutôt cool.

Pour compléter, n'hésitez pas à jeter un œil à cette vidéo, où je mentionne ces points et quelques autres critères de scientificité : https://skeptikon.fr/videos/watch/ebc4df43-5d43-450c-b43e-68fea982804b

@elzen
C'est passionnant Elzen

@elzen Sauf erreur de ma part, ce n'est pas lui qui aimait les titres à rallonge, c'était l'époque.

@lienrag Je n'ai pas fait d'étude statistique.

Mais bon, mon (premier, il faudra que je prenne le temps de finir le second un jour) bouquin à moi s'appelle « L'esprit curieux et les yeux mauvais : comprendre le monde par la démarche scientifique », alors je suis de toute façon assez mal placé pour juger ^^

@elzen

Que la sélection naturelle produise la spéciation, on est d'accord, mais ta démonstration qu'elle produit la stabilité de l'espèce me paraît bancale...

Surtout pour un texte de vulgarisation, où le public ne connaît pas forcément les mécanismes biologiques qui te paraissent évidents (ne serait-ce que les lois de l'hérédité).

@lienrag Ce n'est pas « ma démonstration ». C'est littéralement la raison pour laquelle Darwin a proposé la notion de sélection naturelle, comme l'indique jusqu'au titre de son bouquin.

(D'ailleurs, ce n'est pas la sélection qui crée de la spéciation : c'est l'accumulation de mutations. La sélection se contente de guider les variations de fréquences au sein d'une même population, ce qui n'aboutit jamais à une spéciation tout seul.)

(Et sinon, je fais ces threads en réfléchissant à chaque fois à quels éléments sont importants d'aborder et quels autres peuvent être laissés pour plus tard (et en l'occurrence les lois de l'hérédité n'étaient pas pertinentes ici, d'autant qu'elles n'ont été mergées dans la théorie globale que pas mal plus tard), mais merci de m'apprendre mon boulot, hein. Si ma façon de faire ne te va pas, n'hésite pas à faire des threads de ton côté aussi.)