Le Livre d'Argent

Nous sommes en 321 av. J.-C., et Rome écrabouille tout le centre de l'Italie. Tout le centre ? Non ! Car une autre puissance locale, les Samnites, lui dispute encore et toujours la domination de l'Italie du Sud. Rome saura-t-elle s'en débarrasser ? Ou se prendra-t-elle une branlée ? Ou se prendra-t-elle une branlée et se racontera-t-elle beaucoup d'histoires pour ne pas l'admettre ?
Tite-Live, livre IX, un THREAD ⬇️

Au premier plan, à gauche, un soldat antique, casque à panache rouge, cotte de mailles, habit rouge, cape blanche, jambière en métal. Au premier plan tout à droite, un type levant un fouet, l'air pas commode, plus la silhouette d'un autre soldat pas commode.
Au milieu, une immense file de Romains torse nu, jambes nues, vêtus tout juste de pagnes blancs ou rouges, enchaînés deux à deux. Ils passent sous un grand joug de bois placé très bas ce qui les oblige à courber le dos à 90°.
Le décor est un coin couvert d'arbre et, tout à l'arrière-plan, une montagne (terriiiible ennemiiiie de Rome).

L'image est une lithographie de Tancredi Scarpelli, dans un style très image d'Épinal, traits marqués et couleurs criardes.

DONC ! Dans l'épisode précédent, les Samnites fatigués de guerres avaient demandé la paix à Rome en revenant à la situation d'avant-guerre. Rome s'était gaussée d'eux tel Poutine du dernier cessez-le-feu en Ukraine.
Aussi, au retour des ambassadeurs samnites, le grannnd général samnite du moment, Gaius Pontius, fils du très sage Herennius, est in-di-gné de l'attitude romaine, et fait un grand discours comme quoi si les Romains veulent la guerre, ils l'auront !

D'autant que les Samnites ont tout bien fait comme il faut dans leur demande de traité de paix, et malgré ça Rome refuse ! C'est quoi c'te violation du droit international ! Quelle honte ! Désormais les dieux plus forts que l'ONU seront côté samnite !

Gaius Pontius prend donc l'armée samnite et l'installe discrétos dans un lieu nommé Caudium.

Après quoi, il fait courir la rumeur que l'armée samnite se trouve en Apulie [en gros les Pouilles] et s'apprête à assiéger Luceria, alliée des Romains.

— Dis-moi, consul Titus Veturius Calvinus !
— Oui, consul Spurius Postumius ?
— Il paraît que les Samnites vont assiéger Luceria. Comment les arrêter ?
— Très simple Spurius ! Il faut filer dare-dare à Luceria par l'une des deux routes sur la carte ci-dessous !
— La route verte me paraît bien sûre, mais bien lente...
— Tutafé, et la rouge est plus dangereuse et rentre dans le territoire samnite à Caudium pour traverser plein de montagnes avec des pentes. Mais elle va carrément plus vite.

Carte de l'Italie centrale (de Florence environ au sud de Naples).

Luceria (actuelle Lucera) est située dans les Pouilles, quart sud-est de la carte, dans les terres.
En vert, une route va tout droit de Rome à l'Adriatique, puis longe la côte et bifurque dans les terres pour atteindre Luceria. J'ai mis à côté d'elle un smiley vert qui sourit.
En rouge, une route traverse toute la zone contrôlée par Rome jusqu'à Naples, puis tourne en territoire samnite au niveau de Caudium avant de traverser les montagnes des Appenins jusqu'à Luceria. J'ai mis un smiley rouge qui sourit pas. J'ai aussi mis trois symboles "attention danger" au niveau de Caudium, là où la route entre dans les montagnes.

— Prenons donc la plus rapide cher Titus, nos alliés n'attendront pas et ce serait quand même un sacré coup de déveine si toute l'armée samnite nous attendait dans le défilé des Furcae Caudinae, juste là où la narratrice de ce thread a mis plein de symboles "attention danger" sur la carte.

L'armée romaine part donc et manœuvre jusqu'au lieu nommé Furcae Caudinae : les carrefours de Caudium ou, comme la tradition les a nommées, les Fourches caudines.

Représentez-vous un peu l'endroit.

@hist_myth N'empêche, c'est là qu'on voit que le français est quand même vachement une langue latine.

Tu lis « Furcae Caudinae », tu connais vaguement l'expression « passer sous les fourches caudines », et instantanément, tu te dis que ah, ça ne va pas bien se passer.

Des défilés bien étroits, couverts de forêts, mènent à une plaine cernée par les montagnes, et dont on ne peut sortir que par un autre défilé bien étroit et super encaissé.
Mais qu'à cela ne tienne, Titus Veturius Calvinus et Spurius Postumius prennent cette route, et engagent tranquillou leur grosse armée de fantassins dans la passe.
Ils arrivent dans la plaine.
Ils approchent du défilé qui sort.
Que voient-ils ?
...
Le défilé est bouché par des cailloux et des troncs d'arbre. Merdum.

Les Romains commencent à suer à grosses gouttes.

— Viteuh revenons sur nos pas et ressortons de cette plaine par le premier défilé ! s'écrient-ils...

... et ils le trouvent bouché.
Comme le premier.

Toute l'armée romaine se trouve ainsi piégée dans une plaine CERNÉE par des MONTAGNES pleines de SAMNITES.

---
Je ne sais pas si vous avez tous pu suivre notre lecture de la Guerre civile de Jules César, mais si oui vous y avez vu que le plus redoutable adversaire de César, c'est une rivière.

@elzen C'est assez rigolo car l'expression est une sorte de contresens sur le mot Furcae mais bon.

Ben là, Tite-Live, tranquillou bilou, va essayer de nous faire croire que le pire ennemi de la Rome républicaine archaïque, ce n'est pas les Samnites, c'est la montagne.

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En effet, piégés entre les montagnes, les Romains en restent comme deux ronds de flan : 😮 😮
Puis, pour ne pas rester à rien faire, ils sortent leurs pelles et commencent à CONSTRUIRE DES TRUCS.
Tite-Live relève pourtant que dans le cas qui nous occupe cela ne sert à rien. N'empêche. Ils creusent. Ils bâtissent.
SOOO Roman.

@hist_myth bah Julot il résolvait pas ça en construisant des trucs si j'ai bien suivi ?

@gfadrelle Cf. pouet suivant :D

Pourtant quiconque a un peu lu des récits de batailles antiques le sait : le belligérant qui réussit à encercler l'autre, ou à obtenir une position surélevée par rapport à l'autre, a un avantage énorme dans tout combat ou tout siège.

Bref, l'avantage des Samnites est DÉMENTIEL.
En cas de bataille les Romains sont foutus. Les Samnites le savent. Les Romains le savent. Les consuls le savent et le savent tellement bien qu'ils n'essayent même pas de tenir un conseil de guerre.

Sans compter que les Romains, coincés dans leur trou, risquent de crever de faim plus vite qu'ils ne livreront bataille.

Bref. C'est la merde et les Romains passent toute une nuit à échanger plans absurdes de charge désespérée et propos dépressifs.

Les Samnites eux-mêmes sont un peu perturbés.
Après s'être foutus de la gueule des Romains et de leur frénésie de construction, ils restent décontenancés : que faire de cette armée ennemie tombée toute crue dans leur bec ?

Ils envoient alors un messager au Samnite le plus avisé qu'ils connaissent : Herennius Pontius, papa de Gaius Pontius, vieux, sage et énigmatique.

— Renvoyez les Romains chez eux au plus vite sans leur faire aucun mal, répond Herennius Pontius.

"Oula keskidi, c'est débile comme idée, il a pas dû comprendre la question", font les Samnites, et ils renvoient un messager pour demander une autre idée.

— Passez tous les Romains par le fil de l'épée sans en épargner aucun, répond Herennius Pontius.

"Oulala mais c'est un radical extrémiste dangereux !!! et en plus c'est pas logique avec sa première réponse ??" s'interrogent les Samnites.

— Samnites ! intervient le général Gaius Pontius, je connais bien mon père et laissez-moi vous dire que, ça y est, la sénilité a eu raison de sa sagesse, il débloque le vieux schnoque. Mais si ça vous fait plaiz, allons le chercher en personne et lui demander pourquoi tant de radicalité et pourquoi pas une solution de compromis.

Convoqué, Herennius Pontius s'explique : soit les Samnites choisissent la non-violence, épargnent complètement les Romains sans rien leur demander, et se font de Rome une amie pour la vie ; soit ils restent ses ennemis et autant exterminer son armée. En effet, battus mais épargnés, les Romains chercheraient à se venger par tous les moyens

— Mais enfin, doit y avoir un juste milieu ! on n'est pas des barbares... mais on n'est quand même pas des faibles, protestent les Samnites.

Pendant ce temps, les Romains tout flippés envoyaient aussi des négociateurs aux Samnites pour demander si on pouvait faire la paix. Mais à des conditions équitables, hein. Sinon, baston.

— Baston ? se gausse Gaius Pontius, mais elle est déjà gagnée la bataille, là. Vous êtes nos prisonniers. Et puisque vous ne savez pas admettre la défaite, on va vous apprendre.

Gaius Pontius pose alors ses conditions : les Romains devront passer sous le joug.

Alors, ici, un brin de mise en contexte.

Passer sous le joug semble être une sorte de rituel guerrier/religieux propre aux peuples d'Italie. Une armée victorieuse peut planter un joug (ce truc auquel on attelle les bœufs) sur des poteaux et ordonne aux vaincus de passer dessous. Ce rituel est bien sûr signe de soumission, en plus c'est très humiliant, il faut se courber, la symbolique de l'animal domestique est pas honorante. D'ailleurs, à en croire Livounet, Rome a déjà fait passer sous le joug plusieurs armées qu'elle a vaincues.

Gaius Pontius exige donc des Romains :
> qu'ils passent sous le joug, sans arme et avec un seul bout de tissu
> qu'ils fassent évacuer le territoire samnite de leurs armées et colonies
> et que tout le monde vive en paix chez soi.

— S'humilier et faire la paix, réagissent les Romains, mais c'est trop pas juste ! Plutôt crever !

Enfin, Lucius Lentulus, lieutenant romain, plaide pour la reddition. Car si les armées des consuls sont détruites, comment la cité de Rome va-t-elle se défendre ?

Les consuls se rendent donc chez Gaius Pontius pour accepter, la mort dans l'âme. Avec une petite réserve : ils ne peuvent pas faire un vrai traité de paix, car pour cela il faut l'autorisation du peuple romain, des prêtres spécialisés et tout le toutim.
Mais ils veulent bien leur donner des otages : les consuls eux-mêmes, leurs légats, leurs questeurs, les tribuns militaires et 600 "chevaliers" (= Romains de la classe la plus riche), qui seront remis plus tard aux Samnites. Notez ce détail.

Les consuls retournent à l'armée qui est super vénère parce que bon, s'ils avaient envoyé des éclaireurs avant d'engager les troupes dans le défilé on n'en serait pas là.
Bref, les soldats ont le seum de leur vie.

Arrive le moment du joug.
Les Samnites font arracher les vêtements des consuls et les envoient sous le joug sous les lazzi.

Les Romains sont CHOQUÉS. Leurs consuls, merde ! Leurs rois en CDI ! Humiliés comme de la vulgaire piétaille ! Ils en oublient d'être en colère.

Puis toute l'armée se fait envoyer sous le joug, en suivant l'ordre hiérarchique, sous les menaces, insultes et lazzi.

Cet épisode inspirera l'expression "passer sous les fourches caudines" : expression mal foutue, vous le noterez : les Fourches caudines c'est le nom du lieu, pas du joug.

Les Romains ont tellement la honte qu'en fuyant le lieu, ils n'osent même pas aller à Capoue, leur alliée. Les Capouans doivent venir les accueillir en grande pompe pour leur remonter le moral.

@hist_myth en CDDs non ?

@harmonia_amanda Je ne vois pas de quoi tu veux parler *sifflote*

Les Capouans notent d'ailleurs que l'armée romaine est mutique, hébétée, sombre et les yeux rivés au sol.

— Oh la la cette défaite leur a fait perdre tout leur courage, toute leur énergie, c'en est fini de la puissance romaine, commentent les Capouans.
— Pas du tout, réplique un Capouan nommé Aulus Calvinus. Ils se taisent, ils gardent les yeux au sol, parce qu'ils bouillonnent secrètement de la rage de la vengeance. La "paix caudine" sera plus amère aux Samnites qu'aux Romains.

(FLIPPAAAANT)

@hist_myth À ce niveau là de la lecture, je ne comprend même pas pourquoi l'armée romaine est encore en vie Oo

@Xalofar Les Samnites n'ont pas lancé d'attaque.

Retour de l'armée humiliée à Rome. Là-bas, la ville tout entière a le seum, les drapeaux seraient en berne si une telle chose existait dans l'Antiquité, alors pour compenser les boutiques sont fermées et les vêtements rouges remisés au placard.
Les consuls honteux se cloîtrent chez eux, et un dictateur, puis des interrois sont nommés pour tenir les élections.
Sont élus Publilius Philo et Lucius Papirius Cursor : Cursy pour les intimes.

À peine élu, Publilius Philo appelle son prédécesseur Spurius Postumius devant le sénat :
— Dis-moi Spurius Postumius, c'est quoi cette "paix caudine" toute naze que tu nous as négociée ?
— Justement Philo ! Il y a un moyen de la remettre en cause ! Il y a... un VICE DE FORME !

Le sénat tend l'oreille.

— Dis-nous-en plus Spurius !
— C'est très simple ! Il ne s'agit pas d'un traité de paix en bonne et due forme... mais d'un simple accord avec pour garantie la vie d'otages (dont moi)...

... ma proposition est donc très simple : on demande aux fétiaux, nos prêtres spécialisés dans les traités de paix, de renvoyer les otages (dont moi) aux Samnites pour exécution, comme ça les dieux sont contents, l'accord de paix est nul et non avenu, et pendant ce temps vous les nouveaux consuls vous levez une armée en loucedé pour pourrir la face des Samnites !

Admiration chez le sénat.
Tant de dévouement à la domination impérialiste romaine, tant de pulsions suicidaires, c'est beau.

— Euah mais attendez, font deux des tribuns de la plèbe, nous aussi on fait partie de la liste d'otages. On peut pas se faire envoyer comme ça pour étripage chez l'ennemi. D'abord on a rien fait, et puis on est sacrosaints.
— Rhoo les autres ils veulent même pas se faire tuer pour la Grandeur de la Patrie, s'indigne Spurius Postumius.

Suit un long discours pour montrer qu'il suffit d'envoyer 620 personnes se faire tuer pour recommencer la guerre et restaurer la gloire de Rome.

(FLIIIPPAAANT)

Le discours convainc tout le monde, y compris les tribuns récalcitrants (très réaliste ), et tous les otages démissionnent de leurs fonctions pendant qu'une armée de volontaires est levée à toute vitesse. Rome a la niaque, elle veut venger l'humiliation.

Et tout ce beau monde, armée vengeresse, fétiaux pour rejeter la paix, otages enchaînés (dont Spurius Postumius qui demande même à ce qu'on resserre bien ses liens comme un pratiquant du bondage) part pour Caudium parler aux Samnites.

@hist_myth J'ai bien compris qu'ils ne l'ont pas fait, mais j'ai pas compris pourquoi !
À ce niveau là, c'était pas la peine de faire une embuscade.

@Xalofar Probablement parce qu'ils n'avaient pas vraiment besoin d'attaquer, juste de camper sur leurs positions et d'attendre que la faim mate les Romains. Ce qui est moins risqué pour les soldats...

Arrivé au camp samnite, Aulus Cornelius Arvina, prêtre fétial, fait un discours rituel que je résumerai en ces termes :

— Hey les Samnitous ! Savez quoi, y avait un VICE DE FORME ! La paix elle vaut pas na na na ! Voici vos otages !

Pour rajouter une couche, Spurius Postumius, livré aux Samnites et donc samnite selon une logique religioso-juridique qui nous échappe, balance un coup de pied dans le tibia du fétial et clame :

— Je suis citoyen samnite et j'ai agressé un Romain ! GUERRE !!

Gaius Pontius, qui observe ce manège, fume de rage devant tant d'esprit procédurier, clame que c'est pas du jeu.

Furieux, il libère les otages pour signifier aux dieux qu'il n'accepte pas le deal et que les Romains sont bien les violateurs du traité.

Les dieux ne donnent pas leur avis, mais la guerre est bien redéclarée.

"Bordelum de merdus, songent les Samnites, on aurait dû faire comme disait le vieux et tous les libérer ou les buter." Et déjà ils dépriment.

Pourtant le début de cette nouvelle guerre leur sourit : la cité de Satricum rejoint leur camp et ils prennent la colonie romaine de Fregellae sur une ruse et en cramant la population.
À Rome, les consuls se répartissent les tâches : Cursy part pour Luceria où sont détenus les chevaliers romains otages (comme quoi y en avait bien qui étaient otages ?)...

... et Philo va affronter les légions samnites stationnées à Caudium sur le territoire samnite.

Trouvant trop risqué de secourir Luceria contre Cursy, les Samnites font face à Philo.
Or avant même la bataille, les armées romaines sont hypées à mort. Et que j'accours à la convoc du consul, et que je hurle "bastooooon" à l'assemblée de l'armée... et que je déclenche la bataille sans attendre les ordres, et que je charge glaive en main sans perdre de temps à lancer les javelines !

@hist_myth Donc, si j'ai bien suivi : les romains choisissent délibérément d'envoyer une quantité non-négligeable des leurs se faire tuer par les samnites juste pour se persuader qu'ils sont légitime à continuer de s'entre-tuer avec lesdits samnites, et ceux-ci en retour décident de ne pas tuer les romains qui ont été envoyés pour ça histoire de continuer à s'entre-tuer avec les (autres) romains mais en se persuadant que ceux-ci ne sont pas légitimes pour ça ?

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Devant la furie vengeresse des armées romaines, les Samnites ne tiennent pas le coup : défaite, déroute, fuite des Samnites jusqu'en Apulie, et rassemblement des troupes à Luceria.

Cependant Cursy, marchant (cette fois par la route la plus sûre je suppose) vers Luceria, trouve toutes les cités et tous les peuples qu'il rencontre plutôt proromains et antisamnites, tellement les Samnites, dont la razzia est une des pratiques favorites, se sont fait haïr des locaux.

@elzen Pour bien comprendre leur attitude, il faut d'abord débrancher notre cerveau rationnel et athée (ou croyant moderne), et brancher un cerveau antique polythéiste.

Dans l'idée de tous ces gens, les dieux sont là, les regardent faire et vont prendre parti pour le peuple qui respectera le mieux les rites.

Le contrat initial est : soit vous faites la paix et les otages survivent, soit vous faites la guerre et on exécute les otages. Quiconque viole le contrat sera puni par les dieux.

@elzen Les Romains livrent les otages pour dire aux dieux : nous, on préfère la guerre, on remplit donc notre part du contrat pour montrer qu'on ne viole pas le rite et qu'on doit être soutenus.

Les Samnites refusent les otages pour dire aux dieux : nous, on considère qu'on est en paix, et si les Romains nous font la guerre ils violent le rite et doivent être punis par la défaite.

Ceci posé, chaque camp prépare la guerre et le sort de la guerre montrera qui a réussi à convaincre les dieux.

@elzen Évidemment pour nous c'est super exotique. Parce que même ceux d'entre nous qui sont croyants n'imaginent pas que les dieux agissent de cette manière dans le monde.

Brett Devereux, chercheur en histoire militaire antique que je vénère, a fait de super articles sur la religion antique et son fonctionnement rituel : https://acoup.blog/2019/10/25/collections-practical-polytheism-part-i-knowledge/

@hist_myth

mais est-ce que Cursy est cursed ?

@nikolavitch Ben pas trop apparemment.

Son nom est d'ailleurs Cursor, "celui qui court", ce qui peut signifier la rapidité.

@hist_myth Oui, quand on essaye de suivre leur farçon de penser, avec pour objectif de prendre les dieux à témoins parce que c'est eux qui décident du résultat, ça semble effectivement assez logique.

Mais le décalage avec notre façon de penser à nous est assez énorme, et à titre perso, je pense que c'est plutôt une bonne chose ^^" Ceci dit, l'exercice d'essayer de comprendre comment ils comprenaient les choses est toujours super intéressant. Je vais creuser ça, merci pour la ref' ! :D

Cursy arrive cependant à Luceria, qui est tombée aux mains des Samnites dans une ellipse du récit, et met le siège. Malgré un soutien des locaux qui ravitaillent l'armée romaine en blé, ses troupes manquent de crever de faim. Pareil pour les assiégés, qui ont tout juste de quoi tenir.

Heureusement pour Cursy, Philo libéré par sa victoire rapplique, ce qui permet à Cursy de piller le territoire pour avoir plus de bouffe.

Un seul espoir pour les Samnites, donc : une nouvelle bataille.

Après s'être cassé les dents sur la furie vengeresse de l'armée de Philo, les Samnites jouent le match retour contre Cursy.

C'est là qu'arrive soudain...

... une délégation de médiateurs.

— Romains, Samnites ! On est des Grecs de Tarente, et on voit que vous vous écharpez, or vous savez quoi, nous on veut la paix et pas la guerre. Alors vous allez tous vous faire des bisous et être des amis, et si y en a un qui est contre, on se range de l'autre côté pour lui mettre une raclée.

— Oh, c'est beau ce que vous dites, fait Cursy, laissez-moi juste en parler à mon collègue Philo et je reviens vers vous. Philooo ?
— Yep, Cursy ?
— T'en es où des préparatifs de bataille ?
— On est prêts à tout casser Cursy.
— Excusez-moi ? m'sieur le consul ? C'est encore nous les Tarentins, on peut reparler de la paix ?
— Ah oui la paix! eh bien regardez nos poulets sacrés, ils mangent bien le grain, ça veut dire que les dieux sont avec nous pour la baston. Merci encore et bonsoir chez vous !

@hist_myth autre aspect qui ne peut que tracasser un soldat romain mascu : au joug, on met des bœufs, lesquels ont pour caractéristique d'avoir été castrés. Le sous-entendu sur la virilité est assez fort.

@jehansanspour J'ai lu un érudit qui disait que y avait une sorte de rituel magique de perte de l'énergie guerrière virile en effet.

Et Cursy fait avancer ses troupes en rigolant : les Grecs, on les a vus dans le livre VIII, ils savent pas faire la paix chez eux, alors faire celle des autres, c'est gonflé.

Perso je trouve les Romains assez désagréables dans ce passage, mais je vous laisse juges.

Les Samnites, eux, clament qu'ils sont d'accord avec Tarente et qu'ils ne déclencheront pas la bataille.

— Si vous vous défendez pas ça me va, dit Cursy, et il fait donner l'assaut sur Luceria.

Et les Romains ont encore la niaque.

CW guerre, massacre

Tellement la niaque qu'ils déferlent sur la ville en clamant que cette fois c'est une vraie baston où on s'affronte pas par la ruse dans des défilés mais en Vrébonshommes, et ils défoncent toutes les défenses de la ville et massacrent tout ce qu'ils trouvent. Il faut que le consul les calme en leur rappelant qu'il y a des chevaliers romains otages à sauver pour éviter une extermination générale de la population de Luceria.

Après ça, la garnison samnite qui tient Luceria est un peu coincée, d'autant que les Apuliens qui entourent la ville virent proromains, et qu'elle crève de faim : aussi négocie-t-elle sa reddition.

— Une reddition, hein ? raille Cursy. J'ai pas trop d'idées pour les conditions de la reddition, peut-être qu'on devrait demander à votre chef Gaius Pontius ce qu'on doit faire aux vaincus?

Ainsi, répliquant revanchardement le rite des Fourches caudines, il envoya sous le joug 7000 soldats samnites.

Ainsi, en deux ans après la défaite humiliante des Fourches caudines, Rome prend sa revanche par trois fois : une bataille rangée menée par Philo, une autre bataille menée par Cursy, et la prise d'une ville avec humiliation de l'armée ennemie.

En plus, dans certaines versions, Gaius Pontius lui-même fait partie des soldats samnites défaits et humiliés.

Tite-Live déclare hautement que jamais Rome n'a connu d'aussi brillante remontada !

(Cela me paraît perso un peu trop beau pour être vrai.)

Les otages romains sont libérés, après une petite aventure de l'armée romaine à Satricum leur garnison samnite est massacrée et la ville récupérée, la guerre est (provisoirement) terminée, et Cursy rentre à Rome pour célébrer, dit Livounet, le triomphe le plus mérité après celui de Marcus Furius Camillus au livre V — et pour Livounet ce n'est pas un *petit* compliment.

Suit un portrait très élogieux de Cursy en chef endurant et dur qui sait tenir ses hommes. Et aussi très bon au sprint.

Un chef peut-être aussi grand, aussi bon et doué à la guerre que (wait for it) le célèbre Alexandre le Grand !

Ce qui déclenche, tout à coup, une énorme digression de Tite-Live.
Sur un thème que j'oserais qualifier de quasi uchronique :
Si Alexandre le Grand avait attaqué Rome à l'époque, qui aurait gagné ?

Rome, pense bien sûr Livounet.
Et avec l'impartialité dont il fait si souvent preuve il vous prouve ça en 3 chapitres entiers.

Je vous fais grâce de son argumentation.

Maintenant que Rome a connu l'humiliation et s'en est relevée plus vite et avec plus de déni que les macronistes de leurs défaites électorales, comment va-t-elle assurer sa domination sur le reste de l'Italie ? Et la lectrice arrivera-t-elle à résumer ce qui reste du livre IX sans sombrer dans un ennuyeux catalogue de batailles ?

Vous le saurez dans un prochain épisode !
Merci pour la lecture !

@hist_myth manque de bol, Alexandre était mort deux ans avant les fourches caudines (si je sais faire une comparaison de date BC ^^)

@gfadrelle Oui, si je ne dis pas de bêtises Tite-Live croit qu'il est encore vivant car lui-même se trompe de quelques années dans la chronologie.

@hist_myth Tite-Live, embellir la réalité au profit de Rome ? Qui le croirait ?

@harmonia_amanda C'est si beau que ça mérite un repouet.

@hist_myth ça c'est de la diplomatie.

@harmonia_amanda Disons que l'ONU c'est vachement moins efficace sans casques bleus.

@hist_myth et puis bon L. Papirius Cursor a pas tout à fait tort à propos des Grecs qui se foutent sur la gueule mais prétendent pouvoir faire la paix ailleurs. Y a pas des masses d'antécédents favorables dirons-nous

@harmonia_amanda Je vois aussi là-dedans un choc entre la morale pragmatique et militariste des Romains (la valeur morale tient dans le courage à la guerre, et tant qu'on gagne à la guerre, c'est que les dieux sont avec nous et donc que ce qu'on fait est bien) et l'éthique et la politique grecques déjà imprégnées de concepts philosophiques comme la justice. (et il existe déjà un pacifisme dans le monde grec à l'époque, chez Aristophane par exemple)

@hist_myth oh on bouge vers des conversations beaucoup plus sérieuses et pas l'ironie d'un dimanche soir sur le fedivers ^^

@harmonia_amanda Oui, on sent que je suis en congés demain :D
Après, je peux surinterpréter !

@hist_myth le pragmatisme romain (y compris leur approche très contractuelle de la religion) a certainement permis d'ignorer longtemps des concepts plus... éthérés... comme la justice ou l'éthique.
Tant qu'il y a un précédent et qu'on peut penser que ça correspond au mos maiorum ça passe, on ne va pas se prendre la tête non plus.

@harmonia_amanda Après, on peut trouver des exemples d'éthique à la romaine, je pense à Camillus épargnant les jeunes nobles d'une cité ennemie qui lui ont été livrés par la traîtrise.

@hist_myth Lire le nom d'Aristophane.

Penser « hippocampéléphantocamélos ».

@hist_myth oh oui, il y en a, mais souvent sans l'emballage philosophique il me semble, davantage un "bon j'ai été gentil quand je n'avais pas à l'être, regardez comme Rome c'est bien"
Je ne pense pas qu'une société réellement sans éthique pourrait survivre longtemps ; mais chez les Romains c'est subordonné à d'autres considérations.
Même si j'aime me fiche de la gueule de Livounet le dimanche soir, le fait est que Rome n'était pas nécessairement la pire voisine.

@harmonia_amanda Disons que si tu résistes pas à Rome elle va laisser tes institutions sur place, intégrer tes dieux dans son panthéon, potentiellement donner la citoyenneté à tes notables et faire rentrer ta population dans son système en l'exploitant pas tellement plus qu'elle n'exploite la sienne.

@harmonia_amanda après, bon, c'est l'Antiquité... ... ... ...

@hist_myth voilà, t'es un fermier de base (ou pire, une fermière), la domination romaine c'est pas la fin du monde

@harmonia_amanda Ca dépend de si Rome a décidé que ton peuple doit être puni ou non, parce que si oui c'est la grosse merde (et tu peux voir des colons romains prendre ton terrain).

@hist_myth c'est pas comme si les autres étaient mieux.

@hist_myth ceci dit pour revenir à l'ambiance d'un dimanche soir, le perpétuel choc culturel entre les Romains "tout est contrat, vous feriez mieux de lire les petites lettres" et les autres peuples est comme un gag sans cesse renouvelé.
Les Romains s'indignent à chaque fois que leurs adversaires violent un traité mais ne semblent honnêtement pas voir que vu de l'extérieur, leur manie de chercher des échappatoires quand ça les arrange revient au même.

@harmonia_amanda
Contrairement à la croyance populaire les Romains ne sont pas un peuple de fameux guerriers, mais un peuple de fameux juristes.

@hist_myth SURPRIIIIIIISE !

Ah bah merde ces cons ont fait une embuscade dans l'endroit idéal pour faire une embuscade ^^

@gfadrelle Je relis ce message et je songe à la décharge des Romains qu'à l'époque les cartes géographiques n'existaient pas vraiment et qu'ils ne connaissaient peut-être pas tellement le terrain vu que c'était pas leur territoire.

@hist_myth

Mais y'a vraiment que les injures et la courbure sous le joug, ou y'a d'autres outrages que la décence ne permet pas de raconter et qui expliqueraient le traumatisme persistant ?

@jehansanspour

@lienrag @jehansanspour Ce n'est pas attesté dans les textes. En revanche il y a d'autres vexations symboliques ou "économiques" : donner ses armes et une partie de ses habits au vainqueur. (Et le métal des armes ou le tissu des habits ça coûte bonbon)

@hist_myth Ben c'est pas ce qu'expliquait Devereaux justement ?

@lienrag Hmm il mettait face à face les royaumes hellénistiques et la Rome des guerres puniques (pas celle du IVe siècle).
Et surtout Livounet donne pas du tout les mêmes raisons.

@lienrag
En gros :
> Alexandre est un fichtrement bon stratège mais à Rome ils en avaient cinquante des fichtrement bons stratèges à la même époque
> la population romaine était très importante et l'armée romaine très nombreuse (le seul argument intéressant du tas)
> les soldats romains sont de vrébonshommes et pour savoir faire la guerre y a pas mieux
> les Romains étaient encore purs, forts et virils alors qu'Alexandre à la fin de sa vie était tout décadé