Le Livre d'Argent

Ce soir, et pendant que mon homme cuit la soupe, laissez-moi vous parler de la tyrannie des Trente à Athènes. Au menu : une défaite dans un conflit idéologique, une dispute entre oligarques, une expérience autocratique traumatisante, un général démocrate bizarrement occulté par la tradition et un orateur bien vénère !

Les Trente, ou année 404 : democracy not found, UN THREAD ⬇️

Gravure en noir et blanc d'Andrea Alciato (15e siècle) : Thrasybule couronné par une couronne de laurier. Au centre, Thrasybule, dans une armure à juppette qui évoque vachement plus Rome que la Grèce, a l'aspect d'un jeune homme aux cheveux mi-longs, et semble impassible. Il est entouré de vieillards en toge/manteau à l'air bienveillant, qui dépose des lauriers sur sa tête. En arrière-plan, deux figurants lèvent les mains au ciel comme pour l'invoquer ou le prendre à témoin.

Avant de vous parler histoire , je vais faire un truc très intello et vous parler sources. Cet épisode historique nous est raconté par trois types :
1/ Aristote (oui, cet Aristote) dans la Constitution des Athéniens
2/ Xénophon (oui, ce Xéxé : https://mastodon.top/@hist_myth/110147289170416517 ) dans les Helléniques
3/ un orateur, Lysias, dans son discours Contre Ératosthène

Des sources plutôt proches de l'événement : Lysias et Xénophon vivaient à Athènes à l'époque, et si Aristote est né seulement 20 ans après.

Maiiiiis ces sources sont vachement partiales sur le plan politique. Aristote a des sympathies en faveur d'une oligarchie modérée, et Xénophon, on l’a vu en parlant de l’Anabase, il n’y a rien qu’il kiffe tant qu’un petit autocrate virilomascu ; en même temps, en parlant des Trente il sent bien qu’il peut pas trop défendre l’indéfendable.

Enfin Lysias qui est sûrement le plus démocrate des trois est aussi pas du tout objectif.

Cela aura des conséquences, on en reparlera.

DONC ! nous sommes à la fin du Ve siècle av. J.-C. et Athènes est une démocratie. Directe. En revanche, c’est pas la démocratie de vos rêves. Plutôt une majoritocratie impérialiste qui exclut les femmes, les étrangers, les esclaves, avec une certaine obsession pour une forme de pureté ethnique du corps civique.

Athènes se fritte depuis 431 av. J.-C. avec Sparte, qui n’est *pas du tout* une démocratie. Je vous invite à lire Brett Devereaux si vous voulez en savoir plus : https://acoup.blog/2019/08/16/collections-this-isnt-sparta-part-i-spartan-school/

Le conflit entre Athènes et Sparte prend la forme d’un conflit idéologique : démocratie VS oligarchie. Chaque cité impose à ses "alliés" son propre régime politique.

La guerre n’est d’ailleurs pas une expérience de tout repos pour la démocratie athénienne, et en 411 av. J.-C. un régime oligarchique a tenté de se mettre en place à Athènes : les Quatre Cents. En gros, un conseil de 400 personnes, appuyé sur un corps civique de 5000 citoyens, dirigeait la cité avec les pleins pouvoirs.

Mais ce régime oligarchique se cassa la figure en 4 mois après des défaites militaires.
Passons en avance rapide à l’année 405 av. J.-C. Athènes, après avoir refusé de négocier la paix avec Sparte, perd la bataille navale d’Aigos Potamos. Grosse grosse déconfiture. Lysandre, chef militaire spartiate, installe un blocus en face du port athénien du Pirée. Les navires ne peuvent plus ravitailler la cité, et Athènes, en état de siège, subit une famine monstrueuse.

– Ça craint, font les Athéniens par-dessus le gargouillis intense de leurs estomacs vides. Faudrait… soupir… négocier la paix. Mais comment faire sans que Sparte détruise notre puissance maritime, et prenne en otage des tas de gens qu’on aime ?
– N’ayez crainte, citoyens ! retentit tout à coup une voix.
– Qui parle ?
– Moi, Théramène !
– Toi, Théramène, l’un des artisans du coup d’État oligarchique des Quatre Cents avant de retourner ta veste et faciliter un retour à la démocratie ?

@hist_myth Le discours contre Ératosthène, j'espère qu'un jour on le passera au crible.

@aaribaud Hu hu hu (dommage que ce soit pas le même Ératosthène)

– Exactement ! Je vais vous négocier une paix aux petits oignons, où on gagne tout et où on perd rien. Pour ça… j’ai un secret. Faites-moi confiance.
– Ouh, un secret, trop cool mystérieux, allez, va négocier à Sparte. Mais écoute, y a deux points non négociables : on veut garder notre port du Pirée, et on veut aussi garder les Longs Murs qui relient directement Athènes au port et empêchent la prise de celui-ci. Ça assure notre puissance maritime.

Une ambassade part donc pour Sparte.

L’ambassade se passe comme suit :
– Euah, bjour msieur Agis le roi n°1 de Sparte, désolé pour la guerre de trente ans, mais vous voulez pas qu’on fasse la paix ?
– Oula, faut pas demander ça à moi, faut demander ça aux éphores.
– Euuuh bjour msieurs les éphores magistrats de Sparte, kikou pardon, vous voulez pas qu’on fasse la paix ? Ça presse, on commence à avoir plus de quoi grailler.
– Oula, faut en parler à Lysandre, notre général peut-être ?

L'ambassade finit par aller voir Lysandre.

– Faites excuse msieur Lysandre, mais vous voulez pas qu’on fasse la paix ?
– Faites une offre. Mais pour moi il y a un point non négociable.
– Nous aussi on a des points non négociables...
– Dites-moi les vôtres, je vous dirai le mien.
– Les nôtres c'est qu'on veut surtout pas détruire les Longs Murs...
– Le mien c'est que vous détruisiez les Longs Murs.
– Oups.

Théramène cependant fait traîner l'ambassade trois mois, et rentre à Athènes le 4e.

Là-bas, les Athéniens affamés sont sur le point de s'autodigérer. Théramène leur rapporte les conditions, et après quelques tergiversations, Athènes accepte :
> de raser une partie des Longs Murs
> de rappeler tous les opposants politiques bannis pendant la guerre
> de réduire à peau de chagrin sa puissance maritime
> d’aligner sa politique extérieure sur celle de Sparte

Ce à quoi les Spartiates ajoutent : "vous devez garder les institutions politiques de vos pères".

Qué la constitution des pères ? La question suscite le débat, et trois partis s’opposent.
Les démocrates veulent garder le régime en l'état : par exemple un certain Thrasybule, jadis victorieux dans la guerre, mais dont la carrière est inexistante depuis quelques années.
Les oligarques comprennent "les institutions des pères" comme une injonction à instaurer une oligarchie modérée : c'est le cas de Théramène.
Et enfin les grandes familles aristocratiques veulent une oligarchie pure et dure.

Alors qu'à l'assemblée du peuple, les débats font rage, voilà que Dracontidès, partisan de l'ultra-oligarchie, propose une motion :
On nomme trente magistrats avec les pleins pouvoirs, chargés de rédiger de nouvelles lois constitutionnelles.

– Wooh, fait le peuple, mais c'est renoncer à la démocratie ça !!
– Soyons réalistes, fait Théramène, d'abord j'ai croisé plein de gens en ville qui étaient d'accord avec cette idée, et puis vous savez qui la soutient ? Lysandre. Celui qui vous assiège.

Lysandre rajoute une couche en reprochant aux Athéniens de ne pas respecter le traité de paix.
De toute façon on peut supposer que les Athéniens ne s'entendaient plus penser avec tous leurs gargouillis d'estomac, et pour survivre, ils cèdent, et votent pour la proposition de Dracontidès.

– Eh ben voilà vous voyez quand vous faites des efforts, grommelle Lysandre, et il lève le siège. La ville libérée peut enfin respirer.

On nomme donc trente magistrats, tous oligarques et certains de très très grandes familles :
Polycratos, Critias, Mélobios, Hippolokhos, Euclidès, Hiéron, Mnésilokhos, Khrémon, Théramène, Arésias, Dioclès, Phédrias, Chéréléôs, Anétios, Pison, Sophoclès, Ératosthène, Khariclès, Onomaclès, Théognis, Aiskhinos, Théogénos, Cléomèdès, Erasistratès, Phidon, Dracontidès, Eumathès, Aristotelès, Hippomakhos, Mnésithidès.

Le plus connu d'entre eux est Critias. Qui est aussi l'oncle du philosophe Platon.

Critias est beau, Critias est jeune, Critias est poète et auteur de théâtre. Et Critias a la niaque.

Les trente magistrats doivent donc écrire des espèces de lois constitutionnelles (désolée pour l'anachronisme). Et ils... prennent leur temps. Rien ne presse. Ils sont au pouvoir après tout.

En revanche ils nomment vite fait un conseil resserré de 500 citoyens pour les décisions politiques, 10 "archontes" (dirigeants) du port du Pirée, 10 gardiens de prison et surtout 300 gardes armés de fouet.

Symboliquement, c'est rude, car à Athènes on ne fouette pas les citoyens : c'est un traitement jugé dégradant, pour les esclaves, et vous pouvez même faire un procès à quiconque vous fait violence.

Mais les Trente commencent par des mesures "modérées" selon nos auteurs pro-oligarchie : renforcer le tribunal traditionnel de l'Aréopage, clarifier les lois douteuses, renforcer le droit de succession... décourager la délation... interdire les orateurs/sophistes qui font rien que de la propagande...

... arrêter les auteurs de dénonciations calomnieuses...
... demander à Sparte une petite rallonge de troupes pour maintenir l'ordre...
... une fois les troupes en ville, jeter en prison des "fauteurs de trouble" potentiels...
... à un moment, faire s'exiler plein de démocrates dont Thrasybule de Stiria qui file pour de Thèbes...
... éliminer toutes les personnes d'assez haut rang pour être en mesure de former une opposition...

Bref un programme que l'on qualifiera de Poutine années 2000.

[la suite après ma soupe]

À en croire Xénophon, c'est vers ce moment-là, quand les Trente font exécuter avec fort peu de procès des gens importants parce qu'ils sont importants, que Théramène commence à s'alarmer.
Car Théramène, lui, est un oligarque *modéré*. Comprenez : ce qu'il veut, c'est mettre l'élite (politique, économique, militaire) au pouvoir.

Alors, si on commence à faire mourir des riches !! Il a pas signé pour ça !

Il commence à engueuler Critias.

Critias lui réplique, aux dires de Xénophon :
"Parce qu'on est trente et pas un seul, tu crois qu'il faut employer des moyens moins violents qu'une tyrannie pour conserver le pouvoir ? Tu es bien nigaud." (Traduction libre.)

Le ton est donné. Les Trente ne sont plus une oligarchie, gouvernement de quelques-uns, mais une tyrannie, un gouvernement illégitime assuré par la violence.

Cependant deux des Trente, Théognis et Pison, ont une idée.
– Les amis, le trésor est vide. (Et nos poches aussi.)

"Eh bien pour le/les renflouer, on a une idée. Vous voyez les metoikoi ou métèques [étrangers résidant à Athènes privés de tout droit politique ainsi que leurs enfants, formant ainsi une classe de résidents non citoyens malgré leur intégration parfois depuis des générations] ? Certains sont riches. TRÈS riches. Et certains sont aussi nos opposants politiques.
– Et donc ?
– Et donc, à nous 30, on choisit un métèque chacun, on le condamne à mort et on prend tous ses biens.

C'est ainsi que les Trente lancèrent une espèce de purge anti-métèque dans la cité, dans le but (disent les trois sources) de s'enrichir personnellement en empochant les biens réquisitionnés.

En plus, et pour l'Antiquité c'est extraordinairement rare, on a le témoignage d'une de leurs victimes. Lysias, l'auteur de discours.

Lysias et son frère Polemarkhos sont les fils de Kephalos, un étranger venu s'installer à Athènes trente ans plus tôt.

À l'échelle d'une cité grecque, les deux frères ont des thunes, et attirent donc la convoitise des Trente.

Lysias raconte comment il est arrêté chez lui, en plein repas, par les hommes de Puson qui chassent tous ses invités. Pison fait irruption chez lui.

Lysias, qui a le choix entre mourir et raquer, promet un talent d'argent (moult, moult thunes pour l'époque) à Pison s'il lui laisse la vie sauve. Pison jure, Lysias ouvre un coffre, et Pison empoche les 3 talents qui s'y trouvent.

– Laisse-moi au moins de quoi vivre, supplie Lysias, et Pison lui réplique :
– Tu vas t'en tirer, tu devrais t'estimer heureux.

Mais Lysias manque quand même d'y passer parce qu'à la sortie de chez lui deux autres des Trente l'alpaguent et le parquent avec d'autres victimes dans une maison. Coup de bol, c'est la maison de Damnippos, est un ami de Lysias, et il la connaît par cœur. Il finit par s'enfuir en profitant de ce que les portes ne sont pas gardées.

Son frère n'a pas eu cette chance.

Pendant que Lysias réussit à s'enfuir jusqu'au port du Pirée, Polemarkhos son frère est arrêté, dépouillé et mis à mort par le tyran Ératosthène.

Cependant Théramène, que nos sources s'échinent à présenter comme plus sympa, refuse de jouer à ce jeu-là.

– Moi, dit-il, je pense que votre gouvernement va jamais durer. Si on écarte du pouvoir toute l'ÉLITE importante des gens BIEN qui ont des SOUS, on va jamais tenir.
– Bon, si c'est comme ça, on va l'inclure ton élite, grognent les autres.

Ils produisent alors une liste de 3 000 citoyens associés au pouvoir, à la manière du conseil des 5 000 de la première tentative oligarchique. Les 3 000 ont certains droits, par exemple ils ne peuvent pas être mis à mort (sans jugement?), et bien sûr les Trente sont tous inscrits sur la liste.

En plus les 3000 sont les seuls à posséder des armes. Ambiance.

Mais Théramène est toujours critique.
– 3000 c'est un nombre débile. Qu'est-ce qui garantit que ce sont tous des gens BIEN [= riches] ?

@hist_myth "que nos sources s'échinent" c'est parce qu'il y a aussi un Eschine collègue d'Eratosthène.

En passant, les personnages de Polémarque et Céphale représentent l'Opinion commune sur la justice au début de la République de Platon - alors que Critias est censé représenter la critique de l'hubris athénienne dans le mythe de l'Atlantide dans le dialogue qui porte le nom du tonton de Platon.

@phersv Platon avait un tonton vraiment très gênant.

– Mais il nous court sur le haricot, font les 29 autres.
– Et puis, supprimer les métèques pour empocher leur moula, c'est pas tiptop, que dira-t-on de nous, je m'inquiète des sondages de popularité.
– Mais il est relou, s'agacent les 29 autres.

En plus, à l'extérieur [nous dit Aristote] les exilés démocrates organisent la résistance. Ils ont pris une forteresse, Phylé. Les Trente ont bien essayé de la reprendre, mais en vain.

Du coup ils sont de mauvaise humeur et pas ouverts à la critique.

Les 29 montent le conseil des 3000 contre Théramène, qui de plus en plus agit comme un opposant politique. Ils arment même une troupe de jeunes de poignards pour faire un coup de force au besoin.

Enfin, un jour, Critias propose au vote deux lois :
Quiconque n'est pas sur la liste des 3000 peut être mis à mort sans jugement par les 30.
Quiconque a mené une tentative contre la première oligarchie d'Athènes, les Quatre Cents, sera mis à mort.

Théramène commence à suer à grosses gouttes.

Parce que bon, lui-même, après avoir participé à fonder le régime des Quatre Cents, l'a sapé à la base. Clairement la loi le vise.

Selon Xénophon, qui aime un peu trop les discours, Critias prononce alors devant le conseil des 3000 un réquisitoire contre Théramène, l'accusant de versatilité politique et de traîtrise.
Théramène se défend dans une plaidoirie où il avance que s'il change de parti politique c'est qu'il suit toujours l'intérêt général.

Ce n'est pas très efficace.

Car si le conseil des 3000 hésite, Critias, qui a toujours la niaque et passe vite à l'action, fait entrer en scène les jeunes armés de poignards, et déclare qu'il raye Théramène de la liste des 3000, et donc qu'il le condamne à mort comme un opposant au régime !

Théramène proteste ! Il embrasse l'autel de la déesse Hestia tout proche ! Il supplie le conseil de s'opposer à Critias !
En vain.
Critias le raye de la liste et l'envoie se faire exécuter.

Xénophon raconte qu'au moment de boire la ciguë, ce qui est l'équivalent athénien de l'injection léthale, Théramène a jeté en l'air des gouttes pour les rattraper dans sa coupe, comme s'il jouait à un jeu de banquet populaire chez les nobles et les riches, en clamant : "Voilà pour le beau Critias."
Un plaisantin jusqu'au bout.

Théramène crève, donc, et exit notre extrême-centriste.

Cependant, les démocrates ne restent pas les bras croisés.

D'autant que les 30 font quasi bannir de la ville les personnes hors de la liste des 3000, ce qui cause des exils qui viennent gonfler les rangs des démocrates.

[C'est peut-être à ce moment que Thrasybule doit s'exiler à Thèbes et puis qu'il prend Phylé avec 50 hommes. Entre les 3 sources la chronologie est bizarre.]

Les 30 essayent de reprendre Phylé, comme on dit, dans une escarmouche qui a lieu un jour de neige et qui tourne à l'avantage des démocrates menés par Thrasybule.

Ah là là ce Thrasybule. De façon marrante et assez curieuse on sait vraiment pas grand-chose sur lui. Il apparaît très vaguement dans la vie d'autres types plus connus, comme Alcibiade, comme Théramène, et donne l'impression d'un homme de guerre plus que d'un politique – alors que c'est quand même le chef de file de l'armée démocrate en exil, en lutte contre les tyrans les plus haïs de l'histoire d'Athènes.

C'est ça d'avoir des auteurs qui majoritairement se méfient de la démocratie.

Bon bref, Thrasybule donne une petite fessée aux Trente à Phylé, et les Trente s'inquiètent. Si ça se trouve on va les déloger à coups de pied dans le fondement. Mais s'ils avaient une base de repli ? Par exemple la ville d'Éleusis, pas trop loin ?

Critias s'assure donc de la possession d'Éleusis selon sa méthode préférée :
En faisant voter la mort de tout opposant politique potentiel à Éleusis dans un vote public à bulletin pas secret.

On sent un manque d'originalité chez ce Critias.

Et là boum patatras, une nouvelle arrive qui afflige Critias :
Thrasybule a pris le port du Pirée.

À partir de là le Pirée devient le fief des démocrates en exil, et le conflit politique commence à ressembler vraiment à une guerre civile entre deux partis :
> ceux de la ville, les Trente, leurs 3000 soutiens, ceux qui les servent ou qu'ils tolèrent, avec l'aide des garnisons spartiates
> ceux du Pirée, les outsiders, l'Athènes libre en exil... et fichtrement moins nombreux.

Les Trente envoient une armée affronter ceux du Pirée. Leur armée, en formation, fait jusqu'à 50 boucliers de profondeur. Elle est menée par certains des tyrans dont Critias en personne.

Les démocrates, en infériorité numérique, se replient sur la colline de Mounikhia. Ils n'ont que 10 boucliers de profondeur. Là, ils reçoivent des renforts des habitants du Pirée.

Ils se rangent en formation, et avant que la bataille ait lieu, Thrasybule fait un discours.

@hist_myth Intéressant, comme unité, le nombre de boucliers de profondeur. C'est pas ce qu'on croise le plus souvent, mais c'est assez parlant.
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Xénophon décrit/invente le discours de Thrasybule comme celui d'un militaire et celui d'un exilé qui veut reconquérir son pays. Il aurait motivé ses hommes à se battre en leur assénant qu'il fallait se battre pour rentrer chez soi et mettre fin à leur exil.

Pas un démocrate qui pense que la démocratie c'est bien, parce que l'idéologie, la politique, pffffouuu

Puis l'armée démocrate et l'armée oligarchique se font face. Un devin donne le signal de la bataille aux démocrates...

@elzen (je suis surprise aussi, je répète ce que dit Xéxé)

... en se lançant le premier face aux oligarques, ayant prédit qu'il y mourrait le premier, et que les démocrates auraient la victoire !

C'est la bataille de Mounikhia de 403 av. J.-C.
Que les démocrates gagnent !
Et où meurent deux des Trente, Hippomakhos et surtout Critias, le beau, le poète, le tyrannique Critias.

Et à peine la bataille est-elle terminée que (toujours selon Xénophon) les démocrates appellent l'armée oligarchique à abandonner les Trente et à les rejoindre.

Consternation dans la ville d'Athènes.
Les 27 qui restent commencent à flippouiller à l'idée que leurs fidèles les lâchent, et les 3000 se disputent.

À la fin, les Athéniens de la ville font : "Bon, les Trente sont des branquignoles ; à la place on élit un conseil restreint encore plus restreint, les Dix, on leur donne les pleins pouvoirs, on les laisse mettre fin à la guerre civile."

Ce n'est pas DU TOUT une amélioration.

Les Trente cependant se cassent d'Athènes et se réfugient à Éleusis.

Ambiance tendue dans la ville sur le qui-vive, presque en état de siège, craignant constamment une attaque.

D'autant que côté démocrate, Thrasybule gonfle ses troupes en recrutant qui il peut, et promet même les droits civiques aux esclaves qui le rejoignent.

Les Dix trouvent leurs troupes pas très fortes. On envoie alors (de la part soit des Dix, soit des Trente, les sources divergent) une petite ambassade à Sparte pour avoir plus de soldats pour mater leur propre population sivouplé.

– Allô oui c'est pour mater un soulèvement démocratique ? répond Lysandre le général spartiate. Vous arrivez pas à maintenir la constitution de vos ancêtres ? Bon, je prends mon infanterie, la flotte commandée par mon frère, plein de thunes de Sparte et j'arrive. Tenez, je fais déjà le siège du Pirée pour les vaincre par la famine.
– NOT SO FAST général Lysandre !
– Plaît-il ?
– Tu es beaucoup trop populaire ! Et ça, ça ne me plaît pas du tout !
– Oh ! Pausanias, roi n°2 de Sparte !

En effet, et c'est un des traits bizarres parmi les nombreux traits bizarres de cette cité bizarre, Sparte était gouvernée (entre autres) par deux rois, de deux lignées différentes et se réclamant toutes deux du héros Héraclès. Ces rois avaient des pouvoirs assez limités par d'autres institutions (éphores, conseil des anciens) mais souvent luttaient entre eux et avec les autres personnalités politiques de Sparte pour gagner en popularité et en puissance.

@hist_myth

Je croyais que y'avait pas de prison en Grèce antique ?

@lienrag Y a des prisons temporaires où on parque les gens avant de leur faire subir d'autres peines.

@hist_myth

Aristote, celui qui sera né 30 ans plus tard ?

@lienrag Nope, un autre.

@lienrag Ératosthène c'est pas non plus le mathématicien d'Alexandrie.

– Général Lysandre, tu veux en fait dominer Athènes toi-même !
– Oh mais non même pô vrai !
– Peuh ! Écoute, je suis jaloux comme un pou. Alors, aux dires de Xénophon, je vais intervenir dans tous tes plans et y semer la pagaille et la zizanie. Tiens, je m'impose dans ton armée grâce au soutien des éphores ! Tiens, je mène sur les démocrates du Pirée des attaques toutes pourries pour faire style ! Tiens, je les bats dans un engagement mais je négocie secrètement avec eux !
– Raaaah !

Bref, grâce à l'intervention du roi spartiate Pausanias, que Xénophon présente comme motivé uniquement par la jalousie, les troupes démocratiques du Pirée et les troupes loyalistes de la ville commencent à parler de réconciliation sous l'égide de Sparte.

D'autant plus que les Dix, qui sentent leur pouvoir vaciller, commettent l'erreur d'exécuter un riche nommé Démarétos, ce qui pousse de nouveaux loyalistes à les abandonner, et enfin ils se font à leur tour chasser et remplacer par dix autres.

Les Dix version 2, menés par Rhinon et Phayllos, optent pour une négociation avec les démocrates, et ce avec le fort soutien du roi Pausanias de Sparte qui est d'accord avec tout tant qu'Athènes et Sparte restent alliées*.

Les démocrates peuvent alors rentrer dans la ville. Ils arrivent jusqu'à l'Acropole. Et là, ils célèbrent leur retour par un sacrifice à Athéna, la déesse protectrice de la cité.

Et Athènes redevient une démocratie.

* Ça va pas durer : https://fr.wikipedia.org/wiki/Seconde_conf%C3%A9d%C3%A9ration_ath%C3%A9nienne

D'ailleurs, pour assurer le retour du régime démocratique et mettre fin pour de bon à la guerre civile, on vote une loi d'amnistie général pour tous les Athéniens pour les événements qui se sont déroulés sous la tyrannie des Trente....

... sauf quelques exceptions : les Dix (version 1), les Onze gardiens de prison, et bien sûr les Trente eux-mêmes.

C'est dans ce contexte que Lysias crée (publie ? prononce ?) son discours Contre Ératosthène, où il accuse le tyran qui a fait mourir son frère.

Furieux de l'impunité du tyran, Lysias attaque violemment et la tyrannie des Trente, et la personnalité d'Ératosthène et de Théramène, et l'inertie des Athéniens qui n'ont pas puni leurs bourreaux, dans ce discours, qui nous est parvenu sous la forme d'un réquisitoire de procès ; mais on ne sait pas si ce procès a vraiment eu lieu, et au cas où il aurait eu lieu, si Lysias l'a gagné, si la victime a pu obtenir justice sur le tyran.

En tout cas, ce qu'Aristote nous dit, c'est que de la chute des Trente à ses jours la démocratie a perduré ; et même qu'après le traumatisme de cette expérience oligarchique et tyrannique, le régime "attribue toujours le pouvoir à la foule : le peuple lui-même s'est fait lui-même seigneur, et tout se décide par des votes et des tribunaux dans lesquels le peuple détient le pouvoir."

Et c'est cette démocratie qui tiendra bon jusqu'à la conquête d'Athènes par Philippe de Macédoine.

Voilà, s'il y a une remarque à faire sur la naissances des régimes tyranniques et surtout sur leur chute :
Ces choses-là, ça naît très vite, avec le bon concours de circonstances : une menace existentielle ou ressentie comme telle, une élite déterminée à profiter de la crise, des appuis (para)militaires.
Mais ça peut aussi se casser la gueule en un an et demi, avec un mélange de résistance ferme, de chance et quand les autocrates eux-mêmes s'entre-dévorent.

Merci pour la lecture !

@hist_myth

Puson et Pison, c'est les Dupont et Dupond de l'époque ?

@lienrag Je ne vous pas de quou ti veix parler

@hist_myth

Euh ça veut dire qu'Athènes n'est plus peuplée que de 3000 familles ? Même si c'est des grandes familles à l'époque et qu'il faut y ajouter les esclaves, ça fait pas grand monde....

Et puis le principe de la tyrannie c'est pas d'avoir du monde à tyranniser ?
Donc s'ils exilent tous ceux qu'ils peuvent mettre à mort sans procès, ils vont condamner qui à mort pour égayer leurs après-midie pluvieuses ?

@lienrag Alors déjà, si c'est Xénophon qui parle le sieur n'est pas exactement à l'abri d'inexactitudes et d'exagérations poétiques.
Puis, il peut vouloir dire "la ville" au sens de la citadelle de la ville où se trouvent les temples et les institutions politiques

@lienrag Du coup les non-citoyens peuvent occuper le territoire de la cité (la khôra) où se trouvent typiquement les gens qui cultivent les champs, tout ça

@hist_myth Merci pour le récit 👏

Drôle de négociateur quand même.

@dramatease Disons que la négociation est décrite pas mal par Lysias qui ne porte pas Théramène dans son coeur.

@hist_myth

Justement ça se passait comment quand ils exécutaients quelqu'un de riche (et donc avec tout un réseau de parents, amis et alliés) ?
Le reste de la famille se dépêchait de faire allégeance pour éviter le même sort, ou bien complotait en secret pour se venger ?

C'était pas une obligation religieuse de venger ses proches, d'ailleurs ?
Le procès permet d'éviter les vengeances, mais quand y'a pas procès ?

@lienrag Dans le processus démocratique, les sentences sont votées par des jurys populaires très nombreux (et à bulletin secret), donc je suppose qu'il y a un rapport de force difficile à renverser pour une famille même puissante.

D'autant qu'il y a pas à Athènes l'institution de la clientèle qui permet d'amasser plus ou moins officiellement de petites armées personnelles.
Enfin, le Phédon de Platon laisse penser qu'avec le bon réseau les condamnés à mort pouvaient juste réussir à s'évader.

@lienrag Pour l'obligation religieuse de venger ses proches, c'est un motif dans la tragédie et dans le mythe ; dans la vraie vie... la société athénienne était plus compliquée que ça. Et ne pouvait pas vraiment obéir à une morale de ce genre, qui avait plus de sens dans l'époque archaïque qui a produit les mythes, dans des sociétés dirigées par des aristocraties guerrières.

@hist_myth The international renown of @bretdevereaux continues to grow.

@Virginicus @bretdevereaux Filez de la sécurité de l'emploi à cet homme pour qu'il puisse nous faire plus de posts de blog sur l'histoire antique

@hist_myth Alors j'ai vérifié : la rue du combat des trente (à St Brieuc) n'a rien à voir avec les Athéniens.

(combat des 30 où ils étaient d'ailleurs 62 me dit wikipedia)

@R1Rail Déception

@R1Rail (Une fois, je suis allée à Saint Brieuc. C'était il y a longtemps.)

@hist_myth
Merci beaucoup pour ce recit en plus de découvrir cet épisode grec, j'ai beaucoup ri de la forme de sa présentation et dès le début : l'argument peté de Theramene pour convaincre les atheniens democrates consternés de la proposition selon qu'il fallait donner les pleins pouvoirs à 30 magistrats : "d'abord j'ai croisé plein de gens en ville qui étaient d'accord avec cette idée", apres avoir bien trainés les négocations en longueur et leur faim..."Exit l'extreme-centriste", cela nous parle ces manigances.

@goualante Comme la plupart des trucs cinglés de l'histoire, c'est dans les sources.
Bon, dans Lysias, qui semble détester Théramène, mais quand même.

"Θηραμένης δέ [...] εἶπεν ὅτι οὐδὲν αὐτῷ μέλοι τοῦ ὑμετέρου θορύβου, ἐπειδὴ πολλοὺς μὲν ᾿Αθηναίων εἰδείη τοὺς τὰ ὅμοια πράττοντας αὑτῷ" Théramène dit qu'il ne se souciait pas du tout du bruit que vous faisiez [vous Athéniens], parce qu'il savait qu'un grand nombre d'Athéniens agissaient dans le même sens que lui.

@hist_myth
Désolée pour le malentendu, je ne remettait en question votre source. En fait, cet exemple d'argumentation et manigances me faisaient simplement penser aux politiciens modernes qui, pour faire passer des lois controversés, assurent dans leur discours qu'ils ont "plein de" francais "d'accord avec cette idée" alors que les rues sont pleines de gens qui manifestent ou font "du bruit".

@goualante Il n'y avait pas de malentendu de mon côté, ma réponse était plutôt une surenchère amusée :) Lysias attribue à Théramène le même argument pété de la "majorité silencieuse" !

@goualante Comme ça la prochaine fois qu'on entendra un politicien lâcher "Mais beaucoup de Français/d'Américains/de Guatemaltèques partagent mon avis" on pourra lui balancer une citation grecque à la face !

@hist_myth
Merci pour la précision (échappée belle moi!) Effectivement, un projectile de rhetorique grecque pourrait faire son effet comme un bon coup de bouclier, est ce que vous avez une citation en particulier en t^te?

@goualante bon, en latin y a toujours "nihil novi sub sole", mais en grec je crois qu'on peut chercher des insultes créatives chez Aristophane. Si ça vous intéresse dites-moi, j'irai en dénicher une rigolote

@hist_myth
S'il vous plait, je veux bien en recevoir. Je trouve les temps particulierement troublés et propices à cette activité de défoulement. Et j'avoue que j'ai toujours voulu lire cet auteur, peut etre une recommandation de titre ?

@goualante Alors Aristophane c'est pas un très grand démocrate non plus, cependant Les Guêpes, ou Les Cavaliers, c'est assez marrant.
À lire dans une traduction qui essaie un minimum de rendre l'humour cracra, par exemple celle de Debidour.