Le Livre d'Argent

« La mort de l’homme que j’ai désiré/e » : arrêter la supercherie et retrouver la raison

Une désintox sous forme de billet de blog. En prime, un émoji "mort de l'homme que j'ai tant désiré-e" par @f_moncomble
☠️ 🥰 !!!

en libre accès ici pour que vous puissiez insérer le lien partout partout partout ⬇️

https://www.tract-linguistes.org/la-mort-de-lhomme-que-jai-desire-e-arreter-la-supercherie-et-retrouver-la-raison/

Et en thread aussi juste en dessous ⬇️ 🧵

Un énorme émoji crâne entouré de petits coeurs

Dès qu’il s’agit de s’opposer à la rationalisation de l’accord du participe passé en français, les puristes de tous poils de toute la francophonie se cramponnent au même exemple paré de pouvoirs magiques : « la mort de l’homme que j’ai tant désiré/e ».

Cet exemple qui ne marche ni à l'oral ni au féminin ("la mort de la femme que j'ai tant désirée") est censé prouver que l’accord avec le COD antéposé peut servir à lever une ambigüité et donc peut avoir une utilité.

L’exemple refait un petit tour de piste dans les médias depuis la semaine passée : Alain Bentolila le met en avant dans un entretien pour Ouest France.

🤦‍♂️

https://www.ouest-france.fr/culture/langue-francaise/entretien-alain-bentolila-le-propre-de-lecole-cest-de-forcer-le-destin-des-enfants-fragiles-ed780c6a-c1f8-11ee-af40-0572f37cda9b

Le fait que tous les conservateurs ressortent le même seul et unique exemple devrait déjà mettre la puce à l’oreille : cela montre qu’il est difficile d’en trouver. « Les épices de la pizza que j’ai gouté » ne pose aucun problème d’interprétation. On nous sert donc la tournure improbable de « la mort de l’homme que j’ai tant désiré », exemple tellement mauvais qu’il est sidérant de voir qu’il a encore un pouvoir de conviction.

Ce pouvoir embrouille la raison: pulvérisons-le en y réfléchissant.

Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une phrase, mais d’un syntagme nominal. On peut lever l’ambigüité en construisant toute la phrase, tout simplement. « La mort de l’homme que j’ai désiré me plonge dans une immense détresse » / « me remplit de joie ».

Mais plus généralement, l’ambigüité des structures est banale dans les langues. Il est très fréquent qu’on ait besoin du contexte pour interpréter, ou bien qu’on doive soigner les structures pour éviter une ambigüité fâcheuse.

Ici, aucun temps simple ne permettrait de lever l’ambigüité (« la mort de l’homme que je désire / que je désirais » : on se débrouillerait aisément pour construire autrement la phrase).

L’ambigüité, ici, vient de la possibilité de rattachement de la relative au premier ou au second nom, nullement de l’accord du participe passé.

Une tournure comme « montre pour enfant en or » pose le même genre de problème : c’est la vraisemblance qui nous permet de rattacher « en or » à « montre » plutôt qu’à « enfant » et non la syntaxe.

La liste des ambigüités structurelles en français est extrêmement longue. Un simple « l’amour de ta voisine » est ambigu hors contexte : « ta voisine t’aime », ou « tu aimes ta voisine » ?

Il y a de nombreux ouvrages sur les structures ambigües !

Le sujet est intéressant. Nul besoin de le convoquer pour garder sous respiration artificielle pendant encore quelques siècles une règle inutile () et faisant l’objet de tant d’exceptions qu’elle en est devenue inenseignable.

Plus généralement, l’enseignement de la grammaire à travers des règles opaques et dépourvues de sens empêche la maitrise de la langue et ne fait que semer de l’insécurité linguistique.

Une approche réflexive de la grammaire, en revanche, permettrait de mieux comprendre le fonctionnement de la langue et mieux se l’approprier.

***Fin du fil.***

Enorme émoji crâneblanc  entouré de petits coeurs rouges

@tract_linguistes @f_moncomble oui parce que par exemple, si c'est la femme qui meurt et bah là on sait plus ce qui est désiré ! Voilà, mince, il faut changer la langue...

@SuperPieton @tract_linguistes @f_moncomble il est trop mignon celui-ci, moins ambigu 😅

@tract_linguistes

c'est toujours les montres qui sont en toc en plus 😁

@Egg_poop @tract_linguistes contrairement aux enfants qui sont rarement en toc 😎

@tract_linguistes Donc les enfants en or n'ont pas droit d'avoir une montre ? Merci bien ! :-þ

Blague à part, je ne connaissais pas cet « exemple », et en première lecture, mon cerveau a spontanément considéré que c'était forcément l'homme qui était désiré, du coup j'ai passé quelques secondes de perplexité à me demander pourquoi il y aurait besoin de mettre du féminin… avant que je ne me dise que ça pouvait être le point de vue d'une femme et que le thread porterait donc sur la possibilité d'un accord avec le sujet comme on le fait avec l'auxiliaire être. Il a fallu que je lise la suite pour commencer à comprendre que ça pouvait être la mort qui était désirée.

Mais bon, il faut dire que désirer la mort des gens n'est pas quelque chose que je fais très spontanément, au contraire peut-être des gens assez tordus pour justifier une complexité inutile avec ce genre d'exemples…

@tract_linguistes merci ! J'ajouterais aussi que l'accord du participe dans ce cas ne désambiguise la structure qu'à l'écrit et pas à l'oral.
Si ce n'est pas gênant à l'oral, pourquoi ça le serait à l'écrit?

@tract_linguistes Le fil est très intéressant mais cette image est flippante 😀​

Je serais intéressé par des ressources sur une approche réflexive de la grammaire dans un cadre pédagogique. Je vais aller voir le site dont vous donnez le lien plus haut. Merci pour ce fil !

@PierreC
Pour le primaire ?

Il y a ce "guide", par exemple :
https://www.cafepedagogique.net/2022/12/07/une-grammaire-reflexive-pour-l-ecole/

Et des pistes (et ressources à la fin) dans ce papier aussi :
https://www.erudit.org/fr/revues/qf/2010-n156-qf1502914/61420ac.pdf

entre autres!

@elzen

Bien vu.
D'ailleurs si on passe au féminin, censé être ambigu ("la mort de la femme que j'ai tant désirée") il faut avoir l'esprit bien bien tordu pour déceler l'ambigüité. L'interprétation spontanée rattache "désirée" à "femme".

@tract_linguistes D'ailleurs, le principe est le même que pour la montre de l'enfant en or : il n'y a même pas besoin de reformuler, il suffit de jouer sur l'ordre des mots pour lever totalement l'éventuelle ambigüité. « Montre en or pour enfant » ; « la mort, que j'ai tant désirée, de la personne ».

Mais bon, « d'amour mourir me font, belle marquise, vos beaux yeux », comme disait l'autre.
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@tract_linguistes Souvenir de M2 d'un cours de Laurence Danlos (analyse formelle du discours) où elle nous a dit
"Bah oui, la langue c'est ambigu. À ce stade vous devriez le savoir."

@MonniauxD oui, c'est vrai :
https://members.loria.fr/KFort/files/fichiers_cours/GrammairesHC.pdf

Il y a des grammaires formelles, et le domaine du traitement automatique du langage est peuplé de linguistes et informaticien-nes.

On appelle @kfort si dispo pour donner quelques sources :)))

@MonniauxD @kfort

On enseigne les bases de la syntaxe formelle et de la sémantique formelle souvent en licence de sciences du langage, en L3. (par exemple à Nantes, ici, deux descriptifs de cours de licence)

Pour aller plus loin, en général c'est en master, dans les parcours TAL.

@MonniauxD @tract_linguistes Ben déjà Karën Fort n'est pas linguiste. C'est parce que je suis une femme @MonniauxD que tu en déduis ça alors que je suis à la CNU 27 et que j'en parle régulièrement ? C pénible, franchement.

@kfort @MonniauxD
C'était pas en tant que linguiste que j'avais suggéré le nom de Karen Fort, mais en tant que spécialiste des grammaires hors contexte (on n'a pas de spécialistes de cela sous la main dispo sur Mastodon. Anne Abeillé, du collectif, travaille sur les grammaires formelles, évaluation de tree tagger; plus en grammaire expérimentale récemment).

Comme je l'avais écrit dans ce domaine il y a des linguistes et des informaticien-nes!!!

@tract_linguistes @kfort @MonniauxD
Chez nous à la Sorbonne Nouvelle on a Martine Adda Decker, informaticienne DR CNRS, qui intervient dans le master et doctorat en sciences du langage et TAL (pas en grammaire mais en reconnaissance automatique de la parole).

Il y a beaucoup de spécialistes de maths ou informatique dans ce domaine, et quelques linguistes. Focus différent en recherche

@kfort @tract_linguistes Non c'est parce que les linguistes atterrées te décrivaient comme linguiste, alors je pensais que tu étais en linguistique computationnelle, qui est certes CNU27. Ne rien voir de plus.

@MonniauxD @kfort @tract_linguistes
C'est là qu'on voit l'ambigüité des messages, à leur réception.

Le message parlait de linguistes et informaticien-nes, mais comme c'est un compte collectif de linguistes, ça a rendu un des termes de cette coordination plus saillant, peut-être

@kfort @tract_linguistes Et par ailleurs je ne sais pas quel est ton background avant d'arriver en CNU27, je n'ai pas ton CV en tête, la directrice de l'INS2I était bien agrégée de lettres modernes avant de bifurquer en info !

@AgnesHenri @tract_linguistes en France peut-être... mais pas en Suisse romande où la distinction s'entend.

@magcbertrand @AgnesHenri @tract_linguistes
Le féminin est prononcé diphtongué, en Suisse romande, c'est ça ?

@kfort @MonniauxD
Entendu, merci pour la précision !

@tract_linguistes
Bonjour, j'ai une question qui me trotte dans la tête depuis quelques temps.
Ne plus accorder le participe passé avec "avoir" est certes une simplification bienvenue, mais cela entretient le fait que le masculin fasse le neutre.
Ce qui, pour moi, est problématique aussi.
Quelles autres solutions existeraient ?
Accorder avec le sujet ne paraît pas logique, donc il faudrait accorder tout le temps avec COD ou COI... mais quid des cas sans complément ? 🤔
Une réflexion en cours ?

@plussoyeureuse
Quand vous dites 'j'ai mangé' vous voyez du masculin ?

Il s'agit de caler le participe passé avec 'avoir' dans la classe des verbes, tout le temps. Alors que celui avec 'être' partage des traits avec l'adjectif et s'accorde de manière stable avec le sujet, tout comme l'attribut adjectival.

@tract_linguistes Sans complément, je ne vois effectivement pas la marque du masculin (mais parce qu'on nous a appris que le neutre fait le masculin, non ? C'est vraiment une réflexion en cours pour moi et pas pour vous embêter !)

Mais avec "il m'a pris par la main", j'ai un peu de mal à ne pas voir qu'il manque un accord, étant femme.
Tout comme finalement avec "On m'a conseillé ce site" où j'aurais voulu voir accorder au féminin alors que c'est un COI 🤔.
⬇️

@tract_linguistes
Du coup cela ne ferait que remplacer une règle complexe par une autre, j'en ai bien conscience !
Et c'est pour ça que je pose la question des réflexions qu'il peut y avoir pour concilier non-invisibilation du féminin et simplification.

(Déjà que je galère à établir un langage compatible avec toutes les formes d'accessibilité et d'inclusivité, je sais que c'est très compliqué, donc si je peux avoir des pistes, je prends ! ^^)

@plussoyeureuse
L'invariabilité est une piste. On finirait pas déconnecter de l'adjectif et ce serait plus facile pour tout, non?

@plussoyeureuse
On finirait par interpréter comme 'il a pris ma main, elle a pris ma main'. Verbe.

Elle m'a pris la main, il m'a pris la main : idem. Verbe. Comme dans 'il me prend la main', au présent, juste du verbe 'prend, a pris, prendra, prenait' tout pareil

On me conseille ce site, a conseillé, conseillera... on ne se poserait plus la question de l'accord

@tract_linguistes Oui, je comprends mieux le raisonnement, merci !
Je crois juste que j'ai encore du mal à dissocier le participe passé d'une forme d'adjectif, qui nécessairement s'accorderait avec quelque chose :).

C'est toujours compliqué de déconstruire sciemment des apprentissages martelés par la société !
(Et pourtant je me fais très bien aux accords de majorité et de proximité qui sont pourtant contraires aux apprentissages scolaires de mon époque 🤔)

@tract_linguistes
(Ou sinon on accorde avec ce qui nous paraît important dans la phrase, au feeling (bonjour le chaos 🤓) : "il m'a données des pommes" parce qu'il aurait pu donner des poires alors qu'e je n'aime pas ça, ou "il m'a donnée des pommes" parce qu'il n'en donne qu'à moi et pas au voisin antipathique, ou "il m'a donné des pommes" parce que lui m'en a donné mais pas sa cousine qui me boude xD)

@tract_linguistes Mais du coup qu'est-ce qui est goûté ? Les épices ou la pizza ?
(Après en soi la langue peut être vague. Quand on dit "il rattrapa la femme avec le parapluie", on ne sait pas si la femme a un parapluie, ou si c'est le il qui a un parapluie avec lequel il rattrapa la femme qui par exemple était en train de tomber. Et on ne sait pas non plus s'il pleut)

@Gala
Oui, les structures sont souvent source d'ambigüité, généralement levée en contexte.
Il suffit de compléter la phrase!

'J'ai pas aimé les épices de la pizza que j'ai gouté' => peu probable qu'on goute les épices sans la pizza. Si c'est le cas, on le dit autrement 🤷

@tract_linguistes et l'invisibilisation récurrente des accents suisses et franc-comtois dans vos arguments, on en parle ? Scrogneugneu

@HydrePrever
Par ignorance !
On va essayer de faire mieux sur ce point

@tract_linguistes @Gala Et puis, comme dit Pierre Le Goffic, une ambiguïté ne conduit pas nécessairement à une équivoque. Dans "un bonnet de lin blanc", ça ne change rien à l'objet, que le lin ou le bonnet soit blanc. Finalement, il n'y a pas d'ambiguïté qui ne puisse être levée par un contexte suffisant (ce qui rend ces exemples de grammaire, forgés et décontextualisés, particulièrement malhonnêtes).