§ Posté le 02/03/2014 à 21h 59m 25
La vie est complexe : elle a une part réelle et une part imaginaire.
Si vous ne voyez pas la référence dans cette phrase, restez un peu, cet article peut potentiellement vous apprendre quelques petites choses (ceci dit, si vous la voyez, ne partez pas non plus ). Nous manipulons des nombres tous les jours, sous diverses formes, et sans forcément en avoir conscience. Les nombres sont partout, des nombres binaires utilisés par nos ordinateurs aux numéros des cartes auxquelles ont joue pour passer le temps.
Tout d'abord, rappelons que les chiffres sont aux nombres ce que les lettres sont aux mots : nous disposons de dix chiffres, et nous les combinons pour former autant que nous en avons besoin. Mais cela, je l'ai déjà évoqué dans un autre article. En plus des chiffres, il y a au moins deux choses dont nous pouvons avoir besoin pour écrire les nombres : une virgule, et un signe moins. Voire peut-être quelques autres trucs. Mais chaque chose en son temps, commençons par ce qui n'en a pas besoin.
ℕ : les entiers naturels
Ils sont sans doute « naturels » parce que ce sont ceux qui nous viennent le plus facilement à l'esprit. Même quand on n'a pas besoin de savoir compter tellement plus loin que « un, deux, beaucoup », c'est déjà eux qu'on manipule.
Les entiers naturels sont donc ces nombres tout ce qu'il y a de plus ordinaires, sans virgule ni rien d'autre de ce genre. Ce qui ne les empêche pas de présenter pas mal de propriétés intéressantes. Par exemple, comme je vous en ai déjà parlé, ils peuvent être multipliés, et parfois même divisés entre eux, pour donner d'autres entiers naturels, ce qui permet de dégager des notions comme celle de « nombre premier ».
Les entiers naturels ne sont pour autant pas la base de tout : on peut par exemple les recréer à partir de la théorie des ensembles, en mettant du rien en boîte, mais nous réserverons ce sujet-là pour un peu plus tard.
Un mot sur le zéro
Petite parenthèse au sujet de ce nombre un peu particulier. On le range habituellement, de nos jours, dans les entiers naturels, mais il n'a pourtant pas toujours été aussi naturel que ça. En fait, il a mis beaucoup plus de temps à venir que les autres nombres. Quelle idée, en effet, de vouloir compter du rien ?(1)
Le zéro en tant que chiffre semble être apparu il y a quelque deux mille deux cent ans, pour représenter les « trous » dans les numérations positionnelles. Si je représente en effet (comme nous le faisons encore aujourd'hui) les nombres par paquets de plus en plus grands, il faut bien quelque chose pour indiquer que l'un des paquets utilisés est vide (une poubelle, et pas de shadoks à côté, vous vous souvenez ?). C'est cependant très lié à la façon dont on représente les nombres : un système aussi compliqué que celui des romains, par exemple, n'en a pas spécialement besoin, n'ayant pas de place pour ces emplacements vides.
Pour le zéro en tant que nombre, il a encore fallu attendre pas loin des deux tiers d'un millénaire. Né en Inde, il a encore mis quelques siècles à arriver jusque dans nos tables de calcul, par l'intermédiaire des civilisations arabes. Mais, maintenant que nous l'avons enfin, nous le gardons Ceci dit, si vous avez envie d'exprimer l'ensemble des entiers naturels débarrassé de curieux élément, une notation spécialisée existe : ℕ*. Remplacez ℕ par n'importe lequel des symboles des ensembles suivants, et cet astérisque conservera le même sens.
ℤ : les entiers relatifs(2)
Avant de commencer à utiliser la virgule, regardons un peu en dessous de zéro. L'ensemble des nombres relatif contient celui des nombres naturels, positifs, et lui ajoute leurs opposés, c'est-à-dire les nombres négatifs correspondants (-1 est l'opposé de 1, -2 celui de 2, etc.). Imaginer des nombres négatifs est déjà bien moins naturel : comment représenter, par exemple, « moins une table » ?
Pour autant, nous avons quand même l'habitude de les manipuler, dans la vie de tous les jours, grâce notamment aux températures hivernales(3) : notre échelle de mesure de la température attribue, plus ou moins arbitrairement, la valeur zéro à la température d'équilibre entre la fusion de la glace et la solidification de l'eau liquide, ce qui nous permet de temps à autres de rencontrer des températures plus basses que ce zéro. Mais c'est là une pure convention.
Bref, les quantités négatives, si bizarres soient-elles, sont néanmoins assez intéressantes, alors ne nous en privons pas : tous les ensembles qui suivront, chacun contenant le précédent, contiendront des nombres négatifs. Si l'on veut les éviter, ou bien se limiter à eux, il faudra le spécifier clairement : ℤ⁻ est ainsi l'ensemble des entiers négatifs, et ℤ⁺ celui des entiers positifs (c'est-à-dire ℕ). Zéro, qui est son propre opposé, est présent dans ces deux ensembles, mais on peut l'en exclure en ajoutant l'astérisque au signe plus ou moins.
𝔻 : les nombres décimaux
Parfois, compter uniquement des nombres entiers, ça ne suffit pas. Si je veux par exemple partager un gâteau entre plusieurs personnes, il va bien falloir que je la coupe en morceaux, et que donc j'offre moins d'un gâteau complet à chacune. Mais plus que zéro gâteau tout de même. On fait ça en ajoutant une virgule (nos camarades anglophones utilisent pour leur part un point), et en allant voir ce qui se passe derrière.
Nous restons ici à des nombres que nous pouvons écrire de façon classique, par exemple « 1,752 ». Ils ont bien un début et une fin, et en les multipliant par dix suffisamment de fois, on finirait par retomber sur un nombre entier. Comme leur nom l'indique, ces nombres décimaux sont cependant fortement liés à la base dix dans laquelle on les utilise habituellement.
Si multiplier par dix permet de décaler la virgule d'un cran, c'est parce que c'est en base dix que nous comptons. Et si nous utilisons d'autres bases, forcément, ça peut se passer différemment. Ainsi, un nombre « simple » comme 0,1 ne « tombe pas juste » en binaire : si on essaye de le convertir, on va se retrouver avec une infinité de chiffres après la virgule, et on tombera donc sur la catégorie suivante…
ℚ : les nombres rationnels
Cet ensemble regroupe donc les nombres qui « tombent juste », c'est-à-dire qu'on peut les écrire avec un nombre fini de chiffres après la virgule, mais aussi ceux qui ne tombent pas juste, mais dont la partie après la virgule (appelée « partie décimale ») est comporte un motif identifiable qui se répète à l'infini. Tous ces nombres ont ceci de particulier qu'ils sont le résultat d'une division d'un entier par un autre. Ainsi, 1÷3 donne 0,333333333…
C'est d'ailleurs de cette manière que l'on peut les noter le plus simplement : sous la forme d'une fraction rationnelle, c'est-à-dire d'un ensemble de deux nombres entiers séparés par un trait de fraction qui montre qu'on divise l'un par l'autre. Voilà donc un autre élément qui peut être requis pour écrire des nombres : en plus du signe moins et de la virgule, on peut parfois avoir besoin de ce trait de fraction, « ∕ »(4).
Nous abordons ici au passage le concept de classes d'équivalences, c'est-à-dire de trucs qui peuvent être plus ou moins différents, mais qui sont considérés comme ayant la même valeur. Par exemple, 2∕4 et 1∕2 correspondent au même nombre rationnel, même s'ils sont représentés de façon différentes.
On utilise donc généralement, pour simplifier la reconnaissance, une fraction irréductible, c'est-à-dire qu'on a divisé autant qu'on pouvait (tant que ça restait des entiers) en haut et en bas, pour manipuler les nombres les plus petit possibles. Nos entiers naturels de tout à l'heure, par exemple, peuvent donc s'écrire x∕1, ∀ x ∈ ℕ.
Et puisque nous avons parlé des opposées en abordant les nombres négatifs, nous pouvons, tant que nous restons dans le monde des fractions, parler des inverses, qui sont à la multiplication|division ce que les opposées étaient à l'addition|soustraction : des trucs qui s'annulent l'un-l'autre, pour retomber sur un élément neutre. Par exemple, l'inverse de 5∕3 est 3∕5.
Attention, toutefois : l'élément neutre pour la multiplication|division est un, et non pas zéro comme pour l'addition|soustraction : zéro est un élément absorbant pour la multiplication, c'est-à-dire que toute multiplication par zéro donne zéro ; et en conséquence, n'a pas d'inverse et pose quelques petits soucis pour la division (oui, même quand le nombre divisé est lui-même zéro).
ℝ : les nombres réels
Cependant, tous les nombres ne peuvent tout de même pas être obtenus par la division, même non-euclidienne, d'un entier par un autre. Certains nombres ont une partie décimale infinie, mais sans pour autant qu'on y retrouve un motif clairement identifiable se reproduisant à l'infini. Ces nombres n'étant pas rationnels, on les appelle donc « irrationnels », et l'union de ces deux ensembles, nombres rationnels et nombres irrationnels, donne l'ensemble des nombres que l'on appelle « réels ».
Ces nombres réels, on peut en rencontrer plein assez facilement en faisant un peu de géométrie. Citons deux exemples, les plus connus de l'ensemble des irrationnels : tracez un carré dont les côtés font un centimètre chacun. Ensuite, essayez de mesurer la diagonale de ce carré. Si précis que soit votre outil de mesure, vous ne parviendrez jamais au résultat exact. Car, comme nous l'apprend Pythagore, la longueur de la diagonale d'un tel carré(5) vaudra √(1² + 1²), c'est-à-dire √2, qui n'est pas un rationnel.
L'autre « grand » exemple, c'est π, que l'on retrouve assez souvent lorsque l'on essaye de faire des mesures correctes à partir d'un cercle.
Que j'aime à faire apprendre un nombre utile aux sages !
Immortel Archimède, artiste, ingénieur,
Qui, de ton jugement, peut priser la valeur ?
Pour moi, ton problème eut de pareils avantages…(6)
La démonstration du fait que √2 (ou π, ou un autre irrationnel) ne peut pas être écrit sous la forme d'une fraction rationnelle irréductible est un exemple type de démonstration par l'absurde (en gros, on commence par poser l'hypothèse qu'il existe une telle fraction rationnelle irréductible, et on finit par montrer que ça implique que cette fraction ne soit pas irréductible, ce qui contredit notre hypothèse de départ). Je ne ferai pas la démo devant vous, mas contactez le prof' de maths le plus proche si ça vous intéresse
Un peu d'infini ?
Allons, un petit mot de plus sur l'infini, que l'on n'en fini jamais de poursuivre en continuant d'avancer vers des nombres de plus en plus grands(7).
Il y a en fait deux infinis, l'un côté négatif (-∞), l'autre côté positif (+∞). Ils ne sont pour autant pas vraiment l'opposés l'un de l'autre : l'infini est par nature exclu des calculs(8), parce que source d'incertitude. L'infini, ça ne se quantifie pas, par définition. On ne peut d'ailleurs pas les comparer, et il n'y a pas d'infinis plus grands ou plus petits que les autres. Si vous tracez deux segments, dont l'un est ostensiblement plus grand que l'autre, il n'y a pas vraiment de sens à se demander lequel des deux contient le plus de points : dans les deux, le nombre de points est infini.
Quand on veut se rapprocher d'un infini, comme d'ailleurs d'une division par zéro ou de tout autre élément numérique susceptible de causer des perturbations dans la structure de l'espace-temps de notre cerveau, on utilise en mathématiques la notion de « limite ». Mais c'est un autre sujet, dont je vous parlerai peut-être une autre fois.
ℂ : les nombres complexes
On en vient à des bizarreries encore plus bizarres que tout ce qui précède puisque, vous l'aurez compris, nous allons maintenant sortir de l'ensemble des nombres réels.
L'histoire est venue, si mes souvenirs sont exacts, d'un mathématicien (un petit tour sur Wikipédia me rappelle qu'il s'agissait d'un certain Jérôme Cardan, au XVIe siècle) qui se trouvait confronté à une drôle d'équation dont la tentative de résolution lui demandait de calculer des racines carrées de nombres négatifs, ce qui n'est généralement pas une bonne nouvelle, le carré(9) d'un nombre réel étant toujours positif.
Or, comme il pouvait trouver un résultat à son équation par d'autres moyens, il a posé l'hypothèse qu'il pouvait exister des nombres dont le carré serait négatif. Il a appelé ces nombres « imaginaires », par oppositions aux nombres réels. Un peu plus tard, Leonhard Euler a proposé d'utiliser le symbole « 𝑖 » pour désigner l'unité imaginaire, c'est-à-dire l'un des deux nombres imaginaires dont le carré est -1 (l'autre étant, naturellement, -𝑖).
Notez que 𝑖 n'est pas le résultat de « √-1 » : la fonction racine reste définie sur les nombres positifs uniquement, mais c'est une autre histoire.
En combinant ces nombres imaginaires avec les nombres réels que nous connaissions déjà, nous obtenons l'ensembles des nombres dit « complexes », composés d'une partie réelle et d'une partie imaginaire (d'où la phrase qui ouvrait cet article). Les nombres réels sont alors les nombres complexes dont la partie imaginaire est nulle (c'est-à-dire qu'elle vaut zéro, je ne suis pas en train de juger de sa qualité), et les nombres imaginaires purs sont les nombres complexes dont c'est la partie réelle qui est nulle.
Autour d'eux se trouvent plein de nombres de la forme « x+𝑖y », c'est-à-dire constitués de la somme d'un nombre réel et d'un nombre imaginaire pur. En fait, il y a d'autres manières de noter ces complexes (avec des exponentielles hippies 𝑖π, ou bien avec des sinus et des cosinus), mais nous ne rentrerons pas dans les détails pour cet article, qui commence à être trop long).
Notons toutefois que, contrairement aux ensembles qui précèdent, ℂ ne peut pas vraiment être divisé en ℂ⁺ d'un côté et ℂ⁻ de l'autre. En fait, les notions de « plus grand » et de « plus petit » perdent un peu de leur sens dans les complexes (de quoi parlerait-on ? De la partie réelle, sans tenir compte de la partie imaginaire ? De la distance à zéro ?). Bref, je pense que je vous re-causerai des complexes un peu plus tard. Réclamez.
Et ainsi de suite…
Est-ce que ça peut continuer au delà ? Bien sûr. Les mathématiciens ont, il faut le reconnaître, un certain talent pour aller trouver des nombres bizarres, et des choses encore plus bizarres à faire avec ces nombres. On pourrait parler des matrices, par exemple, qui avant d'être un film avec une cuillère qui n'existe pas, sont une autre manière de généraliser ça : une matrice est un tableaux à deux dimension contenant un nombre dans chaque case, et les nombres classiques peuvent donc être vus comme le cas particulier des matrices à une seule ligne et une seule colonne. Mais bon, je crois qu'on peut s'arrêter là pour cette fois