§ Posté le 29/11/2017 à 23h 33m 37
Note : j'ai cet article dans mes cartons depuis juin, mais, comme souvent, je l'ai laissé en brouillon pendant un certain temps. Or, depuis juin, il semble que la question de l'écriture inclusive ait beaucoup gagné en notoriété(∗), mais pas forcément comme il l'aurait fallu. J'ai donc consacré un autre article à évoquer certains aspects du sujet, et celui-ci reste donc essentiellement rédigé comme si cette question était restée aussi confidentielle qu'à l'époque.
En juin dernier se tenait l'Assemblée Générale de la Fédé FDN (Fédération des fournisseurs d'accès à Internet associatifs), au cours de laquelle quota_atypique en est devenue présidente(1). Nous avons toutefois choisi de conserver également Benjamin Bayart dans ce rôle, qu'il exerçait seul depuis la création de la fédé. Il a donc fallu modifier les statuts, qui à l'origine ne prévoyaient qu'un président, afin de permettre la possibilité qu'il y en ait deux.
Tant qu'à modifier les statuts(2), j'ai proposé d'en profiter pour y ajouter les marques du genre féminin partout où il y en avait besoin, afin de permettre notamment qu'il puisse y avoir plusieurs président⋅e⋅s (dit autrement, il s'agissait de « mettre du neutre dans nos statuts, et pas que dans l'Internet »). La proposition a été bien reçue, et Benjamin, Mat et moi nous sommes penchés sur la question. Benjamin étant un fin typographe, j'en ai profité pour recueillir son avis sur la façon de faire ça correctement, et il semble que nous soyons globalement assez d'accord. Il est donc temps que je complète mon article sur la typo en abordant enfin cette question.
D'abord, un petit mot sur les raisons pour lesquelles ce genre de modifications est nécessaire.
Il y en a essentiellement trois, dont la première est le respect de la langue. En bon français, si les statuts d'une association posent qu'il y a un président, strictement parlant, il ne devrait pas pouvoir y avoir une présidente (certaines personnes objecteront que « le masculin l'emporte », mais il ne s'agit que d'une règle d'accord, ce que j'ai, depuis, détaillé dans l'autre article).
En fait, la façon d'écrire que nous avons choisie est une manière de simplifier énormément l'écriture de certains documents, puisqu'au lieu de répéter « un président ou une présidente, un ou une secrétaire » à chaque fois qu'il doit y être fait référence, on peut se contenter d'écrire « un⋅e président⋅e, un⋅e secrétaire », ce qui est beaucoup moins lourd.
La seconde raison principale est une affaire d'égalitarisme. La fédération est, pour l'heure(3), assez représentative du monde geek en général : une écrasante majorité masculine, et une poignée de femmes qui ont souvent du mal à se sentir légitimes, alors qu'elles le sont plus que la plupart des mecs, seulement parce que ce n'est pas dans les schémas mentaux habituels. Notre quota, qui en parle, très bien, sur son blog, a mis un certain temps à intégrer que, si, elle est parfaitement à la hauteur pour ce poste.
Dans ce contexte particulier, rendre les marqueurs du genre féminin explicitement visibles, c'est envoyer un signal fort à ces femmes : oui, vous êtes légitimes parmi nous. Nous savons que c'est efficace pour au moins certaines d'entre elles, et donc utile pour tout le monde (parce que plus elles se sentent à leur place, plus la communauté bénéficie de leur présence).
Notons au passage qu'en plus d'une plus grande simplicité, la façon d'écrire que nous avons choisie atténue la dichotomie : « un président ou une présidente » crée une découpe franche entre les deux genres ; tandis que « un⋅e président⋅e » laisse davantage entendre que le genre de la personne concernée n'a aucune importance. C'est plus adapté pour parler des gens qui se situent plus difficilement, notamment.
La troisième raison que nous avons mise en avant est qu'un tel choix, lorsqu'il est fait de manière collective sur un document officiel, dit quelque chose sur les personnes qui le font. Le projet de société que promeut la Fédé FDN, par son combat pour la neutralité du réseau, est le projet d'une société dans laquelle chaque personne a la possibilité de s'exprimer et de participer à la chose publique. À ce titre, il nous paraît collectivement important de faire attention à ce genre de détails, et rendre nos statuts inclusifs, en plus d'être cohérent avec nos valeurs(4), est un signal que nous envoyons aux personnes qui auront nos statuts sous les yeux. Et quand on participe à de nombreuses actions en justice, nos statuts sont mis sous le nez d'un peu plus de monde que ceux de l'association lambda, ce qui est toujours ça de pris.
Mais en plus du pourquoi, il y a le comment, et c'est l'objet principal de cet article.
Je vous en ai en fait déjà dévoilé un bout un peu plus tôt (et vous l'aviez sans doute remarqué dans mes autres articles, puisque c'est ma façon de faire depuis un certain temps), mais voyons un peu quelles étaient les différentes possibilités. Rendre le genre optionnel se fait en effet depuis un sacré bail (j'ai déjà croisé les formes les plus anciennes quand j'étais môme), et ça a laissé le temps d'apparaître à pas mal de façons de faire. Les principales alternatives sont les suivantes :
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Un président ou une présidente,
-
Un(e) président(e),
-
UnE présidentE,
-
Un⋅e président⋅e
La première a été éliminée d'entrée de jeu pour les raisons déjà mentionnées plus tôt. L'usage des majuscules, dans la troisième, est perçu par pas mal de gens comme indiquant que l'on insiste sur le fait qu'il faut forcément une femme, ce qui ne correspond pas à ce que nous attendions. Restent la forme à base de parenthèses, assez ancienne, et celle à base de points médians, plus récente. L'usage des parenthèses nous semble présenter deux inconvénients.
D'une part, il ne place pas les deux genres au même niveau : « un(e) président(e) », ça peut sembler vouloir dire « normalement, un président, mais bon, une présidente, ça ira aussi », ce qui ne correspond pas au signal que nous voulions envoyer. D'autre part, les parenthèses occupent visuellement beaucoup plus d'espace que les points médians : l'objectif est de rendre la chose légère, alors autant choisir les caractères les plus légers possibles.
Le point médian présente, quant à lui, l'inconvénient d'être assez peu usuel, et donc pas facile à faire sur toutes les dispositions clavier. Cela ne nous posait pas de problème pour ces statuts – nous avions tout ce qu'il faut sous la main(5) –, mais peut s'avérer plus problématique pour d'autres gens. Deux alternatives sont possibles dans ce cas : utiliser un trait d'union (« - », mais cela peut avoir un autre sens dans le même contexte, ce qui peut éventuellement prêter à confusion), ou utiliser un point classique (« . », qui est généralement moins agréable visuellement).
Je laisse chacun⋅e choisir entre ces deux possibilités le cas échéant.
En relecture avant publication, Benjamin me suggère une argumentation supplémentaire en faveur du point médian qui m'était sortie de l'esprit depuis juin : ce qui a trait à la notion de gris typographique. Le propre d'une bonne typographie – car cette histoire de doubles marqueurs de genre relève davantage de la typographie que de la grammaire – est avant tout de passer aussi inaperçu que possible. Or, une parenthèse au sein d'un mot se voit beaucoup plus qu'un point médian : elle coupe le mot, et donc gène l'œil(6).
Si « secrétaire » est encore plus sympathique que « président⋅e », puisqu'il n'y a ici que l'article à genrer correctement (il relève donc quasiment de l'épicène), d'autres mots le sont moins, comme par exemple « trésorier/trésorière ». Trois choix étaient, à ce niveau, cohérents avec celui que nous avions fait pour « président⋅e » :
-
Un⋅e trésorier⋅ière,
-
Un⋅e trésorière⋅ier,
-
Un⋅e trésorièr⋅e
Les deux premiers (que l'on peut retrouver dans pas mal d'autres cas, comme par exemple « acteur⋅trice/actrice⋅teur ») sont généralement interchangeables. On peut alors choisir une règle précise pour décider de l'ordre (par exemple, suivre l'ordre alphabétique, ce qui fait que le genre cité en premier varie tout de même selon les mots), ou bien au contraire, choisir délibérément de changer selon l'inspiration du moment.
Nous n'avons pas eu à trancher sur ce point, car nous avons opté pour la troisième possibilité. Celle-ci présente l'inconvénient de faire apparaître un « trésorièr » qui n'existe pas, quand les autres formes utilisant le point médian permettent généralement de mieux retomber sur ses pieds, mais elle est plus concise et moins lourde. De plus, elle produit le même effet que « président⋅e » : si tous les points médians disparaissaient mystérieusement, le résultat resterait tout à fait lisible, en étant simplement genré au féminin, ce qui nous convenait bien.
Cela rejoint le choix que nous faisons dans les autres cas du genre : nous favorisons ainsi « tou⋅te⋅s » à « tous⋅tes », parce que les deux formes genrées s'intègrent bien l'une à l'autre de cette manière. Un autre cas similaire, rencontré dans nos statuts, était celui de « membres individuel⋅le⋅s »(7). Dans ces cas, où les lettres s'enchaînent sans accroche(8), on entoure la forme féminine de deux points médians, et on garde la marque du pluriel à part. Dans l'autre, celui où les deux formes sont vraiment incompatibles (« directrices⋅teurs », « nouveaux⋅elles »), on préfère accorder directement les deux terminaisons au pluriel pour ne pas alourdir inutilement.
Nous n'avons toutefois rien rencontré qui soit de cet ordre dans nos statuts, même s'il y a eu une tournure ou deux qu'il a été plus simple de reformuler pour les rendre épicènes (c'est-à-dire correctes sans aucun marquage de genre).
Suite de la remarque de Benjamin : toujours d'un point de vue typographique, les constructions comme « joueurs⋅euses » ont tout de même l'inconvénient de casser la lecture. Il préfère dans ce cas changer de forme pour le marqueur du féminin en écrivant, par exemple, « joueur⋅e⋅s », ce qui simplifie en effet la prononciation, mais ne laisse entendre, à l'oreille, que le masculin. Les seules manières d'éviter ceci, a priori, sont de rallonger les mots (« joueureuse »), ce qui, j'en parle dans l'autre article, ne va pas dans le sens habituel des changements dûs à l'usage, ou… d'utiliser le féminin à valeur générique, en tout cas à l'oral (à l'écrit, on peut tout de même écrire quelque chose comme « joueu⋅se⋅s »). Dans certains textes que nous produisons en anglais, par exemple, nous utilisons « she » pour désigner une personne de genre non-défini, et ça marche très bien comme ça.
S'est posée toutefois la question de savoir ce que l'on dit lorsque l'on parle d'un⋅e président⋅e/secrétaire/trésorièr⋅e/membre précis⋅e et qu'il faut donc passer à un article défini. En effet, « le » et « la » sont moins faciles à articuler de cette manière qu'« une » et « un ». Pour ce cas également, plusieurs propositions existent :
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Le/la ou La/le,
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Le(la) ou La(le),
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Le⋅la ou La⋅le,
-
Læ
Les deux premiers choix, bien sûrs, ne sont plus adaptés dès lors que l'on a choisi d'utiliser des points médians, mais je les précise ici parce qu'il s'agit de formes « historiques », qui existent depuis aussi longtemps que le « un(e) président(e) » mentionné plus haut.
Nous avions, entre nous, une certaine préférence pour la dernière forme, qui en plus de donner une certaine utilité à un caractère assez rare dans notre langue(9), forme une manière assez amusante d'éluder le problème. Nous avons toutefois décidé de privilégier, là encore, la forme pointée, pour des raisons de public visé : il n'est pas garanti que « læ » soit très compréhensible par les membres des diverses administrations qui auront à lire nos statuts, quand la forme pointée, plus cohérente avec le reste, soulèvera sans doute moins d'incompréhension.
C'est, en fait, à peu près tout : nous n'avons sans doute pas pensé à tous les cas, mais sont listés ici tous ceux que nous avons rencontré en pratique dans les statuts, mais également dans la charte et le règlement intérieur de la fédé. Cette écriture pointée (qui forme donc un des aspects de l'écriture inclusive) n'est en fait pas tellement compliquée : il s'agit simplement d'une habitude à prendre. Naturellement, il n'est pas dit que toutes les personnes qui communiqueront au nom de la fédé le feront de cette manière (chacun⋅e est libre de faire ce qui lui semble le plus adapté en fonction du contexte), mais, au moins, les choses sont claires pour ce qui concerne nos quelques documents de référence, et le fait que nous avons à cœur d'être un milieu accueillant pour tou⋅te⋅s est désormais un peu plus visible.
Et nos président⋅e⋅s sont chouettes, tou⋅te⋅s les deux