§ Posté le 25/04/2015 à 12h 39m 07
J'ai déjà consacré un article à la Neutralité du Net. Mais le sujet est assez important pour en mériter au moins deux. J'ai écrit celui-ci pour les besoins du nouveau site d'Illyse, et comme souvent quand j'écris un article autre part, je le retranscris ici
Et puis, comme je viens d'être élu président d'Illyse, autant que le premier article (ou presque) que je publie à ce titre soit sur le sujet pour lequel l'association milite, non ?
Le « net » ? Quel « net » ?
Quand nous parlons de « neutralité du net », nous parlons d'Internet.
Internet, vous savez : ce truc fabriqué il y a une trentaine d'années par des hippies libristes, dans le but de former un réseau indestructible, incontrôlable, et permettant d'échanger rapidement des informations, histoire de pouvoir travailler ensemble sans contrainte de distance.
Oui, je sais, ce n'est peut-être pas comme ça qu'on vous le présente habituellement. Il n'empêche que c'est ce qu'est fondamentalement Internet. Et que si nous nous battons pour défendre la neutralité, c'est parce que c'est précisément un des principes fondateurs d'Internet qui est en danger.
C'est si important que ça ?
Et même bien plus encore.
Chacun des aspects que je viens très rapidement d'évoquer est essentiel à sa manière. Tous réunis, ils forment quelque chose que l'on n'a jamais connu auparavant : un système égalitaire, basé sur l'entre-aide et l'échange de connaissances. Un système dans lequel ce ne sont pas les quelques privilégiés possédant une presse d'imprimerie, un studio d'émission radio ou une chaîne de télévision qui imposent leur vision du monde à tous les autres, mais au contraire où chacun est libre de s'exprimer.
Comme l'écriture il y a quelques millénaires, comme l'imprimerie il y a quelques siècles, Internet permet un chamboulement de la société telle qu'on la connaissait auparavant. Internet est, en fait, l'outil dont la société s'est dotée pour changer.
Et comme la société change, il est nécessaire de faire attention à ce qu'elle change dans le bon sens. Ce qui requiert de bien connaître cet outil.
D'accord. En deux mots, comment ça marche ?
En deux mots seulement : « par paquets ».
D'accord, je vais en dire un peu plus. En fait, Internet forme un réseau de réseau (c'est ce que veut dire ce nom : « Interconnection of networks » en anglais, soit « Interconnexion de réseaux »), c'est-à-dire qu'il y a plein de petits réseaux branchés les uns sur les autres.
Quand vous avez deux ordinateurs branchés sur un routeur (une « box », par exemple), ça vous fait un réseau local. Vos ordinateurs peuvent se parler entre eux, sans jamais communiquer avec l'extérieur. Mais la « box » elle-même fait partie d'un réseau plus grand, celui de votre fournisseur d'accès. Qui lui-même est connecté à d'autres opérateurs dans des points d'interconnexion (« GIX »).
Quand vous essayez de joindre une autre machine (mon serveur, par exemple, pour lire cet article), votre ordinateur génère un message découpé en petit morceaux, et envoie ces petits morceaux (les « paquets ») à votre box. Laquelle transfère ces paquets à une machine de votre fournisseur d'accès, qui les relaie à une autre machine, et ainsi de suite, jusqu'à ce que ça arrive jusqu'au serveur.
Celui-ci note alors qu'il doit vous répondre, et génère un message (le contenu de cette page), qu'il va envoyer par paquets dans le sens inverse, jusqu'à ce que ça arrive chez vous. Votre ordinateur réassemble les paquets pour reconstituer le message envoyé, et vous affiche donc cette page.
Et la neutralité, dans tout ça ?
La neutralité, c'est le fait de laisser les paquets tranquilles.
Chaque machine sur le trajet pourrait en effet décider de faire n'importe quoi avec vos paquets : changer leur contenu, traîner pour les renvoyer, voire ne pas les renvoyer du tout, les remplacer par d'autres, etc. Ça donnerait un grand n'importe quoi, dans lequel on n'a aucune garantie sur ce qu'on reçoit.
Les gens qui ont conçu Internet à la base ne voulaient évidemment pas que ça se passe comme ça. Ce qu'ils ont posé, c'est que les machines intermédiaires, et donc le réseau dans son ensemble, devai(en)t être totalement invisibles : Internet est fondamentalement un réseau bête, qui se contente de transférer les paquets de l'ordinateur de départ à l'ordinateur d'arrivée sans rien faire d'autre. Sinon, ça ne marcherait pas.
Et c'est dans ce sens-là qu'il est neutre.
Donc Internet est forcément neutre ?
Ça devrait, oui. Malheureusement, ce n'est pas ce que certaines personnes ont décidé.
En effet, tout le monde n'a pas intérêt à ce qu'Internet fonctionne bien. En particulier, certains fournisseurs de service n'aiment pas trop la concurrence : s'ils proposent de visualiser des films, ils n'ont pas envie qu'on puisse voir les autres films moins cher, voire gratuitement, en allant ailleurs sur Internet. S'ils proposent de la téléphonie mobile, ils n'ont pas envie qu'on puisse se parler moins cher, voire gratuitement, en allant ailleurs sur Internet. Et ainsi de suite…
Or, il se trouve que ces fournisseurs de service fournissent aussi parfois de l'accès à Internet. Ce qui leur assure une position privilégiée pour surveiller, contrôler l'Internet de leurs abonnés. Internet est un réseau de réseaux, et ils ne peuvent pas agir sur ça dans son ensemble ; mais ils peuvent entraîner leurs machines à faire des bêtises, pour inciter leurs propres utilisateurs à adopter les comportement qui les arrangent (consommer leurs services à eux) et abandonner les autres (utiliser les services concurrents).
Comme ils disent dans les publicités, « il y a Internet, et Internet par [un fournisseur d'accès peu respectueux de la neutralité] ». Ce n'est pas pareil.
C'est prouvé, ils font vraiment ça ?
Malheureusement, oui. Ils ne s'en cachent même pas vraiment, en fait.
Par exemple, certains de ces soi-disant fournisseurs d'accès surveillent leurs utilisateurs, par exemple histoire de pouvoir les dissuader de partir voir ailleurs. Ou bien font payer les fournisseurs de contenus pour leur garantir un bon trafic, et ralentissent volontairement ceux qui ne payent pas. Ou encore modifient le contenu des paquets. Ou simplement vous empêchent d'exploiter certaines possibilités de votre accès Internet, par exemple en vous empêchant de vous auto-héberger pour fabriquer vous-même votre propre morceau d'Internet.
Et ce ne sont là que quelques exemples parmi un grand nombre.
Et la loi n'encadre pas ça ?
Elle devrait. C'est même une des choses pour lesquelles on se bat.
Le soucis, c'est que nos législateurs, en ce moment, ont un peu tendance à faire le contraire de ce qu'ils devraient. En particulier, ces derniers temps, ils se sont fait une spécialité de créer des lois pour obliger les fournisseurs d'accès à surveiller les paquets et à les trafiquer. Et par décision administrative, alors que ça devrait dépendre d'un juge. Ils disent qu'Internet est une zone de non-droit, et c'est malheureusement devenu vrai : la zone de non-droit, c'est eux qui l'ont créée.
Il faut dire que ça peut les arranger aussi, nos politiques : ça leur permet de mettre en place un système dans lequel les services de renseignement peuvent surveiller tout le monde, mais où personne ne peut les surveiller, eux. Il faut donc y faire attention.
Alors, on fait quoi ?
On milite. On fabrique du vrai Internet neutre et libre, comme il devrait être.
C'est le boulot de nos associations, et si vous avez lu jusqu'au bout et que vous êtes convaincus, c'est peut-être bien le moment de nous rejoindre. Plus nous serons nombreux, plus on parviendra à faire bouger les choses dans le bon sens.
Internet permet de changer la société. Mais ce n'est pas un outil magique : la société, c'est nous, et pour qu'elle change, il faut que nous la fassions changer. Internet rend les choses possibles, mais ça ne sert à rien si on ne s'en empare pas. La Fédération FDN, dont nous faisons partie comporte plusieurs exemples montrant que, si l'on est suffisamment motivés, on peut y arriver.
Maintenant, c'est à nous de jouer.