§ Posté le 25/12/2017 à 1h 40m 42
J'ai un double-article en préparation, mais il lui faudra quelques relectures. En attendant sa parution, puisque c'est Noël, voici un petit conte, parmi ceux collectés par les frères Grimm, et vous aurez normalement droit à trois articles audio la semaine prochaine pour vous remercier de votre patience
Il était une fois deux enfants, Jeannot et Margot, qui vivaient dans une maison près des bois avec leur père et leur marâtre. Leur père était bûcheron, et, malheureusement, assez pauvre. Si pauvre qu'il peinait à nourrir sa famille.
Aussi, la marâtre insistait-elle pour abandonner les deux enfants dans la forêt, afin qu'il y ait deux bouches de moins à prendre en compte. Le père, naturellement, aimait ses enfants, et refusait. Mais à force d'insistance, il finit par se laisser convaincre.
Les enfants, heureusement, entendirent ce soir-là les adultes parler du sinistre projet. Margot était terrifiée, mais Jeannot s'efforça de la rassurer : il avait un plan. Le petit garçon attendit patiemment que son père et sa marâtre s'endorment, puis, discrètement, sortit de la maison et ramassa des cailloux qui brillaient à la lumière de la lune, qu'il dissimula dans ses poches.
Le lendemain matin, la marâtre les réveilla méchamment : « Cessez de fainéanter, debout ! Nous devons aller en forêt chercher du bois ! Voici un morceau de pain pour votre déjeuner : ne le mangez pas trop tôt, car vous n'aurez plus rien ensuite. »
Margot prit les deux morceaux de pain dans ses poches, car celles de Jeannot étaient déjà bien remplies par les cailloux. Et pendant qu'ils s'avançaient dans la forêt, le garçon sema à intervalles réguliers lesdits cailloux, qui, à la pleine lumière du jour, semblaient pareils à tous les autres cailloux du chemin.
Arrivés au cœur de la forêt, le père alluma un feu et laissa ses enfants s'y réchauffer et se reposer pendant que lui-même partait couper du bois. Les deux enfants demeurèrent donc au coin du feu, et finirent par s'endormir au son de la cognée.
En se réveillant, toutefois, Jeannot et Margot constatèrent que le bruit qui se faisait encore entendre n'était pas celui de la hache de leur père contre le bois : c'était une branche morte suspendue à un arbre qui battait dans le vent. Les deux adultes avaient quitté les lieux.
Le petit garçon était toutefois confiant, et déclara à sa sœur qu'il leur suffisait d'attendre la nuit. Ce qui fut fait, en effet, non sans que les morceaux de pains emportés ne soient mangés au passage. Et lorsque, la nuit tombée, la lune se leva, les cailloux semés par Jeannot se remirent à briller sous son éclat, leur indiquant le chemin qu'il fallait prendre pour revenir à la maison.
En les voyant revenir, naturellement, leur père fut très heureux ; mais la marâtre les accueillit méchamment : « Pourquoi donc avez-vous dormi si longtemps dans la forêt ? Nous avons cru que vous ne vouliez plus revenir à la maison ! »
Hélas, leur père n'était pas devenu plus riche pour autant, et qui a été convaincu une fois peut l'être de nouveau : la marâtre obtînt une fois de lui qu'il accepte d'abandonner les enfants en forêt. À nouveau, les deux enfants purent entendre le sombre projet, mais cette fois, quand Jeannot tenta de sortir ramasser des cailloux, il trouva la porte close.
Le lendemain matin, la marâtre les réveilla méchamment : « Cessez de fainéanter, debout ! Nous devons aller en forêt chercher du bois ! Voici un morceau de pain pour votre déjeuner : ne le mangez pas trop tôt, car vous n'aurez plus rien ensuite. »
À défaut de cailloux, Jeannot résolut d'émietter son morceau de pain, et de laisser tomber les miettes derrière-lui. La marâtre les mena plus profondément encore au cœur de la forêt, et, de nouveau, le père leur alluma un feu pour les laisser se réchauffer et se reposer.
À nouveau, les enfants s'endormirent, et à nouveau, les adultes avaient disparus à leur réveil. Il était cette fois inutile d'attendre la nuit, car les miettes de pain ne brilleraient pas sous la lune… mais, pire encore, lorsque Jeannot tenta de retrouver la piste, il ne put que constater que les oiseaux avaient tout picoré.
Jeannot et Margot tentèrent tout de même de retrouver leur chemin, mais on les avait conduit si profondément dans les bois que la direction de leur chaumière leur échappa. Assez rapidement, les deux enfants se perdirent complètement.
Margot, naturellement, partagea avec son frère son morceau de pain, mais cela faisait une part bien chiche pour deux enfants, et leur ventre criait famine lorsque leurs pas finirent par les mener jusque vers une curieuse petite maison qui semblait toute faite de pain et de sucreries.
Dans l'état de faim qui était le leur, les deux enfants se précipitèrent vers cette étrange maison et se mirent à en dévorer autant qu'ils le purent. Mais bientôt, la porte s'ouvrit brusquement : une vieille femme sortit et regarda autour d'elle. « Grignotti, grignotti, qui grignote ma maison ? »
Les enfants prirent peur, mais il était trop tard pour s'enfuir. Et la vieille femme, de prime abord, ne se montra pas méchante : au contraire, elle les invita à venir la rejoindre à l'intérieur où les attendait un bon repas. Et puisqu'il était tard, elle leur offrit ensuite de profiter d'un bon lit.
Hélas, la sorcière, car c'en était une, révéla ses intentions le lendemain : Jeannot se réveilla dans une cage, tandis qu'elle secouait méchamment Margot. « Debout ! Ton frère est encore bien trop maigrichon, mais tu vas cuisiner comme il faut pour le nourrir, et lorsqu'il sera bien gros et gras comme je les aime, je le mangerai. »
Mort de peur, mais absolument incapable d'ouvrir sa cage, Jeannot, dès qu'il le put, chuchota à Margot de s'enfuir sans lui : qui savait quel sort la sorcière lui réserverait ensuite ? Mais la fillette ne voulait pas abandonner son frère et accepta de se mettre aux fourneaux. Ce fut d'ailleurs, pour les deux enfants, l'occasion de manger comme jamais jusque là ; mais comment profiter d'une telle chose lorsque pèse sur vous la menace de finir dans une assiette ?
Chaque matin, la vieille sorcière venait vérifier si Jeannot avait grossi. Mais elle était presque aveugle et pour juger des progrès de son régime, lui demandait-elle de tendre sa main à travers la cage pour qu'elle puisse lui tâter les doigts.
Aussi, Margot apporta-t-elle à son frère un vieil os trouvé dans la cuisine, lui chuchotant de tendre ce vieil os à la place de son doigt à la sorcière chaque fois qu'elle le demanderait. Ainsi pourrait-il lui faire croire qu'il restait aussi maigre qu'il ne l'avait été au départ, malgré les excellents plats que l'on lui cuisinait.
Et cela fonctionna en effet pendant plusieurs semaines, mais chaque fois, la sorcière se montrait davantage étonnée et contrariée. Jusqu'à ce qu'un jour, elle finisse par perdre patience et déclarer que cela suffirait comme cela : Jeannot serait mangé le jour même, quand bien même il ne se décidait pas à grossir.
Elle avait déclaré cela dans une telle colère que les enfants surent qu'il n'y aurait pas moyen de lui faire changer d'avis. Mais lorsqu'elle ordonna à Margot d'allumer le grand four, celle-ci répondit qu'elle ne l'avait jamais utilisé et qu'elle ignorait tout de son fonctionnement.
Maugréant, la vieille sorcière, qui venait d'ouvrir la cage pour s'emparer du garçon, se décida à ouvrir elle-même la porte de l'appareil… mais alors, la courageuse Margot la poussa de toutes ses forces et referma bien vite la porte du four sur elle.
La sorcière était maintenant hors d'état de nuire, et les deux enfants, avant de prendre la fuite, prirent le temps de fouiller son étrange demeure. Et voilà qu'il s'y trouvait un trésor fait de pièces d'or et de pierres précieuses, qui disparu bien promptement dans leurs poches.
À l'extérieur de la maison se trouvait un petit lac, sur lequel se promenaient deux magnifiques cygnes : Margot les héla et leur demanda s'ils pouvaient les ramener jusque chez eux. Les deux oiseaux acceptèrent, chacun prenant un enfant sur son dos, et, assez rapidement, parvinrent jusqu'à la demeure du bûcheron.
Or, il se trouve que la marâtre, entre temps, avait disparu, et que depuis, celui-ci vivait seul et triste. Quelle ne fut pas sa joie de voir revenir à lui ses deux enfants qu'il croyait avoir à jamais perdu ! Il s'empressa de les serrer dans ses bras, avec cette fois des larmes de joie.
Et voilà que le trésor que Jeannot et Margot lui rapportèrent leur permit de vivre décemment tout le reste de leur vie et de ne plus jamais envisager d'abandonner qui que ce fut dans les bois.
Le début de ce conte, je l'avais déjà évoqué, n'est pas sans rappeler l'un de ceux qui parurent dans le livre de Charles Perrault, et qui s'intitule le petit poucet. En fait, il existe toute une famille de contes prenant pour point de départ des enfants que leurs parents abandonnent ainsi deux fois dans la forêt, l'un des plus anciens publiés étant le conte italien Nennillo et Nennella. La version que je vous ai raconté ici est cependant l'une de mes préférées, car les enfants s'en tirent par leur propre ingéniosité à tou·te·s les deux.
Sur ce, je vous laisse : il est temps de s'occuper du traîneau.