§ Posté le 03/07/2013 à 21h 49m 56
Ma section « question de langues » était initialement dédiée à parler un peu de notre belle langue française et de certaines de ses subtilités ; elle l'est encore. Si certains articles récents semblaient verser dans la prise de position, c'est essentiellement parce que rappeler le sens complet de certains termes est, malheureusement, déjà une prise de position, quand ils ont tendance à perdre une partie de leur richesse à l'usage.
Mais bref : revenons, vous l'aurez compris, à des sujets plus légers (encore que Franck Lepage, qui m'a inspiré mon dernier article, avait commencé sa conférence gesticulée par un poireau, donc méfiez-vous, (se) cultiver peut mener loin ^^).
Pour éviter de laisser ce blog sombrer dans un état végétatif, comme l'indique à peu près la description de cet article sur mon flux RSS principal, j'ai donc tout naturellement choisi de vous parler de légumes. Nous reviendrons sur ce mauvais jeu de mot vers la fin, mais intéressons nous d'abord à l'expression que j'ai choisie d'utiliser comme titre.
Une légume, souvent qualifiée de grosse, est, au sens figuré, une personne importante, un personnage officiel, quelqu'un de haut placé dans la hiérarchie, et cætera. Sur les différents dictionnaires que j'ai consultés à ce sujet, c'est le Wiktionnaire qui, je trouve, met le mieux ce second sens en valeur, mais on le retrouve aussi, par exemple, dans le trésor de la langue française (qui est mon dictionnaire de référence habituel).
Pourquoi « grosse », et non pas « gros » ? Il semble, d'après le neuvième dictionnaire de l'Académie, que ce terme ait autrefois été utilisé indifféremment dans les deux genres, et que le masculin se soit fixé pour la nourriture, et le féminin pour l'huile. L'évolution de la langue est parfois curieuse, et je me garderai d'interprêter ça sans informations complémentaires.
Le sens principal de ce mot, bien sûr, reste tout de même les trucs, parfois plus ou moins verdâtres, que l'on retrouve dans nos assiettes les jours où l'on mange autre chose que du riz ou des pâtes. Et là, la question qui se pose, peut-être, pour certains d'entre vous, est de savoir ce que c'est, au juste, qu'un légume, biologiquement parlant. Les fruits, nous voyons généralement à peu près, ce sont les trucs pleins de noyaux ou de pépins qui, habituellement, tombent sur la tête de Newton. Mais les légumes ?
Eh bien, croyez-le ou non (je préférerais que si, tant qu'à faire, que je n'écrive pas ça pour rien), la réponse est que, biologiquement parlant, un légume, ça ne veut rien dire du tout.
Le dictionnaire qui, à mon sens, exprime le mieux la situation bizarre de ce genre de choses est celui d'Émile Littré (je n'ai pas de lien en ligne, pour celui-ci, donc vous devrez vous contenter de ma citation… à moins que vous n'en ayez un à me conseiller – En voilà un, merci encore ) :
- légume
-
La partie que l'on cueille sur une plante potagère et qui est destinée à l'alimentation ; c'est le fruit dans les haricots, les pois ; c'est la racine dans les navets, les carottes ; c'est la feuille dans les laitues, les chicorées ; c'est la fleur dans le chou-fleur, etc.
Il n'y a donc pas, contrairement aux feuilles, au fruits, etc., une partie de la plante qui s'appellerait « légume ». Pire, il n'y a même pas vraiment un type de plante particulière qui donnerait ces légumes, puisque les plantes dites « potagères » (voyez la définition de ce mot dans le TLF) sont seulement les plantes que l'on choisit de cultiver dans un potager parce qu'on espère en manger un bout.
Biologiquement parlant, la notion de « légume » n'existe tout simplement pas ; c'est une pure construction culinaire.
Pas étonnant, donc, que l'on hésite parfois sur la façon dont classer certains aliments, comme la tomate : biologiquement parlant, il s'agit du fruit de sa plante ; cependant, elle correspond étalement tout à fait à la définition de légume, puisque ladite plante pousse en potager dans le but que l'on puisse se nourrir de cette partie-là en particulier. La tomate est donc à la fois un fruit et un légume, de la même façon d'ailleurs que l'aubergine ou la courgette.
De façon assez amusante, on peut aussi noter que le lieu où l'on fait habituellement pousser les fraisiers est également le potager : la fraise correspond donc tout-à-fait à la définition de légume, et pourrait donc, en toute logique, être désignée ainsi (alors que, curieusement, ce n'est pas vraiment un fruit, biologiquement parlant).
Puisque l'on en est à préciser ce qu'il en est de certaines classifications bizarres : la carotte, qui est donc un légume racine, est aussi considérée juridiquement comme un fruit, dans certains cas, pour protéger le statut de la confiture de carotte portugaise (la confiture, juridiquement parlant, ne pouvant être issue que d'un fruit. Ne me regardez pas comme ça, je n'y suis pour rien).
Et tant qu'on en est aux anecdotes, deux points sur la pomme de terre (qui, elle, n'est pas une racine, mais un tubercule. Je laisse aux spécialistes en plantes qui me lisent (K4ede ?) le soin de préciser quelle est exactement la différence, je ne suis pas très calé là-dessus ; mais je peux au moins vous préciser que le surnom de « patate » qu'on lui donne assez fréquemment est théoriquement censé désigner le tubercule d'autre plante), que je vous précise n'avoir personnellement pas vérifié (parce que je n'ai pas la moindre idée d'où aller voir ça) :
D'abord, il semblerait que sa « démocratisation » ait été encouragée par les moyens assez curieux : après que la plante en question ait été ramenée d'amérique, la « haute société » de l'époque, ayant décidé que ce serait bon pour le « bas peuple » d'en consommer, mais ne sachant trop comment les convaincre de goutter à ce truc encore exotique, aurait fait cultiver des champs gardés, pour lui donner une image de denrée précieuse, mais en donnant aux gardes en question la consigne de laisser les voleurs passer.
Ensuite, une rumeur prétendrait que la pomme de terre est tolérée à cause de l'ancrage historique dont elle bénéficie désormais, mais que diverses raisons feraient que, si la plante était découverte maintenant, elle ne passerait pas les tests d'hygiène et que sa culture ne serait donc pas autorisée. Je ne sais pas ce qu'il en est réellement.
Pour finir sur ces plantes, signalons qu'elles ont tendance à ramollir à la cuisson, contrairement, par exemple, aux œufs, qui durcissent. Cela est dû à la différence de composition : les œufs sont constitués d'une grande partie de protéines, tandis que les légumes, comme pas mal d'autres choses venant des plantes, sont constitués de composés à base de glucides (la cellulose et l'amidon, par exemple). C'est cette différence de constitution qui provoque la différence de réaction à la cuisson, mais vous obtiendrez plus de détail à ce sujet (et sur pas mal d'autres aussi, d'ailleurs) en consultant l'ouvrage de Robert L. Wolke traduit en français sous le titre « Ce qu'Einstein n'a jamais dit à son tailleur », dont je vous reparlerai je l'espère très bientôt.
Quelques mots pour finir, donc, sur le fait de végéter, action favorite de mon blog entre deux trop rares articles. Les végétaux, c'est un autre nom pour désigner les plantes. Or, les plantes ont cette caractéristique d'être des organismes pluricellulaires qui ne bougent pas beaucoup, contrairement à nous autres animaux, qui sommes définis comme étant des organismes pluricellulaires mobiles. D'où, sans doute, la coutume de désigner par le qualificatif de « végétatif » le comportement des individus qui, tous animaux qu'ils soient, ont tendance à bouger aussi peu que les plantes, pour une raison ou pour une autre.
Nous désignons également ces individus peu remuants comme étant des « légumes », second sens figuré de ce mot qui nous intéressait ici, d'où le jeu de mot mentionné en début d'article, et que les anglophones doivent d'autant mieux comprendre qu'ils désignent, eux, les légumes par le terme de « vegetable », qui peut également désigner, dans d'autres cas, les végétaux dans leur ensemble.
Et pour conclure sur ces vegetables et revenir quand même un peu sur les questions de prises de position, je concluerai cet article par un extrait de la chanson intitulée « The Logical Song », composée par Rodger Hodgson pour le groupe Supertramp :
I said, now watch what you say or they'll be calling you a radical,
Liberal, fanatical, criminal.
Won't you sign up your name, we'd like to feel you're
Acceptable, respectable, presentable, a vegetable!