Quatrième chapitre

(dans la foulée)

Message 1, par Elzen

§ Posté le 15/03/2012 à 18h 51m 43

IV.


Suspendu au rebord du toit, je guettais le moment propice pour me hisser sans être vue par les gardes. Victor n'était pas avec moi : nous avions convenus ensemble qu'il était vain d'espérer passer tous deux hors de vue par ce chemin – surtout en tenant compte du fait que mon jeune assistant était moins adroit que moi.

Il attendait en fait sur le toit d'un bâtiment voisin que je pénètre, seul, à l'intérieur, pour ouvrir de l'intérieur une des fenêtres du second étage et lui envoyer une corde par laquelle il pourrait entrer à son tour. Mais pour cela, il fallait tout d'abord que je parvienne à y pénétrer.

Comme nous l'avions supposé, les gardes, peu convaincus de la réalité d'une menace à cet endroit, n'étaient pas particulièrement attentifs à leur tâche. Ils discutaient entre eux – à voix basse, tout de même, qui ne les aurait pas empêcher d'entendre le moindre bruit de ma part – et ne gardaient pas une position précise, mais au contraire déambulaient sur le toit dans un simulacre de ronde de surveillance.


J'étais à cet instant bien content de ne pas porter de haut-de-forme. Certains de mes collègues se faisaient un devoir de porter ce genre de couvre-chef, qu'ils ne retiraient quasiment jamais. Vu ma situation, il aurait pu me trahir en dépassant bien plus de ce rebord que ce qu'il ne fallait à mes yeux pour observer.

Les gardes passèrent deux fois à proximité relative de ma position, sans toutefois remarquer ma présence, avant de finalement se diriger véritablement de l'autre côté. Sitôt que je les jugeais assez éloigné, j'escaladais le restant de rebord et me hissais, aussi rapidement et silencieusement qu'il m'était possible, pour enfin reprendre appui sur mes seuls pieds.

J'avais dû être moins discret que je ne l'espérais, car je l'un des gardes se retourna presque aussitôt, l'air méfiant. Fort heureusement, cette section du toit – je l'avais choisi à dessein – était hérissée de plusieurs cheminées, et je parvins sans encombre à me glisser derrière elle avant que ses yeux ne me saisissent.

Sur ses gardes cependant, et ayant peut-être cru percevoir le mouvement, il fit signe à son collègue, et tous deux firent demi-tour pour venir inspecter l'endroit où je me trouvais. Je contournais cette cheminée pour rester hors de vue, avant de rejoindre, en quelques pas, la porte menant vers l'intérieur.


Je n'étais, sans doute, pas aussi entraîné à ce genre de pratiques que celle qui avait dû me précéder. Néanmoins, la porte extérieure n'était pas verrouillée, et je parvins à la franchir sans encombre – et sans donner l'alerte. Voilà qui prouvait, comme l'avait supposé Victor, qu'il était bien possible de pénétrer dans le musée de cette façon. Restait à vérifier que l'on pouvait ensuite en ressortir ; mais j'avais pour l'heure une mission plus urgente. Nous n'étions, nous pas entrés pour pratiquer un cambriolage, mais pour résoudre un meurtre.

Je descendis rapidement le petit escalier en colimaçon qui amenait jusque dans le musée. La porte au bas de cet escalier était verrouillée, mais je n'eût guère de difficulté à la crocheter – l'exercice de mon activité m'avait plusieurs fois amené à me livrer à ce type de pratiques. Cette porte ouverte, je pénétrais enfin dans le musée lui-même.


Éclairées de la seule lueur de ma lampe, les vitrines avaient un aspect différent de celui qu'elles arboraient à la lumière du jour. Je ne m'arrêtais cependant pas sur ce détail, laissant la poésie à des heures plus appropriées. Je ne prenais pas non plus le temps de me livrer à un examen minutieux des lieux : je préférais retarder cette tâche jusqu'à ce que mon jeune assistant m'ait rejoint.

Je me dirigeais donc vers la fenêtre que je devais lui ouvrir… pour constater, surpris, qu'elle l'était en fait déjà, bloquée par une sorte de lame de poche plantée dans son cadre et qui l'empêchait de se refermer complètement. M'approchant, je commençais par chercher, sur le toit opposé, la silhouette du jeune homme des yeux dans la pénombre de la nuit, dont je ne découvris aucune trace. Et pour cause.


« Je suis là, professeur. »

Victor, manifestement assez amusé de ma surprise, sortit soudain de derrière une vitrine.

« Comment ?

– Disons que j'ai eu droit à un peu d'aide… pour me consoler de mon erreur. »

Et en échos à ses paroles, The Lady Bat en personne apparut à son tour à ses côtés.

« Bonsoir, professeur. Alors vous me faites concurrence, à présent ? »


Je devais décidément paraître bien stupide à m'être ainsi fait avoir, car elle aussi me regardait d'un air moqueur.

« Votre assistant m'a exposé sa théorie sur la façon dont je serais entrée ici l'autre jour. C'était très amusant… mais je crains que vous n'ayez gravement surestimé ce modeste musée. Il est en fait beaucoup moins inviolable que vous ne le pensiez. »

Manifestement ravie de son effet, elle s'approcha de la fenêtre pour saisir la petite lame qui la maintenait ouverte. Sitôt qu'elle l'eut retiré, la fenêtre claqua sur elle-même et demeura bien fermée.

« Vous voyez : ces fenêtres ne demandent qu'à se refermer. Il m'a suffit de venir visiter le musée dans la journée – sans le costume, bien entendu – et à coincer discrètement ceci pour la maintenir ouverte, et j'avais une voie d'accès tout-à-fait à ma portée, sans laisser aucune trace après mon passage.

– Ingénieux… et plus simple, en effet, que tout ce à quoi nous avions pensé. »


Nous nous dévisageâmes un instant – ou plutôt, elle nous dévisagea, et nous dévisageâmes son masque – avant que je ne décide de reprendre la parole.

« Et la raison de votre nouvelle visite… ?

– La même que la vôtre, je suppose : j'enquête. »

Elle marqua une pause puis, comme ni Victor ni moi ne répondions, reprit son explication.

« Au cas où l'idée vous aurait traversée l'esprit, je ne suis pas l'assassine du sieur Élie Gamme.

– Je n'en doutais pas… » Je souris, désignant Victor « …et le jeune homme ici présent encore moins. »

Leurs regards se croisèrent un instant, au cours duquel il me sembla qu'elle l'étudiait d'un regard particulièrement pénétrant, comme si elle cherchait à percer le secret de ses pensées. Puis elle se tourna de nouveau vers moi.

« Cependant, je crains de n'être pas entièrement étrangère à sa mort. Ce jour-là, lui et moi avions rendez-vous. »


Le rendez-vous n'était pas avec le meurtrier. Ce simple aveu faisait considérer l'enchaînement des événements d'une tout autre manière, confirmant peut-être l'une des hypothèses que j'avais envisagé.

« Ce qui explique votre présence sur les lieux lorsque nous y sommes nous-même arrivés.

– En effet. Ne l'ayant pas vu venir, et jugeant que j'avais assez patienté, je m'apprêtais à repartir lorsque j'ai entendu votre poursuite, à laquelle je n'ai pu m'empêcher de participer. À la vérité, il était lui-même déjà sur les lieux… mais plus en état de révéler quoi que ce soit.

– Vous attendiez donc des révélations ?

– Il avait… cherché à prendre contact avec moi. Des éléments intéressants, prétendait-il… En rapport avec le cambriolage. Je n'y aurais habituellement même pas prêté attention, mais j'ai eu… une funeste intuition. »

Même si elle s'efforçait de n'en rien laisser paraître, il était évident, pour quelqu'un d'aussi habitué que moi à observer les réactions humaines, que cette mort l'affectait particulièrement. Il n'était pas malaisé de deviner qu'ayant fixé ce rendez-vous qui avait amené la victime droit devant son meurtrier, elle se sentait responsable de sa mort – d'autant plus qu'il s'agissait de l'un de ces pauvres gens qu'elle s'était juré de protéger.

« Je ne crois pas que vous deviez vous en vouloir. Le simple fait qu'il ait eu quelque chose a dire aurait sans doute scellé son destin, que vous ayez ou non accepté de l'écouter.

– Peut-être… mais c'est parce que j'ai cambriolé ce musée qu'il avait quelque chose à dire. »


Il me semblait qu'aucune de mes réponses n'aurait pu apaiser ses sentiments, et que je l'aurais peut-être même blessée davantage en tentant de la réconforter. Je choisis donc d'éluder, et de reprendre le fil de notre enquête.

« Sa mort vous empêchant d'apprendre de sa bouche ce dont il était question, vous avez choisi de revenir ici pour tenter de le découvrir par vous-même.

– En effet. Le musée était déjà fermé lorsque vous avez découvert le corps, et je ne pouvais donc appliquer ma méthode. J'ai attendu cette nuit, ce qui a permis cette heureuse rencontre. »

Elle se tut, et comme Victor lui aussi restait muet, je pris de nouveau la parole.

« Bien, dans ce cas, mettons-nous à l'œuvre. Par où désirez-vous commencer ? »

Elle n'hésita pas.

« Savez-vous dans quelle section il travaillait ? C'est certainement là que nous trouverons le plus d'indices.

– C'est également mon avis. D'après les informations dont je dispose… suivez-moi. »

Les deux jeunes gens m'emboîtèrent le pas en direction de la section concernée.


« Êtes-vous sûr, professeur ?

– À moins que les informations qui m'ont été fournies ne soient erronées – et je ne vois pas pourquoi elles le seraient –, oui, je le suis. Quelque chose ne va pas ? »

The Lady Bat regardait autour d'elle, inspectant les vitrines, manifestement surprise.

« Oui, en effet : durant le cambriolage, je ne suis jamais venue dans cette section du musée. »

L'idée qui commençait à s'imposer dans ma tête ne s'en trouva que confortée, mais je pris soin néanmoins de demander confirmation.

« Êtes-vous sûre… ? D'après l'inventaire, trois des plus importants objets du vol provenaient d'ici. »

Le masque ne couvrait pas suffisamment son visage pour que je ne la remarque pas, à cet instant, blêmir de rage en comprenant ce que cela signifiait. Ce fut cependant Victor qui formula le premier la conclusion à laquelle nous étions tous trois arrivés.

« Ils ont profité du cambriolage pour faire disparaître d'autres de leurs objets… pour gonfler la somme des assurances, sans doute, et peut-être les revendre eux-mêmes au marché noir.

– Élie Gamme s'en est douté, et a voulu tenter de vous prévenir. Mais ils s'en sont rendu compte, alors ils ont envoyé un tueur à ses trousses. »


Le coup semblait dur à encaisser pour notre jeune héroïne. C'était – pour autant que je puisse en juger, d'après ce que j'avais suivi de ses exploits – la première fois que les malfaiteurs à qui elle s'en prenaient parvenaient à “retourner” ainsi ses actes. Victor tenta de la réconforter.

« Ils paieront pour cela.

– Ils paieront, en effet. Mais il faudra des preuves, car à moins que notre amie ici présente ne vienne témoigner à visage découvert, nous n'avons rien qui soit recevable devant un tribunal. »

Elle jeta un œil presque amusé à Victor.

« Et rassurez-vous : malgré cela, je ne compte pas raccrocher le masque de sitôt.

– Alors raison plus pour nous remettre à travailler. »

Ce que nous fîmes, effectivement. Nous étions trois : chacun de nous examina – avec l'instruction formelle de ma part de ne surtout rien toucher pour le moment – l'emplacement d'origine de l'un des objets dérobés, à la recherche d'une trace quelconque pouvant conduire à établir scientifiquement l'identité de l'auteur de ce vol-ci.


Relever les empreintes digitales n'aurait, hélas, servit à rien : quand bien même notre second voleur n'aurait pas porté de gants, une infinité de gens pouvaient avoir touché l'extérieur des vitrines, et quant à l'intérieur, y relever les empreintes d'un employé du musée n'aurait strictement rien prouvé, leur métier comprenant d'accéder à ces endroits.

Nous avions plus d'espoir au niveau des serrures : si elles n'avaient été ouvertes que par leur clef, elles ne porteraient aucune marque de crochetage. Hélas, il y en avait.

« Ils ont bien imité mon travail… on dirait qu'elles portent très exactement les marques laissées par l'outil que j'utilise…

– Oui, en effet… j'ai eu plusieurs fois l'occasion d'examiner les marques laissées par votre outil, et ces traces sont étrangement similaires. Est-il possible qu'ils aient employé le même ?

– Très peu probable. Je n'utilise quasi-exclusivement que du matériel que j'ai fabriqué moi-même.

– Il faut alors supposer qu'ils aient prit le temps, en découvrant le vol, de copier minutieusement vos marques sur ces serrures avant de prévenir la police… »

Victor, qui observait pensivement sa serrure, intervint soudain. « L'alerte n'a-t-elle pas été donnée dès le petit matin ? Il n'auraient pas eu le temps d'effectuer un tel travail de précision, dans ces conditions. »

Touché. Je retrouvais bien là le ton, à la fois hésitant et sûr de lui, de mon jeune assistant lorsqu'il venait de découvrir la vérité.

« Il semble en effet que tu aies raison… as-tu une meilleure explication ?

– Vous connaissez comme moi le principe, professeur : “lorsque l'on a éliminé l'impossible, ce qui reste, si improbable que cela paraisse, doit nécessairement être la vérité”. Si ces serrures portent les marques laissées par par un outil particulier, et qu'il est impossible que ces marques aient été copiées, c'est que c'est l'outil lui-même qui les a faites, même s'il n'est pas censé être arrivé jusqu'ici. »


The Lady Bat se releva brusquement pour le toiser du regard. « Affirmerais-tu que je vous ai menti ?

– Pas du tout. Vous dites que vous n'êtes pas entrée dans cette section du musée, et je le crois. Mais c'est bien votre outil qui a crocheté ces serrures.

– Si tu penses que quelqu'un me l'a dérobé, c'est tout autant impossible : il n'a pas quitté mon arsenal.

– Oh, on n'en a pas eu besoin : pourquoi s'ingénier à copier les marques sur les serrures… quand on a déjà des serrures marquées à portée de main ? »

Bien sûr. J'avais commencé à deviner ce qu'il avait en tête à mesure qu'il parlait, et l'idée m'apparaissait tout-à-fait séduisante. Le hochement de tête de notre jeune voleuse indiqua d'ailleurs qu'elle partageait notre avis : possédant le matériel adéquat, les auteurs du second vol n'auraient eu aucune difficulté à carrément démonter les serrures intactes pour les remplacer par des serrures endommagées.

Un rapide examen nous permit de constater qu'en effet, les trois serrures endommagées étaient d'un format légèrement différent de celui des autres serrures de la section. Chose que les agents de sûreté venus inspecter le musée, n'ayant porté leur attention que sur les vitrines vides, n'avaient pas pu constater, mais qu'un habitué des lieux un tant soit peu observateur, comme avait dû l'être la victime, n'aurait pas manqué de remarquer.


« S'ils ont prit ces serrures sur des vitrines que vous avez vous-même ouvertes, ma chère, il faut également admettre qu'ils aient camouflé trois des vols, pour ne pas montrer à la maréchaussée trois vitrines sur lesquelles ils auraient fatalement dû remettre des serrures intactes.

– Sans doute des objets dont ils disposaient de faux assez convainquants. Il semble donc qu'il y ait un autre trafic en plus de celui auquel je m'attaquais…

– Mettre en lumière cette affaire de contrefaçon nous sera sûrement utile. Nous devrions comparer la liste des vols “officiels” avec ceux que vous avez réellement perpétré, et aller étudier de plus près les objets qui auraient du disparaître.

– Ce ne sera pas nécessaire. »

Nous sursautâmes tous trois en entendant cette quatrième voix : à la porte de la pièce se tenaient trois hommes, chacun tenant une arme à feu braquée sur l'un de nous.

(Suite au décès inopiné de mon précédent serveur, je profite de mettre en place une nouvelle machine pour essayer de refaire un outil de blog digne de ce nom. J'en profiterai d'ailleurs aussi pour repasser un peu sur certains articles, qui commencent à être particulièrement datés. En attendant, le système de commentaires de ce blog n'est plus fonctionnel, et a donc été désactivé. Désolé ! Vous pouvez néanmoins me contacter si besoin par mail (« mon login at ma machine, comme les gens normaux »), ou d'ailleurs par n'importe quel autre moyen. En espérant remettre les choses en place assez vite, tout plein de datalove sur vous !)