Les six chevreaux

Message 1, par Elzen

§ Posté le 25/12/2011 à 1h 04m 21

Après cette période de silence, je voudrais maintenant renouer avec l'habitude que j'avais prise voici quelques temps de vous proposer, dans la nuit de Noël, un petit conte, connu ou non, mais toujours raconté à ma façon. Puisque, depuis quelques temps, j'ai amorcé une série d'articles traitant des proverbes, citations et expressions, j'ai choisi de rester dans ce sujet en vous présentant celui qui est à l'origine de l'expression « montrer patte blanche ».


Il était une fois une chèvre, qui vivait dans sa maison avec ses six enfants. Six petits chevreaux tout mignons, malins, et très têtus comme le sont tous les petits chevreaux. La vie aux alentours était dangereuse, car le loup rôdait, et qu'il adorait dévorer les petits chevreaux. Mais leur maman veillait sur eux et tant qu'elle était là, le loup n'arriverait pas à les atteindre.


Un jour, cependant, la chèvre dut quitter la maison, car les vivres commençaient à manquer et qu'elle devait aller chercher de quoi nourrir tous ses petits. Pour être sûre qu'il ne leur arriverait rien, avant de partir, elle leur fit de nombreuses recommandations.

« Ne sortez pas tant que je ne suis pas revenue, restez à jouer à l'intérieur. Verrouillez la porte derrière moi, et gardez-la bien close jusqu'à mon retour. Lorsque vous entendrez frapper à la porte, assurez-vous de qui il s'agit, et n'ouvrez qu'à moi. Faites bien attention, car le loup rôde. Vous me le promettez ? »

Et les six chevreaux, tous en cœur, promirent de bien faire attention et de faire tout ce qu'elle leur avait demandé. Après les avoir embrassé un par un, la chèvre s'en fut, et sitôt qu'elle fut partie, les petits chevreaux refermèrent la porte derrière elle et la verrouillèrent complètement. Rien de plus gros qu'une souris n'aurait pu passer !

Puis il se mirent calmement à jouer tous ensemble, sans sortir de la maison.


Il advint cependant que le loup, qui passait justement par là, vit la chèvre prendre le sentier pour quitter la maison, et disparaître au loin. Comme il avait faim, et que la chèvre comptait parmi ses aliments préférés, il s'apprêtait à prendre son élan pour la rejoindre, lorsque soudain lui vint une meilleure idée.

« Oh, mais… si la chèvre est partie seule… cela veut dire que ses petits sont restés sans surveillance… Pourquoi me fatiguer à lui courir après, puis ensuite me battre contre elle – elle serait bien capable de se défendre, cette vieille bique ! –, alors que je peux simplement aller chez elle et croquer ses jolis petits sans efforts ? »

Le loup regarda donc s'éloigner la chèvre puis, lorsqu'il fut sûr qu'elle était trop loin pour faire demi-tour, revint jusqu'à la maison, qui raisonnait des rires des six petits chevreaux. Comme la porte semblait fermée, et bien fermée, il s'arrêta juste devant, et frappa.


Les six chevreaux s'arrêtèrent immédiatement, et tendirent l'oreille. Non pas qu'il leur semblait bizarre que leur maman revienne si vite – pour des petits chevreaux, si vite que leur maman revienne, ce n'est jamais (1)assez vite –, mais elle leur avait dit de bien faire très attention, et comme c'étaient de gentils chevreaux, ils avaient l'intention de bien lui obéir.

L'un d'entre eux, regardant la porte, demanda donc « Qui est là ? »

Le loup, surpris, voulut leur faire croire que c'était leur maman qui rentrait, certain qu'ils ouvriraient alors la porte.

« C'est moi, ouvrez ! »

Mais si la chèvre avait une très jolie voix douce – pour un petit chevreau, la voix de sa maman est toujours très jolie –, le loup, lui, avait une grosse voix grave et menaçante, et qui fit peur aux petits chevreaux.

« Tu n'es pas notre maman ! Tu es le loup qui veut nous manger ! Nous n'ouvrirons pas ! »


Le loup, vexé, chercha alors comment il pourrait faire pour entrer autrement. La maison était solide, et le seul moyen d'entrer était de se faire ouvrir la porte. Il devait donc réussir à déguiser sa voix. Or, il y avait, à quelques distances de la maison des chevreaux, une ruche dont les abeilles fabriquaient un excellent miel. Le loup s'en souvint et bondit : en quelques coups de pattes, il fut devant cette ruche.

Il attendit patiemment que les abeilles cessent de monter la garde, puis se précipita pour dérober un peu de miel et se mettre à l'abris. Après avoir avalé tout le miel qu'il avait pu récupérer, il s'éclaircit la gorge, et tenta de parler d'une voix douce. Satisfait par ses essais, et content de ses talents de comédien, il revint frapper à la porte des chevreaux.


« Qui est là ?

– C'est moi, votre maman qui revient. Ouvrez-moi ! »

Mais si douce que fut la voix du loup, qu'il avait réussi à faire ressembler à celle de la chèvre, les petits chevreaux se méfiaient, maintenant qu'ils savaient que le loup était dans les parages. Ils discutèrent un moment entre eux, à voix basse, puis l'un des chevreaux se tourna vers la porte et déclara « Montre-nous ta blanche patte, maman, que nous puissions te reconnaître. »

Le loup ne réfléchit pas, et, agacé, glissa sa patte sous la porte. Mais si la patte de la chèvre était blanche, celle du loup était toute noire, et les petits chevreaux s'aperçurent bien vite que cela n'allait pas.

« Tu n'es pas notre maman ! Tu es le loup qui veut nous manger ! Nous n'ouvrirons pas ! »


De nouveau vexé, le loup s'éloigna quelque peu. Comment faire pour se faire ouvrir par ces petits chevreaux têtus ?

Il se souvint soudain qu'un grand tonneau plein de farine avait été oublié sur la route, non loin de là, probablement tombé du chariot d'un marchand qui passait de ville en ville. Il prit son élan, bondit, et en quelques coups de pattes, il arrivait à côté du tonneau. La patte avec laquelle il avait mangé le miel était encore toute collante, et il n'eut qu'à la plonger dans le tonneau pour que la farine s'y attache.

Il bougea longuement la patte dans le tonneau pour récupérer autant de farine que possible, puis la sortit et la regarda : elle était maintenant toute blanche. Satisfait, il retourna jusqu'à la maison des chevreaux, bien décidé cette fois à les croquer.


« Qui est là ?

– C'est moi, votre maman qui revient. Ouvrez-moi !

– Montre-nous ta blanche patte, maman, que nous puissions te reconnaître. »

Et le loup glissa sa patte enfarinée sous la porte. Cette fois, ayant entendu la douce voix et vu la blanche patte, la méfiance des chevreaux s'endormit et ils crurent vraiment que leur mère était revenue. Ils se dépêchèrent alors de retirer les verrous.

« Rentre vite, maman, car le loup rôde aux alentours ! »


Mais en fait de chèvre, lorsqu'ils ouvrirent la porte, ce fut la grande silhouette noire du loup qui apparut. Affolés, les petits chevreaux tentèrent de se cacher, mais aussitôt, le loup avait bondit et les avait avalé un par un. Puis, calmé par sa victoire et par se bon repas, il oublia que la chèvre devait revenir, et s'allongea tranquillement dans un fauteuil pour une petite sieste digestive.


Cependant, il lui avait fallu du temps pour trouver le miel, puis la farine, et pendant ce temps, la chèvre avait trouvé tout ce dont elle avait besoin. Elle revint donc vers sa maison alors que le loup s'endormait.

La première chose qu'elle remarqua en arrivant, ce fut qu'elle n'entendait rien. Pas le moindre cri, pas le moindre rire, aucun signe des jeux de ses chers petits, qui pourtant auraient du résonner aux alentours. En tendant l'oreille, elle cru même entendre quelque chose qui ressemblant à un gros ronflement.

Inquiète, elle s'approcha de la maison « à pas de loups », pour voir par elle-même ce qui n'allait pas. La porte était restée grande ouverte, et le loup, confortablement allongé dans son fauteuil, dormait au milieu du salon.


La chèvre vit le miel et la farine à la patte du loup et sut qu'au moins, ses petits avaient bien suivi ses recommandations, et que c'était seulement le loup qui s'était montré plus rusé. Elle vit aussi que le gros ventre du loup bougeait légèrement, et se dit que tout espoir n'était peut-être pas perdu. Saisissant son matériel de couture, elle découpa discrètement le gros ventre du loup : ses chers petits, avalés tout ronds, étaient serrés à l'intérieur et lui sautèrent au cou pour l'embrasser en la voyant.


« Chut, chut, mes petits… avant que le loup ne se réveille, allez me chercher six grosses pierres dans le jardin et revenez ici. »

Les six chevreaux lui ramenèrent bientôt six grosses pierres, qu'elle s'empressa de déposer dans le ventre du loup. Puis elle le recousit soigneusement, et emmena ses petits se cacher non loin de là.

Le loup s'éveillé quelques instants plus tard et s'étira en baillant « Ooh… J'ai bien mangé et bien dormi… »

Puis il se leva, et se passa la patte sur le ventre. « Curieux… ces petits chevreaux sont beaucoup plus lourds que ce que j'aurais cru. »

Et pour passer un peu son repas, il s'en fut à la rivière toute proche, et se mit à boire. Il but si longuement qu'à la fin, le poids des pierres le fit tomber dans l'eau et qu'on ne le revit plus jamais.


La chèvre et ses six chevreaux, après s'être longuement embrassés, purent alors reprendre leur vie habituelle, et l'on n'entendit plus jamais s'arrêter les cris et les rires des six petits chevreaux.


Une version de ce conte se trouve notamment dans le livre des frères Grimm, et Jean de La Fontaine en a également tiré une fable. Selon les versions, il y a souvent de cinq à sept chevreaux : j'ai choisi ici de suivre le nombre dont je me souvenais.

Le loup peut également tenter de déguiser sa voix de diverses manières (dont l'efficacité est toujours assez douteuse), la plus « simple » étant qu'il aille seulement boire un peu d'eau à la rivière. Certains lui font aussi manger de la craie (beerk…). Curieusement, je ne connais aucune version « sérieuse » du conte qui lui fasse utiliser de l'hélium ^^

La manière dont se résout l'histoire peut également changer : parfois, le loup décide finalement de passer par une cheminée, où il reste coincé, sans avoir avalé le moindre chevreau, et la mère allume un bon feu en revenant. Parfois encore, l'un des chevreaux se cache dans la maison, et le loup, après avoir avalé ses frères, va faire la sieste dans sa tanière. La mère revient alors, découvre ce qui s'est passé en parlant avec le petit rescapé, et va jusque dans la tanière du loup pour libérer ses petits.

À vous de voir comment vous préférez l'histoire 😉

(Suite au décès inopiné de mon précédent serveur, je profite de mettre en place une nouvelle machine pour essayer de refaire un outil de blog digne de ce nom. J'en profiterai d'ailleurs aussi pour repasser un peu sur certains articles, qui commencent à être particulièrement datés. En attendant, le système de commentaires de ce blog n'est plus fonctionnel, et a donc été désactivé. Désolé ! Vous pouvez néanmoins me contacter si besoin par mail (« mon login at ma machine, comme les gens normaux »), ou d'ailleurs par n'importe quel autre moyen. En espérant remettre les choses en place assez vite, tout plein de datalove sur vous !)