§ Posté le 25/12/2013 à 2h 19m 26
Allez, puisque c'est Noël, mon article de cette semaine sera un nouveau petit conte. Celui-ci est librement adapté de l'histoire narrée jadis par un certain Hans Christian Andersen…
Il était une fois un Empereur très fier de sa garde-robe. Il possédait les habits les plus fins et les plus beaux de toutes les régions alentours, et même de tous les royaumes voisins. Les voyageurs venaient de loin pour admirer ses tenues et le complimenter à ce sujet.
Un jour vinrent deux inconnus, deux étrangers, qui demandèrent audience au roi. Il portait ce jour-ci l'une des plus belles de ses tenues, et s'attendait à les voir émerveillées ; mais rien, pas un compliment. Comme on s'étonnait, les deux hommes répondirent :
« Oui, cette tenue est belle, en effet ; mais là d'où nous venons, les rois portent des tenues beaucoup plus impressionnantes que celles-ci.
– Si impressionnantes que cela ?
– Les plus belles de toutes. Ce sont même des tenues magiques.
– Magiques ? Comment ça ?
– Elles sont si fines, si riches, que tout le monde ne peut pas les voir. Les personnes méritantes, les gens intelligents, y parviennent sans problème ; mais les sots et ceux qui ne sont pas aptes à leur tâche, ceux-là ne le peuvent pas.
– D'où venez-vous ? Je veux pouvoir me procurer de telles tenues !
– Eh bien, justement… il se trouve que nous sommes tisserands, et que nous savons comment ces tenues se fabriquent.
– Et combien voudriez-vous pour m'en fabriquer une ?
– Oh, messire… nous travaillons pour la beauté de notre art et la richesse et la beauté de nos tenues, et les sourires des personnes qui les portent, nous suffisent comme récompense.
– Vraiment ?
– Fournissez-nous les instruments et les matériaux, et nous nous mettrons à l'œuvre sans tarder, pour vous faire la plus belle des tenues. »
Marché fut conclu, et l'on confia aux deux hommes un atelier disposant des meilleurs métiers à tisser de tout l'empire. En guise de matière premières, on leur livra la soie la plus fine, les tissus les meilleurs, et, sur leur exigence, des fils d'or et d'argent, et des éclats de pierres précieuses pour agrémenter le costume.
Les deux hommes, après avoir déclaré que cela leur convenait, s'enfermèrent dans l'atelier en réclamant qu'on ne les dérange pas, car leur travail était long et délicat, et qu'ils avaient besoin de calme et de concentration. Il leur faudrait, dirent-ils, trois semaines de travail pour parvenir à créer une tenue aussi extraordinaire que celle qu'ils avaient décrit.
Une semaine s'écoula, et l'Empereur, impatient, décida qu'il était temps de se renseigner sur l'avancement des travaux. Il choisi l'un de ses vieux et fidèle ministre, qui faisait merveille à son poste depuis de nombreuses années, et le chargea de se rendre à l'atelier et d'interroger les tisserands.
Ceux-ci se firent un devoir de l'accueillir et de lui montrer les machines inlassablement actives qui semblaient tisser sans se fatiguer… semblaient, car, à sa grande surprise, le vieux ministre ne vit pas l'étonnant tissu que les deux hommes lui décrivaient.
« Ma foi », se dit-il, « je sais avoir bien rempli mon rôle depuis des années, et nul ne saurait prétendre que je ne suis pas digne de mon poste ; mais ce que j'ai fait ne m'a jamais semblé requérir de grandes capacités… peut-être suis-je trop sot pour pouvoir admirer ce tissu magique ? »
Il se garda cependant le silence et écouta les commentaires des deux tisserands comme s'il pouvait voir le tissu, tenant à dissimuler la honte de cette révélation.
Il revint bientôt vers l'Empereur et lui répéta le discours de son mieux, l'assurant que le tissu était magnifique et que l'habit serait superbe. Il transmis également la demande des deux hommes, qui avaient, disaient-ils, sous-estimé la quantité de matériaux requis et qui désiraient qu'on les réapprovisionne d'autant.
Les hommes furent exaucés, après ces bonnes nouvelles, et une semaine de plus s'écoula avant que l'Empereur ne veuille de nouveau avoir des nouvelles.
Il choisit cette fois un jeune intendant fraîchement nommé, qui se dirigea à son tour vers l'atelier.
Il fut lui aussi grandement accueilli, et put admirer les machines qui tissaient inlassablement… mais il ne vit pas plus d'habit que n'en avait vu le vieux ministre.
« Bigre… je ne suis certainement pas sot ; serais-je donc inapte à mon poste ? Mais si l'autre l'a vu, quel air aurais-je de ne pouvoir le voir, moi ? Ils ne doivent rien apprendre… »
Et l'intendant, lui aussi, fit semblant d'admirer l'habit en cours de préparation, retenant attentivement les explications que lui donnaient les deux tisserands.
Lui aussi revint donc vers l'Empereur en lui décrivant la merveilleuse tenue, et en lui transmettant que les tisserands demandaient une troisième livraison de matériaux, qui fut elle aussi exaucée.
La troisième semaine s'écoula, et les deux hommes vinrent eux-mêmes voir l'Empereur, pour lui annoncer que leurs travaux étaient terminés. De nouveau, il leur proposa un paiement ; de nouveau, ils refusèrent, disant que leur récompense serait de voir leur souverain porter une aussi belle tenue.
L'Empereur fut donc conduit à son tour jusqu'aux ateliers, où il découvrit les machines que l'on venait arrêter. On lui présenta la tenue… qu'il ne vit pas davantage.
« Serais-je donc sot, ou inapte à mes fonctions ? Il est vrai que l'empire est essentiellement gouverné par mes ministres… il ne faut pas que mes sujets l'apprenne ! Je dois faire semblant de le voir… »
L'Empereur fit donc mine d'admirer l'habit, y compris lorsque les deux hommes, sérieux et concentrés, entreprirent de l'aider à la porter.
« Sentez, messire, comme le tissu est fin et léger : on jurerait ne pas le sentir sur soi, pas vrai ? »
L'habillage terminé, des pages se montrèrent, et les deux tisserands leur confièrent la traîne pour la porter en procession. Ils prirent alors congé, et nul ne les revis plus dans le pays… car, vous l'aurez compris, ces deux hommes étaient des escrocs.
Ils s'étaient, deux semaines durant, simplement reposés, ne faisant tourner les machines qu'à vide, au moment des visites ; et le prestigieux habit n'existait tout simplement pas. S'ils n'avaient pas demandé le moindre paiement, c'est parce que les matériaux, qu'ils avaient conservé, étaient par eux-mêmes tellement précieux qu'ils leur suffiraient à vivre dans le luxe tout le reste de leur âge.
Mais l'Empereur, lui, ignorait encore cet état de fait et se trouvait maintenant en train de parader devant ses sujets… sans le moindre vêtement sur lui, comme vous le savez.
Au début, personne ne dit rien. Chacun se demandait s'il était sot, ou inapte, car si aucune des personnes à proximité ne se manifestait, c'était sans doute que les autres le voyaient, eux, ce costume magique…
Puis finalement, un enfant finit par s'écrier « Mais il est tout nu ! », et tout le monde, écoutant la voix de l'innocence, reprend après lui « Il est tout nu ! L'Empereur est tout nu ! »
Comprenant ce qui s'est passé, l'Empereur, tout rouge, dû tout de même achever sa procession…
La morale de cette histoire, vous l'aurez compris, est qu'il est parfois préférable de passer pour bête sur le moment en faisant remarquer que quelque chose ne va pas, plutôt que de laisser les choses s'amplifier, car quand l'évidence finit par éclater, il est souvent trop tard.
Joyeux Noël à tou⋅te⋅s