§ Posté le 27/11/2017 à 22h 22m 47
Paris (ou presque), un soir de novembre. Le camarade qui m'héberge pour l'événement est déjà rentré chez lui depuis un moment ; mais je suis resté au restau plus longtemps avec d'autres ami⋅e⋅s que je ne vois pas assez souvent. Il est déjà tard, la journée n'a pas été de tout repos, et l'une de mes conférences du lendemain est encore loin d'être prête. Sorti du métro, seul, je marche vite.
Devant moi, une femme sort d'une échoppe encore ouverte. Un type qui était devant la porte (je n'ai pas pu voir s'il en sortait lui-même ou s'il y faisait le pied de grue) commence à lui parler. Quelque part dans mon esprit fatigué, un soupçon de signal d'alarme s'allume, mais iels semblent débuter une conversation, que je n'entends pas. Iels ont l'air de se connaître, je n'ai pas de raison de m'en mêler.
Nous marchons ainsi dans la même direction quelques instants, moi à quelques pas derrière eux. Puis la femme hausse le ton. Non, elle ne veut pas de sa compagnie. Il insiste, elle répète. Je me suis trompé. Iels ne se connaissent pas, et il est bien en train de l'importuner. Le temps que je le réalise, toutefois, il s'est arrêté, tandis qu'elle continue évidemment sa route.
Alors que je le dépasse, je l'entend dire encore quelque chose, où je saisis le mot « chapeau » : à en juger par le nombre de couvre-chefs aux alentours, cette fois, c'est de moi, ou à moi, qu'il parle. Peut-être a-t-il compris que je suis délibérément en train de me placer entre eux deux, au cas où, et il se peut même que cela ait joué sur le fait qu'il laisse tomber. Je n'en sais rien : je n'ai pas l'intention de m'arrêter pour en débattre avec lui.
Une quinzaine de mètres plus loin, toujours aussi délibérément, je ralentis le pas pour que la distance entre elle et moi augmente. Lui n'est plus dans les abords immédiats, elle continue d'avancer : j'essaye d'éviter que ce soit désormais ma présence qui l'importune. Je ne la suis pas, nous allons seulement dans la même direction. Un peu plus loin, elle entre quelque part ; je continue alors ma route en accélérant de nouveau, sans cesser de cogiter sur le sujet.
Ça s'est passé sous mes yeux, j'ai eu des soupçons dès le départ, et je n'ai, somme toute, rien fait. J'ai beau avoir un mode de vie qui limite fortement mes possibilités d'être présent au moment où ces choses se passent, ce n'est pas la première fois que je me trouve aux abords de l'un de ces nombreux cas qui, plus ou moins anodins pris indépendamment, forment tous ensemble un harcèlement quotidien dont nombre de femmes sont victimes. Et, à nouveau, je n'ai vraiment compris qu'il se passait quelque chose que trop tard.
Certes, j'ai souvent l'esprit de l'escalier. Mais je suis sensibilisé à la question, et je sais que j'aurais pu, dû comprendre – et intervenir – beaucoup plus tôt. Énormément d'autres gens ne sont pas dans ce cas, et n'auraient, peut-être, simplement rien vu. C'est beau de placarder, dans les transports en commun, dans les chartes de nos différents événements, que l'on veut mettre un terme au harcèlement sexiste et qu'il faut signaler ces cas lorsqu'ils se produisent ; mais quel intérêt si on ne nous apprend pas à les reconnaître ?
Quelques textos échangés avec une amie, qui se trouve pour sa part du côté de Lyon. Le même soir, elle a elle-même vécu – et pas du point de vue de témoin – une situation analogue. Comme, vraisemblablement, un grand nombre d'autres femmes à d'autres endroits. Personne, non plus, n'a bougé dans leur cas. Nous avons, elle et moi, le même avis sur la question : il y a quelque chose à changer dans notre société. Nous y travaillons, mais que d'efforts cela demande…
J'écris ces lignes à la gare, le surlendemain, en attendant de rentrer chez moi. Entre temps, j'ai donné mes conférences, parlé à des gens, contribué, je l'espère, à faire bouger les choses dans le bon sens, même si modestement, même si c'était surtout sur d'autres sujets. Trop peu dormi, aussi. J'ai eu toutes les raisons du monde de ne plus repenser à cet incident au cours de la journée d'hier. Mais le même camarade continuait de m'héberger, et j'ai repris le même chemin hier soir pour rentrer chez lui, ce qui m'a évidemment remis la chose en tête.
Pourquoi ai-je besoin d'écrire cet article ? Je me prends sans doute un peu la tête pour rien : étant donné le contexte, le fait que je ne connaisse ces deux personnes ni d'Ève, ni d'Adam, je n'aurais sans doute rien pu faire de mieux. On ne va pas non plus intervenir avec de gros sabots chaque fois qu'une personne en aborde une autre à la sortie d'une boutique. Du moins, j'espère quand même qu'il y a une proportion non-négligeable de cas dans lesquels ça ne relève pas de ce type de problématiques. En l'occurrence, il n'y a (je crois) pas eu d'attouchements, et ça s'est plutôt bien fini. Il y a seulement eu une femme qui a dû passer un mauvais moment, et à une échelle bien moindre, mon orgueil de chevalier blanc qui vient d'en prendre un sacré coup.
N'empêche que j'ai l'impression que j'aurais pu faire quelque chose, et que je ne sais même pas quoi. J'ai eu le cas du premier témoin dans cette BD qui m'est assez spontanément venu en tête – puisque j'étais dans une situation très proche – mais toute la suite de la BD qui m'était complètement sortie de l'esprit.
Il y a quelques années, pour pouvoir être admissible au CRPE, j'avais dû passer la formation de base de secouriste. Il s'est passé ensuite très exactement ce que j'avais imaginé sur le moment : j'ai tout oublié assez rapidement, et je serais bien incapable d'appliquer la moindre des choses « apprise » alors si la situation venait aujourd'hui à se présenter devant moi.
Plusieurs fois, j'ai pensé à refaire cette formation – ça devrait être un truc régulier, en fait, ne serait-ce que parce que les bonnes pratiques peuvent évoluer. Je n'en ai encore jamais eu le courage, sans doute en partie parce qu'il est plus confortable de se dire que, si quelque chose se passe, il y aura d'autres gens, plus qualifiés, pour faire les choses à notre place. Sauf qu'il n'y en a pas toujours, d'autres gens, plus qualifiés ou pas. Alors que, des gens qui ont besoin d'aide, ça, on n'en manque pas, et ça ne changera sans doute pas de sitôt.
Pour que les choses changent, pour que le monde fonctionne mieux, on a besoin de tou⋅te⋅s mettre la main à la pâte. Il y a plusieurs façons de faire. Apprendre à savoir réagir quand se présente une situation problématique, c'est quelque chose de sacrément utile. Mais il n'y a pas toujours de formations pour ça.
On nous dit que le principal souci n'est pas tant les gens qui posent eux-mêmes problème que l'inaction des gens de bonnes intentions. À voir. Je sais que, malheureusement, il y aura d'autres actes de harcèlement sexiste, et que, tôt ou tard, je serai de nouveau en présence de l'un d'eux. J'aimerais vous dire que, quand ça arrivera, je verrai à temps, je saurai quoi faire. En fait, j'aimerais surtout y croire.