§ Posté le 13/08/2014 à 19h 22m 44
Avant-propos : ce qui va suivre est le propos d'un membre de l'espèce humaine, et concerné en tant que tel par la problématique du sexisme ; mais d'un membre de l'espèce humaine qui se trouve être de sexe masculin, relativement à l'aise dans le genre qui lui est attribué par la société, et, notamment, plutôt dans la norme en ce qui concerne les attirances sexuelles et amoureuses(1). Dans l'immédiat, du moins.
Il est nécessaire de préciser ce point car, en tant que tel, je peux considérer les aspects purement logiques de la question, mais il m'est beaucoup plus difficile d'en approcher les aspects émotionnels, les deux étant nécessaire pour réellement comprendre ce dont il est question ici.
C'est à ce titre que, bien que le féminisme soit un mouvement égalitariste, qui concerne donc tout être humain, quels que soient son sexe et son genre, il s'y trouve une discrimination de fait basée sur ces aspects : les personnes qui subissent le plus lourd des discriminations patriarcales sont celles qui ont le plus de légitimité à s'exprimer à ce sujet.
Je tâcherai donc seulement, dans cet article, de mettre humblement ma plume à leur service, sans que les propos que je vais tenir n'aient prétention à dépasser leur portée.
Le « mansplaining » [mansplaining]
Après une telle introduction, autant commencer par là : le mansplaining (que l'on pourrait traduire par « mecsplication »(2)) désigne l'attitude de ces personnes qui, n'étant pas concernées par le problème, se pensent néanmoins en position de l'expliquer à celles qui le subissent réellement ; ou par extension, à juger de sa recevabilité.
MadmoiZelle y consacre un excellent article. Cet article d'AC Husson dans Genre ! présente également bien les choses.
L'objectif du féminisme, comme je vous le chante ailleurs, est de sortir de ce carcan enfermant un individu soit dans une case, soit dans l'autre, selon le critère arbitraire de la forme de ses organes génitaux(3) ; pour enfin considérer que nous sommes des individus avec des sensibilités différentes, et qui donc peuvent avoir plus de deux points de vue différents sur les choses.
Partant de là, tout énoncé de la forme « ce point n'est pas important, et il vaut mieux parler d'autre chose » est problématique : il n'est peut-être pas important pour la personne qui dit ça, en effet ; mais pour la personne qui avait avancé le point en question au début, il est manifestement suffisamment important pour que l'on en parle.
Il est assez méprisant de considérer que, parce qu'une chose nous semble de moindre importance, tout le monde devrait la considérer comme tel. C'est également quelque peu hypocrite quand on proclame en même temps s'attacher à un mouvement qui a pour but d'assurer la prise en compte des différentes sensibilités.
Le fait, par ailleurs, de considérer que, parce que nous ne voyons rien de choquant, alors nous pouvons affirmer à la personne qui soulève un problème qu'elle se trompe (les « points bonus » dans le second article ci-dessus), c'est oublier un peu vite de prendre en compte que notre point de vue n'est ni neutre, ni exhaustif : un fameux tas de choses peuvent être légitimement choquantes sans qu'elles ne nous choquent, nous.
Tou⋅te⋅s sexistes ? [toutlemondesexiste]
Allons plus loin : si les choses ne nous choquent pas, c'est peut-être parce que nous ne sommes pas habitué⋅e⋅s à y prêter suffisamment d'attention. Mais c'est peut-être également parce que nous avons été trop habitué⋅e⋅s à ce qu'on nous les présente comme « normales ».
Notre société est en effet une société patriarcale, sexiste, et il est simplement impossible d'y échapper totalement. Nous sommes tou⋅te⋅s sexistes, parce que le monde autour de nous l'est, et que nous faisons partie intégrante de ce monde(4).
Dire qu'une personne, ou qu'un propos, est sexiste, ce n'est donc pas une accusation : c'est un constat, un point de départ à prendre en compte pour analyser correctement les choses.
Le féminisme ne consiste donc pas seulement en une lutte visant à changer les règles de la société dans laquelle nous vivons : il s'agit également, et même surtout, d'une « lutte intérieure »(5) visant à comprendre et « déconstruire » le sexisme que nous avons intériorisé.
Alors oui, les féministes ne sont pas exempts de sexisme sur certains aspects ; il va cependant de soi que balancer ça, dans ce sens, dans un débat, relève de la parabole de la paille et de la poutre. C'est d'ailleurs en partie parce qu'iels ont réfléchi à leur propre sexisme que les féministes proposent quelques clefs pour « déconstruire » celui des autres.
La « culture du viol » [cultureduviol]
Ce travail de « déconstruction » est d'autant plus important que certains des clichés sexistes véhiculés par notre société sont particulièrement dangereux, et notamment ceux qui forment ce que l'on désigne comme la « culture du viol » (expression sans doute “traduite” mot-à-mot de l'anglais Rape culture, que l'on croise parfois en V.O. dans les articles français, comme par exemple ici).
On cite souvent, pour faire comprendre ce concept, cet article de Crêpe Georgette. J'ai cependant déjà vu quelqu'un objecter qu'il ne s'agirait là que d'extrapolations à partir d'exemples isolés, aussi vais-je vous proposer également cet article en cinq parties, clair et documenté, montrant l'ampleur du phénomène.
À la base de cette « culture » se trouvent donc des mythes sur le viol, un ensemble d'idées reçues sur ce que serait un « vrai viol » (de nuit, par un inconnu, sous la menace d'une arme, etc., toutes des caractéristiques assez rares dans les faits). Cette définition très réductrice conduisant à considérer que la plupart des viols n'en seraient pas(6), et plus spécifiquement à faire retomber la responsabilité sur la victime (qui mentirait, ou bien serait à l'origine des faits), ainsi qu'à éprouver davantage d'empathie pour l'agresseur que pour la victime(7).
Il est sociologiquement prouvé (confer la troisième partie de l'article ci-dessus) que ces mythes sur le viol et leur propagation contribuent grandement à maintenir dans la société un rapport de domination d'un genre sur l'autre. Il est donc nécessaire d'y prêter une attention toute particulière, et de tenter de cultiver le féminisme plutôt que le viol.
Drague et dégâts [drague]
Il convient en particulier de questionner notre rapport aux autres sur le plan sexuel. Je pense bien sûr au harcèlement, qu'il soit de rue ou d'ailleurs(8), et qu'il ne faudrait pas laisser passer (guide pratique pour les témoins sur le projet Crocodiles). Mais pas seulement.
En fait, le premier « strip » de cette BD (rapidement commenté un peu plus loin) témoigne lui-même d'un grave problème : celui de considérer que la relation amoureuse ou sexuelle serait une « récompense » pour avoir bien agit.
Dans les questions composent, L'elfe nous offre une analyse intéressante de cette tendance à rechercher la « récompense » en accumulant des points(9).
En fait, la problématique initiale est sans doute le fait de considérer une personne du sexe opposé comme étant, en premier lieu, un possible partenaire sexuel et/ou amoureux, avant même d'envisager les autres formes de rapport possible.
Deux aspects participent à cette tendance, même s'ils semblent à première vue opposés : l'injonction sociale, pour les mâles, de multiplier les conquêtes ; et le mythe de l'Amour avec un A majuscule, plaçant dans la vie en couple (forcément hétérosexuel) une condition du bonheur.
Il convient donc de (re)préciser que non, les rapports sexuels et/ou amoureux ne sont pas l'objectif premier à atteindre dans la plupart des relations sociales.
Et la prostitution ? [prostitution]
Et concernant les rapports sexuels tarifés ? L'elfe y consacre encore un article qui remet assez bien les pendules à l'heure sur l'horreur de ce « métier », tout en rappelant au passage un point essentiel : tous les rapports sexuels tarifés ne sont pas à considérer de la même façon, et il faut distinguer le cas de la personne qui fait cela occasionnellement ou ponctuellement du cas de celle qui n'a pas les moyens de refuser un « client ».
Dans un monde idéal, chacun⋅e pourrait disposer de son corps comme iel le souhaite, y compris en tarifant des rapports sexuels(10). Mais nous ne sommes pas dans un monde idéal et, la prostitution étant une telle cause de traumatisme, il paraît nécessaire d'y chercher des solutions.
C'est, je crois, l'un des grands débats entre les différents courants féministes : certains de ces courants souhaiteraient que la prostitution n'existe plus(11), d'autres souhaiteraient pouvoir conserver le concept, mais lui retirer ses aspects dégradants.
Dans un cas comme dans l'autre, il semble au minimum évident que la situation actuelle est très problématique. S'il n'est pas forcément évident de faire partie de la solution sur ce point (encore que s'opposer au patriarcat, si cela n'a pas d'effet direct, est sans doute le plus efficace à long terme), il faut au moins veiller à ne pas faire partie du problème.
En finir avec la galanterie [galanterie]
Mais revenons à des sujets plus légers, et parlons un peu de cette mauvaise excuse du patriarcat qui prétendrait accorder un régime de faveur au genre dominé. La « galanterie » se veut donc un « sexisme bienveillant », accordant des avantages aux femmes – avantages bien loin de compenser les nombreux désavantages instaurés par ailleurs.
En fait, en réfléchissant un peu à ces règles de galanterie, on s'aperçoit bien vite qu'elles sont de deux sortes différentes : pour un certain nombre d'entre elles (ne pas frapper les femmes, leur tenir la porte(12), etc.), elles relèvent simplement des règles et conventions sociales de base, et le seul détail aberrant est l'idée selon laquelle il faudrait les réserver aux femmes.
À ces aspects de la galanterie, il me semble donc grandement préférable d'appliquer la politesse, et d'avoir ces comportements quel que soit le genre de la personne en face.
Pour les autres aspects (en gros, ce qui concerne la « protection » des femmes vis-à-vis du monde extérieur(13)), leur dénominateur commun est qu'il s'agit de considérer les femmes comme des « petites choses fragiles » sur lesquelles le mâle, forcément grand et fort, aurait le devoir de veiller.
Or, ce « sexisme bienveillant » est fortement lié au sexisme hostile, et contribue grandement à maintenir les femmes en situation d'infériorité, un peu de la même façon que la culture du viol. Encore une fois, Antisexisme nous fournit quelques références à ce sujet.
Un féminisme au masculin [masculin]
Une chose que l'on oublie parfois est que le féminisme n'est pas seulement le mouvement ayant obtenu, entre autres, le droit de vote des femmes : c'est également un mouvement qui, sur de nombreux aspects, profite « aux deux côtés ».
Ainsi, les congés de paternité et autres possibilités laissées aux pères de famille de s'occuper eux-mêmes de leurs enfants sont la conséquence directe du combat contre l'attribution traditionnelle des rôles.
Mais c'est encore beaucoup plus que cela. En entretenant l'idée, évoquée ci-dessus, que le prestige ou le bonheur seraient à rechercher dans les conquêtes amoureuses et/ou sexuelles, qu'elles soient multipliées ou sacralisées, on entretient également un système de frustration et d'exclusion envers les garçons(14), qui eux non plus ne parviennent pas souvent à atteindre un idéal trop fantasmé pour être réaliste.
En imposant la terreur du viol aux femmes, nous entretenons également l'image d'un mâle agresseur, d'un bourreau à craindre, qui retombe sur chaque humain de genre masculin.
Les membres de mon lectorat maîtrisant la langue anglaise pourront jeter un œil à ce témoignage édifiant d'une personne ayant fait l'expérience des deux genres expliquant en quoi, dans la vie de tous les jours, l'oppression envers les femmes n'est pas dommageable qu'à elles.
C'est également pour cela que je suis féministe, et que je pense que des points de vue masculins comme le mien, s'ils ne peuvent ni ne doivent évidemment pas se supplanter à ceux des femmes, qui subissent la plus grande partie des problèmes liés au patriarcat, doivent également être présentés, car nous avons tou⋅te⋅s à gagner, quel que soit notre sexe, à sortir de ce carcan ne nous autorisant que deux genres, l'un agressé et l'autre agresseur.
Alors cultivons le féminisme. Tou⋅te⋅s.