§ Posté le 12/12/2008 à 15h 30m 49
Avant-propos :
Le contenu scientifique et la trame générale de ce récit (hormis la petite introduction ci-dessous) sont directement issus de quelques pages de l'ouvrage intitulé Patience dans l'azur, écrit par Hubert Reeves, dans son édition de 1988. La prose sera cependant naturellement la mienne, et non la sienne. Je ne prétends pas arriver à un résultat meilleur que le sien, et ne puis que vous encourager, si ma modeste introduction au sujet éveille en vous quelque intérêt, à vous procurer l'œuvre originale, certes quelque peu âgée, mais toujours excellente.
Imaginez un instant que vous vous trouviez quelque part en pleine nature.
C'est le printemps, il fait beau, les arbres sont en fleur. Votre regard est justement attiré par les vives couleurs de l'une de ces fleurs. Vous tendez le bras, saisissez la branche sur laquelle elle pousse, et l'amenez jusqu'à vous pour sentir son délicieux parfum.
Réfléchissons un peu : au cours de cette courte scène, que s'est-il passé exactement ? Il a d'abord fallu que la lumière émise par notre Soleil parvienne jusqu'à cette fleur. Puis que les pigments dont elle se couvre renvoient une partie de cette lumière, qui va cheminer jusqu'à vos yeux. Cela veut dire que les pigments doivent avoir la bonne composition moléculaire pour renvoyer ces longueurs d'ondes lumineuses, et que vos yeux doivent avoir des récepteurs adaptés pour transmettre une information à votre cerveau. Lequel, par un jeu de connexions nerveuses faisant lui-même intervenir des messages électriques, va envoyer à vos muscles l'ordre de se contracter pour que votre main attrape la branche. Il faut ensuite que cette branche ait à la fois assez de solidité pour ne pas céder à la pression que vous exercez dessus, et assez de souplesse pour que vous puissiez la déplacer. La fleur parvenue jusqu'à votre nez, vous captez donc les molécules de parfum qu'elle émet en permanence dans l'atmosphère, et il faut encore que vous disposiez des bons capteurs pour réceptionner ces molécules afin d'en reconnaître l'odeur.
Et pendant ce temps, combien de milliers d'opérations se déroulent sans que l'on y prête attention ? Dans les feuilles de l'arbre, la lumière solaire est captée et utilisée pour former, à partir des matières premières que ses racines absorbent, des molécules énergétiques qui seront l'élément de base de tout le processus de la chaîne alimentaire. En même temps que vous inspirez le parfum, l'air est aspiré dans vos poumons, où son dioxygène est récupéré par les globules rouges présents dans votre sang pour alimenter toutes les cellules de votre organisme. Ce sang qui est lui-même propulsé à travers tout votre corps par les battements de votre cœur, pendant qu'en permanence, votre cerveau reçoit et interprète des informations de chacun de vos six sens (qui sont la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût, le toucher et l'équilibre) pour envoyer un grand nombre d'autres ordres.
Chaque instant de la vie, chaque petite interaction du quotidien est ainsi constitué d'un grand nombre de réactions physiques et chimiques complexes qui se produisent en permanence, par le jeu de molécules constituées d'un très grand nombre d'atomes. Le Tableau Périodique des Éléments recense chacune des différentes sortes d'atomes qui existent : il y en existe en tout plus d'une centaine. Chacun d'eux à des propriétés différentes, et c'est cette grande variété qui permet au monde tel que nous le connaissons d'exister. Et pourtant… pourtant, au début, l'on semblait bien loin de pouvoir mettre ça en œuvre…
Revenons en arrière.
Loin, très loin en arrière. Aussi loin que possible, en fait : jusqu'à ce que l'on appelle le « Big Bang », et qui correspond à l'instant le plus lointain auquel nous pouvons accéder(1). À partir de ce point, nous pouvons reprendre la marche du temps dans le bon sens et commencer à noter ce qui va se passer.
Aux tous premiers instants que nous observons, l'univers contient de toutes petites particules, appelées quarks. Très rapidement, ces particules se sont réunies trois par trois pour en former d'autres, plus grosses. Ces nouvelles particules étaient de deux sortes, dont vous avez sans doute entendu parler : des protons et des neutrons. À la toute première seconde, ces protons et ces neutrons, qui sont tous deux regroupés sous l'appellation « nucléons », erraient librement dans l'espace, aux côtés de trois autres sortes de particules : électrons, photons et neutrinos.
Mais l'espace dont nous disposons est encore très réduit(2). Toutes ces particules peuvent errer au hasard, mais le manque de place fait qu'elles se cognent très souvent les unes contre les autres. Les collisions sont très fréquentes. Lorsqu'elles se produisent entre deux nucléons, ceux-ci restent collés l'un à l'autre et cheminent quelque peu ensemble. Mais cela ne dure pas longtemps, car inexorablement, arrive un photon qui percute ce couple et le sépare.
Jusqu'à notre première seconde d'observation, les choses ne changent pas. Des couples de photons et de neutrons continuent de se former, mais l'agitation, la turbulence de ce tout petit univers les conduisent très rapidement à la séparation. Des structures stables ne peuvent pas encore se former. Cependant, l'expansion a démarré : L'espace croit, et le vide augmente entre les particules. Les collisions commencent à devenir moins fréquentes, commençant à annoncer que les couples ne pourront bientôt plus se former…
Mais en même temps que se déroule cette expansion, un autre phénomène se produit : les photons, très énergiques au milieu de l'agitation, commencent à se calmer. Plus l'espace augmente, plus l'énergie de ces particules originelles diminue : bientôt, ils ne sont plus capables de séparer les couples proton/neutron qui continuent pour un temps de se créer.
Nous avons atteint un instant particulièrement fertile : l'agitation est encore suffisante pour que des collisions se produisent entraînant la réunion des particules, mais est devenue trop faible pour que les collisions suivantes ne viennent les séparer. D'autres chocs peuvent ensuite se faire entre couples, et l'on voit se former des systèmes stables constitués de deux protons et de deux neutrons. Les premiers noyaux de ce qui deviendront par la suite les atomes d'Hélium.
Les choses vont-elles continuer ainsi ? Malheureusement pas. En s'assemblant par quatre, les nucléons qui constituent nos noyaux d'Hélium prennent une disposition qui empêche d'autres particules de venir s'y accrocher. Si d'aventure un cinquième nucléon s'approche pour venir se joindre aux précédents, il ne parvient pas à trouver sa place au milieu des autres, et l'assemblage se sépare spontanément.
Après avoir eu des difficultés à atteindre un niveau de stabilité suffisant, nous nous rendons compte que celui que nous avons finalement atteint est trop grand. Ces noyaux d'Hélium sont trop stables. Ils ne peuvent pas se lier pour former d'autres atomes plus complexes.
L'expansion continue cependant, et au bout de quelques minutes, les collisions deviennent de moins en moins fréquentes. Il n'y en a bientôt plus assez pour que de nouveaux noyaux se forment. Une petite partie des nucléons originaux se sont groupés pour former des noyaux d'Hélium, et dans le même temps se sont trop refermés sur eux-mêmes et ont cessé de participer à l'évolution nucléaire. Les autres errent encore seuls, le vide autour d'eux qui augmente et leur agitation qui diminue les empêchant de se lier à d'autres pour continuer cette évolution.
Tout espoir n'est cependant pas perdu. Les nucléons ne sont pas les seules particules à dériver à cet instant. Peut-être d'autres associations vont-elles permettre de suivre une nouvelle évolution ?
Mais il nous faut être patient. Pour l'instant, rien d'autre ne peut se passer. Les choses vont rester ainsi pendant tout un million d'années. L'Univers continue sa lente expansion, et sa température diminue. Jusqu'à ce que quelque chose de nouveau puisse arriver.
Il faut savoir que les protons ont quelque chose d'un peu spécial. Quelque chose que l'on appelle une charge électrique. Cette charge leur permet d'attirer ou de repousser d'autres particules. Pas toutes, cependant : les neutrons, eux, y sont par exemple insensibles. Les autres protons disposent d'une charge exactement identique, et en matière d'électricité, qui se ressemble se repousse.
Mais parmi les particules engendrées lors de la première seconde, se trouvent des électrons. Eux aussi possèdent une charge électrique. La valeur absolue de cette charge est la même que pour celle des protons, mais elle n'est pas identique. Elle est même exactement opposée. Et si ce qui est identique va avoir tendance à se repousser, ce qui s'oppose va s'attirer.
Un proton va donc avoir tendance à attirer vers lui un électron.
Protons et électrons vont donc avoir tendance à se mettre à former des couples, comme les nucléons le faisaient au tout début. Cependant, les liaisons qui les unissent sont beaucoup moins fortes que celles qui lient les nucléons entre eux ; et il faut beaucoup moins d'énergie pour les briser.
Et nos trouble-fêtes du premier jeu de mariages, les photons, continuent à jouer ce rôle. Ils ont perdu trop d'énergie, sont devenus trop calmes pour parvenir à faire se séparer les nucléons, mais perturber les liaisons entre protons et électrons est encore à leur portée. Pendant que tout ce temps s'écoule, ils viennent empêcher les liaisons électriques de rester stables.
À mesure, cependant, que la température diminue, les photons originels continuent de perdre leur énergie. Voilà qu'ils n'arrivent plus à mettre assez de pagaille pour séparer protons et électrons. Les couples liés par l'attraction électrique deviennent stables à leur tour.
Autour d'un noyau d'Hélium, qui contient deux protons et deux neutrons, deux électrons vont venir se placer. Voilà la naissance des atomes d'Hélium. La grande stabilité de leurs noyaux est conservés. Les électrons prennent des places qui rendent difficiles de nouvelles liaisons. Bien qu'un nouveau mode de jeu soit apparu, l'atome d'Hélium, encore une fois, refuse de jouer.
Les protons isolés, quant à eux, vont se montrer un peu plus amicaux. Un électron vient se lier à chacun d'eux, mais ce lien n'est pas saturé : d'autres électrons vont pouvoir entrer dans la danse, et avec eux le proton auquel ils se sont attachés.
Un noyau constitué seulement d'un proton, avec un unique électron qui gravite autour, c'est ce que nous appelons un atome d'Hydrogène. Ces nouvelles structures qui apparaissent presque en même temps que les atomes, et qui sont constituées de deux atomes liés l'un à l'autre parce que chaque noyau attire les électrons de l'autre, c'est ce que l'on va nommer des molécules.
Voilà une nouvelle forme d'association très intéressante !
…mais dont toutes les capacités ne vont pas être exploitées immédiatement. En effet, une fois encore, une stabilité trop forte s'installe, et le système se ferme. Les molécules de dihydrogène(3) sont, pour l'instant, l'ultime étape : les atomes qui les constituent peuvent se séparer pour aller se lier à d'autres atomes, mais les systèmes constitués de trois atomes d'hydrogène ne veulent pas se manifester.
Une nouvelle fois, les choses s'arrêtent là. Le jeu de la complexité est bloqué…
Et cette fois, il ne semble plus rester d'atouts dans notre manche. Les seules particules qui ne sont pas encore intervenues, les neutrinos, ont peu de chances de permettre de nouvelles liaisons. D'une part parce qu'elles n'ont que très peu d'interactions avec les quatre autres (nous en reparlerons), et d'autre part parce qu'étant, comme les photons, des particules d'énergie plutôt que de matière, leur éventuelle action si elle avait lieu serait probablement du même ordre, à savoir la perturbation. Il semble donc qu'il n'y ait rien à en attendre…
Voilà donc la situation à la fin de la première partie de notre histoire. De la complexité que nous attendions, nous n'avons que quelques petites miettes. Rien, dans cet Univers encore très jeune, ne semble pouvoir aboutir au monde que nous connaissons…
À ce stade, cependant, l'expansion est arrivée à un point suffisant pour que les photons originels aient perdu la plus grande partie de leur énergie. Ils sont devenus trop faibles pour influer sur ce qui se passe. Ce ne sont plus eux qui mènent le jeu. Ce sont nos particules de matière qui prennent de l'importance, et qui vont commencer à dominer l'histoire de l'Univers.
Comment ce règne de la matière va-t-il permettre d'aboutir au résultat que nous lui connaissons ? Quelle grande invention va permettre à cet Univers beaucoup trop simple de gagner en complexité ? Nous tenterons de répondre à ces questions… la prochaine fois.