§ Posté le 28/01/2013 à 21h 25m 48
Le Vicomte de Valvert, mécontent des fanfaronnades de Cyrano, qui vient de botter le derrière d'un fâcheux pour avoir louché sur son appendice nasal, lui déclare qu'en effet, il a un très grand nez. Cyrano répond gravement que c'est le cas, et le Vicomte tente de s'éloigner, satisfait… mais le cadet de Gascogne ne l'entend pas de cette oreille.
Ah, non ! C'est… un peu court, jeune homme !
On pouvait dire… ô, Dieu ! Bien des choses, en somme…
En variant le ton, – par exemple, tenez :
Agressif : « Moi, monsieur, si j'avais un tel nez,
Il faudrait sur-le-champ que je me l'amputasse ! »
Amical : « Mais il doit tremper dans votre tasse…
Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap ! »
Descriptif : « C'est un roc ! C'est un pic ! C'est un cap !
Que dis-je, c'est un cap ? C'est une péninsule ! »
Curieux : « De quoi sert cette oblongue capsule ?
D'écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ? »
Gracieux : « Aimez-vous à ce point les oiseaux,
Que paternellement, vous vous préoccupâtes
De tendre ce perchoir à leurs petites pattes ? »
Truculent : « Çà, monsieur ! Lorsque vous pétunez,
La vapeur du tabac vous sort-elle du nez
Sans qu'un voisin ne crie au feu de cheminée ? »
Prévenant : « Gardez-vous, votre tête entraînée
Par ce poids, de tomber en avant sur le sol ! »
Tendre : « Faites-lui faire un petit parasol,
De peur que sa couleur, au soleil, ne se fane… »
Pédant : « L'animal seul, monsieur, qu'Aristophane
Appelle Hippocampéléphantocamélos
Dut avoir, sous le front, tant de chair, sur tant d'os ! »
Cavalier : « Quoi, l'ami ? Ce croc est à la mode ?
Pour pendre son chapeau, c'est vraiment très commode ! »
Emphatique : « Aucun vent ne peut, nez magistral,
T'enrhumer tout entier, excepté le mistral ! »
Dramatique : « C'est la Mer Rouge, quand il saigne ! »
Admiratif : « Pour un parfumeur, quelle enseigne ! »
Lyrique : « Est-ce une conque ? Êtes-vous un triton ? »
Naïf : « Ce monument, quand le visite-t-on ? »
Respectueux : « Souffrez, monsieur, qu'on vous salue :
C'est là ce qui s'appelle avoir pignon sur rue ! »
Campagnard : « Hé, ardé ! C'est-y un nez ? Nanain !
C'est queuqu'navet géant, ou ben queuqu'melon nain ! »
Militaire : « Pointez contre cavalerie ! »
Pratique : « Voulez-vous le mettre en loterie ?
Assurément, monsieur, c'en serait le gros lot ! »
Enfin, parodiant Pyrame en un sanglot :
« Le voilà donc, ce nez, qui des traits de son maître
A détruit l'harmonie ! Il en rougit, le traître ! »
Voilà ce qu'à peu près, mon cher, vous m'auriez dit,
Si vous aviez un peu… de lettres, et d'esprit.
Mais d'esprit, ô, le plus lamentable des êtres,
Vous n'en eûtes jamais un atome, et de lettres,
Vous n'avez que les trois qui forment le mot “sot”.
Eussiez-vous eu, d'ailleurs, l'invention qu'il faut
Pour pouvoir, là, devant ces nobles galeries,
Me servir toutes ces folles plaisanteries,
Que vous n'en eussiez pas articulé le quart
De la moitié du commencement d'une, car
Je me les sers moi-même, avec assez de verve,
Mais je ne permets pas qu'un autre me les serve.