§ Posté le 10/03/2012 à 16h 23m 05
Juste un petit extrait de L'Armoire Magique, de C.S. Lewis (The Lion, the Witch and the Wardrobe en VO), dont je viens de discuter avec une amie, parce que certaines personnes (dont elle) n'ont vu que le film, et que celui-ci est sur ce point absolument honteux par rapport au livre.
Rappel de la situation : Lucy est entrée dans l'Armoire Magique, et s'est retrouvée au pays de Narnia, où elle a fait la connaissance d'un faune, avec qui elle a pris le thé.
En repartant plusieurs heures plus tard, elle est est ressortie de l'armoire et a retrouvé ses frères et sa sœur qui sortaient de la pièce, sans s'être rendus compte de sa disparition : pour eux, elle les a suivi immédiatement, sans qu'une seconde d'absence n'ait eu lieu.
Évidemment, ça a posé quelques petits problèmes entre eux, à plus forte raison après qu'Edmund se soit lui aussi retrouvé à Narnia, y ait croisé Lucy, puis en revenant de l'autre côté de l'armoire, ait fait semblant d'avoir simplement « joué ».
Peter et Susan, les deux aînés, décident de parler de la situation avec le professeur.
Ils allèrent donc frapper à la porte du bureau, et le professeur dit : « Entrez ! » Il se leva, leur avança des chaises, et leur déclara qu'il était entièrement à leur disposition. Puis il s'assit, et, pressant les uns contre les autres les bouts de ses doigts, il les écouta sans les interrompre jusqu'à ce qu'ils aient terminé toute leur histoire. Ensuite, il resta silencieux un long moment. Enfin, il s'éclairçit la voix et leur posa la question à laquelle l'un et l'autre s'attendaient le moins :
– Comment savez-vous, leur demanda-t-il, que l'histoire de votre sœur n'est pas vraie ?
– Oh ! Mais… commença Susan, puis elle s'arrêta. On pouvait voir, d'après la physionomie du vieil homme, qu'il était parfaitement sérieux. Alors Susan se ressaisit et dit : Mais Edmund a dit qu'ils ont juste fait semblant…
– C'est un point, admit le professeur, qui médire certainement qu'on l'examine ; qu'on l'examine très attentivement. Par exemple, – excusez-moi de vous poser une telle question – d'après votre expérience, qui, de votre frère ou de votre sœur, vous semble le plus crédible ? Je veux dire, qui est le plus franc ?
– Voilà justement ce qui est curieux dans cette histoire, monsieur, répondit Peter. Jusqu'à aujourd'hui, j'aurais répondu Lucy sans la moindre hésitation !
– Et vous, ma chérie, qu'en pensez-vous ? demanda le professeur en se tournant vers Susan.
– Eh bien, dit Susan, en temps normal, j'aurais répondu la même chose que Peter, mais cela ne pourrait pas être vrai… toute cette histoire de forêt et de faune…
– Cette question me dépasse, dit le professeur, mais accuser de mensonge une personne que l'on a toujours considérée comme franche est une chose très grave, une chose extrêmement grave, assurément.
– Nous avions peur que ce ne soit peut-être même pas un mensonge, dit Susan ; nous avions pensé que sans doute Lucy n'allait pas très bien…
– Vous voulez dire, qu'elle était folle ? dit le professeur très calmement. Oh ! Rassurez-vous ! Il suffit de la regarder et de lui parler pour voir qu'elle n'est pas folle du tout !
– Mais alors… s'exclama Susan, et elle s'arrêta.
Elle n'avait jamais imaginé qu'une grande personne puisse parler comme le professeur, et elle ne savait pas quoi penser.
– La logique ! dit le professeur, en partie pour lui-même. Pourquoi n'enseignent-ils pas la logique dans ces écoles ? Il n'y a que trois possibilités. Soit votre sœur ment, soit elle est folle, soit elle dit la vérité. Vous savez qu'elle ne ment pas, et il est évident qu'elle n'est pas folle. Donc, pour le moment, et jusqu'à preuve du contraire, nous devons admettre qu'elle dit la vérité.
Susan le regarda attentivement et fut certaine, d'après l'expression de son visage, qu'il ne se moquait pas d'eux.
– Mais comment cela peut-il être vrai, monsieur ? demanda Peter.
– Pourquoi posez-vous cette question ? rétorqua le professeur.
– Pour une raison très simple, répondit Peter. Si c'est vrai, pourquoi ne trouve-t-on pas ce pays chaque fois que l'on pénètre dans l'armoire ? Je m'explique : il n'y avait rien lorsque nous avons regardé, et Lucy elle-même n'a pas prétendu le contraire.
– Qu'est-ce que cela change ? dit le professeur.
– Eh bien, monsieur, si les choses sont réelles, elles ne disparaissent pas.
– Le croyez-vous vraiment ? demanda le professeur, et Peter ne sut pas quoi répondre.
– Et il n'y a pas eu de temps, objecta de son côté Susan. Même si un tel lieu existait, Lucy n'aurait pas eu le temps d'y aller : elle a couru derrière nous juste au moment où nous sortions de la pièce. Il ne s'était même pas écoulé une minute, et elle a prétendu qu'elle avait été absente pendant des heures.
– C'est justement la chose qui rend son histoire tout-à-fait susceptible d'être vraie, déclara le professeur. S'il y a réellement, dans cette maison, une porte qui conduit vers un autre monde (et je dois vous avertir que cette maison est très étrange, et que, même moi, je la connais très mal), si donc, je répète, Lucy a pénétré dans un autre monde, je ne serais pas du tout surpris de découvrir que cet autre monde a un temps séparé, qui lui est propre ; si bien que quelle que soit la durée d'un séjour là-bas, cela ne prendra jamais une seconde de notre temps. Par ailleurs, je ne pense pas que beaucoup de petites filles de son âge soient capables d'inventer cette idée toutes seules. Si Lucy avait imaginé son histoire, elle serait restée cachée pendant un certain temps avant de venir vous raconter son aventure.
– Mais vous voulez vraiment dire, monsieur, dit Peter, qu'il peut exister d'autres mondes, comme ça, tout autour de nous, tout à côté de nous ?
– Rien n'est plus probable, dit le professeur, qui enleva ses lunettes et se mit à les nettoyer, tout en marmonnant pour lui-même : Je me demande ce qu'ils peuvent bien leur enseigner dans ces écoles.
– Mais qu'allons-nous faire ? dit Susan, qui trouvait que la conversation commençait à dévier du sujet.
– Ma jeune demoiselle, dit le professeur en levant soudain vers les deux enfants un regard très pénétrant, il existe un plan que personne n'a encore suggéré et qui vaut pourtant la peine d'être essayé.
– Qu'est-ce que c'est ? demanda Susan.
– Nous pouvons tous essayer de nous mêler uniquement de ce qui nous regarde, déclara-t-il.
Et ce fut la fin de cette conversation.