Petit problème de langue récurrent : doit-on écrire “autant pour moi”, ou “au temps pour moi” ?
Le dictionnaire en ligne de l’Académie Française nous apprend que l’origine historique de “au temps pour moi” serait militaire (certains autres l’attribuent plutôt au domaine musical), tandis que “autant pour moi”, d’origine populaire, ne serait en rien justifiée. Cela se comprend parfaitement si vous considérez que ces deux graphies ne sont qu’une seule et même manière de dire “je me suis trompé”, sans plus de précisions. Est-ce vraiment le cas ?
Loin de moi l’idée de me prétendre meilleur expert dans la langue de Molière que ces messieurs du Quai Conti (au sujet desquels maître Desproges (paix à son cancer) avait fait un réquisitoire assez intéressant que je vous conseille vivement), mais je crois tout de même que, le français demeurant une langue vivante, certaines de leurs décisions et prises de positions peuvent être discutées, et celle-ci en fait partie.
Et en particulier, je désire attirer votre attention sur le fait que l’on peut voir dans cette différence de graphie une nuance somme toute assez importante de sens. L’on disait effectivement “au temps pour moi”, à l’origine, pour signifier que l’on reconnaissait son erreur et que l’on désirait donc revenir quelques temps en arrière pour recommencer la même manœuvre sans la recommencer. C’est là une notion purement temporelle et aucunement quantitative, et la graphie “au temps” est donc la seule justifiée, et “autant” n’y conviendrait pas.
Mais d’une manière un peu plus figurée, l’on peut également considérer une autre manière de voir les choses : Une erreur peut être d’importance variable, mais il convient qu’elle reçoive toujours une correction (dans celui des deux sens de ce terme qui convient à la situation : rectification ou réprimande), et que cette correction soit de "taille" adaptée à l’erreur commise. Si l’on veut obtenir un progrès, on ne donne pas mille pages de règles typographiques à apprendre par cœur à qui a mit un accent grave quand il en fallait un aigu, pas plus qu’à quelqu’un qui croit encore que le Soleil tourne autour de la Terre, on ne se contente de dire que ce n’est pas le cas sans lui fournir un minimum d’explications.
Il existe donc bel et bien une approche purement quantitative et aucunement temporelle de la reconnaissance de l’erreur : celle qui consiste à accepter, à demander une correction d’importance adaptée, sans exprimer aucun désir de revenir en arrière, mais plutôt celui de continuer sur un meilleur chemin. Et pour celle-ci, c’est “au temps” qui ne correspond pas, et elle justifie amplement d’utiliser “autant”.
Je pense donc, pour ma part, que la controverse à ce sujet vient d’une mauvaise interprétation due à la prononciation : on croit qu’il s’agit d’une unique expression possédant deux graphies différentes ; j’y vois pourtant deux expressions différentes, certes homophones, mais d’écriture et de sens différents.
« Au temps pour moi, reprenons, recommençons sans que je ne fasse l’erreur. »
« Autant pour moi, j’en prends bonne note, continuons avec la correction. »
Notez que j'ai déjà contacté le service du dictionnaire de l'Académie à ce sujet. Je vous laisse apprécier mon message et savourer la pertinence et la justesse de la réponse.
Bonjour, et désolé de vous déranger pour un motif somme toute assez futile, mais je souhaiterais quelques compléments de réponse concernant l'un des points de vos questions de langues. Vous indiquez :
« Il est impossible de savoir précisément quand et comment est apparue l'expression familière au temps pour moi, issue du langage militaire, dans laquelle au temps ! se dit pour commander la reprise d'un mouvement depuis le début (au temps pour les crosses, etc.). De ce sens de C'est à reprendre, on a pu glisser à l'emploi figuré. On dit Au temps pour moi pour admettre son erreur - et concéder que l'on va reprendre ou reconsidérer les choses depuis leur début.
L'origine de cette expression n'étant plus comprise, la graphie Autant pour moi est courante aujourd'hui, mais rien ne la justifie. »
Je suis entièrement d'accord avec le premier paragraphe (à ceci près qu'il me semblait que l'origine de l'expression se situait plutôt dans le contexte de la musique, mais ce n'est pas de prime importance). En revanche, j'ai quelques doutes sur la phrase conclusive : vous considérez donc "autant pour moi" comme une graphie erronée (ou au moins non-justifiée) de la même expression ?
L'expression que vous pointez ici possède effectivement cette idée de retour en arrière dans le but de recommencer sans refaire l'erreur, c'est une notion temporelle et aucunement quantitative, et la graphie "au temps pour moi" est donc la seule adaptée. Cependant, je pense que l'on peut comprendre la même suite de sons d'une autre manière : non pas comme un désir de retour en arrière, mais comme une volonté d'accepter le juste dû de l'erreur et de continuer en en ayant prit bonne note.
Il s'agirait donc, dans ce deuxième sens, d'accepter de recevoir (voire de demander) quelque chose (selon le cas, la simple rectification ou la réprimande) en proportion égale à celle de l'erreur commise, sens qui serait donc purement quantitatif et aucunement temporel, et pour lequel la graphie “au temps pour moi” ne serait donc pas adaptée, contrairement à la graphie “autant pour moi”.
Ne serait-il pas possible que, plutôt que deux graphies différentes d'une même expression, ces deux tournures ne soient en réalité deux expressions différentes, quoiqu'homophones, porteuses de deux sens différents ?
En vous remerciant par avance de vos éclaircissements à ce sujet.
Cordialement,
Monsieur,
Il y a eu, comme cela arrive quand on a oublié l'origine d'une expression, une remotivation de cette expression accompagnée, éventuellement, de variantes graphiques. Victor Hugo en donne un bel exemple dans Notre-Dame de Paris quand il explique que sur un cachot souterrain qui ne recevait le jour que par un soupirail grillagé on aurait écrit à destination des passants ces mots latins Tu, ora ! "Toi, prie." Peu à peu l'inscription s'effaça et son sens se perdit et, dans la bouche des passants, Tu, ora devint trou aux rats.
Il s'est passé un phénomène identique avec l'expression en question.
Cordialement,
C'est bien possible, mais ça n'a rien à voir avec ce que je disais