Le Web, porte d'entrée d'Internet ?

En tout cas, ne confondons pas les deux.

Message 1, par Elzen

§ Posté le 19/03/2012 à 0h 46m 29

Le langage courant a tendance à confondre « Web » et « Internet », comme s'il s'agissait d'une seule et même entité. Ce n'est en fait pas exact, et il y a de fortes chances pour que vous utilisiez, plus ou moins quotidiennement, des bouts d'Internet qui n'ont rien à voir avec le Web.


Qu'est-ce qu'Internet ? J'ai déjà répondu à cette question dans un autre article (dans lequel j'éludais une grande parte de la question qui nous intéresse aujourd'hui), mais autant le répéter : Internet est le réseau grâce auquel nous communiquons à l'échelle mondiale. Une telle échelle demande une infrastructure particulière : Internet est dépourvu de « centre », et se comporte donc de manière non-hiérarchisée.


Maintenant, qu'est-ce que le Web ? La réponse la plus simple est que le Web est une partie d'Internet. C'est la partie d'Internet que vous pouvez visiter en ouvrant votre navigateur et en vous déplaçant de page en page sur les différents sites que vous visitez.

Pour autant, Internet ne se résume pas au Web : il existe des tas d'autres choses que vous faites sur ce réseau mondial sans que ça passe forcément par votre navigateur : mails et messageries instantanées, échanges de fichiers pair-à-pair, etc. : tout cela fait partie d'Internet, mais ne fait pas partie du Web(1).

Bref, voilà pour la différence entre les deux. Internet, c'est le réseau complet, et le Web, c'est la partie d'Internet que vous affichez dans votre navigateur.



Certains d'entre vous objecteront peut-être que pour leurs mails, contrairement à ce que je viens à peu près de dire, ils utilisent leur navigateur. C'est en effet tout-à-fait possible, à condition que votre serveur mail (la machine sur laquelle sont stockés vos messages électroniques et sur laquelle vous devez vous connecter pour les consulter) vous propose un « WebMail », c'est-à-dire une interface Web dédiée à la lecture de mails.

J'insiste sur la fin de la phrase : il ne s'agit, dans ce cas, que d'une interface, c'est-à-dire un moyen d'accès. La communication réelle entre votre boîte mail et celles de vos correspondant ne passe pas par le Web(2), ce n'est que l'affichage du contenu de votre boîte qui le fait.

Il est d'ailleurs possible que votre serveur vous propose les deux possibilités : utiliser un véritable client mail (comme Mozilla Thunderbird, Evolution, ou encore Microsoft Outlook) installé et configuré sur votre machine principale et, quand vous n'êtes pas sur la machine, vous connecter « rapidement » à l'aide d'une interface Web.


La même chose existe pour la messagerie instantanée : bien que l'on s'y connecte, la plupart du temps, par un logiciel dédié (Gajim pour Jabber/XMPP ; XChat, Weechat ou mIRC pour IRC ; Windows Live Messenger, aMSN ou Emesene pour MSN ; Pidgin ou Empathy pour ces trois-là à la fois (et encore quelques autres) ; etc.), certains sites proposent également une interface Web permettant de communiquer par ces protocoles(3) depuis votre navigateur.

Les deux choix sont donc possible, et c'est à vous de prendre celui qui vous convient en fonction de vos préférences personnelles et des circonstances.



Dans ces deux cas, mails et messagerie instantanée, la compatibilité est permise parce que les deux modes de fonctionnement sont les mêmes que pour le Web : un serveur plus ou moins central, auquel vous ne vous connectez(4) qu'en tant que client. Le serveur gère seul « l'intelligence » (les données et leur traitement), et tout ce que vous faites, c'est lui envoyer des requêtes pour avoir son avis ou lui demander d'envoyer un message pour vous.

D'autres bouts d'Internet, comme les échanges pair-à-pair, ne peuvent simplement pas fonctionner ainsi, parce qu'ils ne sont structurellement pas compatibles : en pair-à-pair, comme le nom l'indique, il n'y a pas de serveur qui gère les données et de client qui y accède, chacun est un peu des deux à la fois et tous les intervenants sont égaux. Difficile, donc, de faire une interface Web pour l'échange pair-à-pair.

Et quand bien même ce serait plus facile, l'intérêt en serait peut-être aussi beaucoup plus limité.



Car l'intérêt principal de ces autres autres bouts d'Internet que j'évoque ici est que vous n'y êtes pas seulement un lecteur passif, vous y êtes également et surtout un acteur (vous envoyez des mails et des messages instantanés, plutôt que de seulement les lire ; en échange pair-à-pair, vous diffusez les parties du fichier échangé dont vous disposez déjà en même temps que vous récupérez ceux qui vous manquent, c'est d'ailleurs tout l'intérêt de ces échanges).

C'était censé être ça, le grand intérêt d'Internet, à la base : que chacun puisse y être un acteur le plus simplement du monde. Or, c'est ce que justement le Web n'est pas prévu pour permettre.


Comprenez bien : le Web est fait pour que chacun (vous y compris) puisse ouvrir son propre serveur et diffuser les données qu'il le souhaite au reste du monde. Les systèmes de réponses et commentaires mis en place sur de nombreux sites permettent d'ailleurs au reste du monde d'envoyer des retours sur ces informations.

Mais dans l'ensemble, et même si le nombre de serveurs peut potentiellement être aussi élevé que celui de clients, le Web est surtout constitué de deux entités distinctes et quelque peu opposées : d'un côté les serveurs qui gèrent les données et le traitement, et de l'autre les clients qui ne font que se connecter à ces serveurs pour accéder à l'information.

Les autres bouts d'Internet, même ceux qui fonctionnent sur le modèle client/serveur, n'appliquent pas cette discrimination : seuls les individus en bout de chaîne sont réellement les intervenants, les serveurs ne devant être que des moyens techniques leur permettant de communiquer.


Pour autant, cela ne veut pas dire qu'il y ait de raison de rejeter le Web. Ce mode de fonctionnement est le mode le plus adapté dans son domaine d'application, à savoir la simple – mais essentielle – diffusion de l'information. Pour prendre des exemples de la vie courante, le Web est une sorte de gigantesque bibliothèque, dans laquelle chaque site est un livre (plein de pages), tandis que les autres bouts d'Internet sont, par exemple, votre téléphone, votre vide-grenier ou vos salles de réunions.

Même si n'importe qui peut espérer faire publier un jour les livres qu'il voudrait mettre à disposition du grand public, il y a toujours une différence de statut entre le livre et son lecteur, et on a plus souvent besoin, quand il s'agit de livres, d'en feuilleter un déjà existant que d'en publier un nouveau. De la même manière, même si n'importe qui peut créer son propre site, la vie de tous les jours nous apporte plus souvent, dans le cas de l'accès aux sites, l'occasion de lire ceux qui existent que d'en publier de nouveaux (à moins bien sûr d'être un blogueur compulsif, ce que j'ai tendance à être par moments (mais pas assez souvent, me diront mes plus enthousiastes lecteurs)).



Le problème est plutôt dans le fait que l'on ait tendance à élargir le domaine du Web dans tous les sens, d'une manière qui n'est ni franchement efficace, ni particulièrement pertinente. Actuellement, le Web aurait, chez certaines personnes, tendance à faire tout, à devenir Internet dans son ensemble. Certains n'utilisent que leurs interfaces Web quand ils en ont, et ne font rien quand ils n'en ont pas.

C'est dommage, parce que cela les prive d'un certain nombre de choses (on l'a vu, tout n'est pas nécessairement accessible par une interface Web). Cela crée des barrières artificielles, et cela les rend dépendant des gens qui éditent les sites qu'ils visitent.


Cela a également l'effect curieux d'être à la fois uniformisant et désuniformisant, et chacun des deux dans le domaine où l'autre serait plus adapté.

Uniformisant, parce qu'une seule technologie (HTML, avec ses alliés habituels que sont CSS et JavaScript (j'ai déjà mentionné ce dernier dans cet article)) se met à devoir tout faire, y compris des choses pour lesquelles elle n'est pas pensée (il y a un principe fondateur, dans le monde Unix, qui dit « faites des logiciels qui ne font qu'une chose, mais qui la font bien ». Là, on est plutôt sur le principe inverse. Ce qui n'est pas une bonne nouvelle, car c'est la diversité des technologies disponibles qui permet la puissance et l'efficacité des logiciels).

Et désuniformisant, parce que chaque site propose sa propre structure et son propre mode de fonctionnement, différent de celui du voisin, et que celui qui utilise plusieurs sites doit s'habituer à tous ces modes de fonctionnement différents, quand l'utilisation de moyens non-Web lui permettrait de n'avoir que son environnement à lui (par exemple, un même client mail vous permet de lire vos mails provenant de deux boîtes différentes de la même façon, tandis que si deux WebMails sont différents, vous êtes obligés de subir ces différences).


Un nouveau petit point plus technique qui ne sera pour une fois pas en note, mais qui, je vous rassure, sera je l'espère assez digeste : nous avons vu que le Web n'était pas prévu pour faire un certain nombre de choses que pourtant on lui fait faire. Pour la messagerie instantanée, par exemple : le côté « instantané » est juste en opposition avec le principe de base du Web, qui est que vous chargez une page, d'un coup, à un moment donné, et que vous laissez ensuite le réseau tranquille jusqu'à ce que vous chargiez la suivante.

Si le simple WebMail coïncide à peu près avec le mode de fonctionnement initial, l'écrasante majorité du reste des « applications Web » sont en fait constitués de gros tas de bidouilles(5) plus ou moins fonctionnelles, alourdissant les transferts et vous demandant tout un tas de ressources que vous auriez pu utiliser pour autre chose, et pouvant poser des problèmes de sécurité ou autres.

Je ne rentre pas, pour cette fois, dans le détail, d'autant qu'un certain nombre de ces bidouilles sont depuis entrées dans la « normalité » (sessions et rechargements automatiques, par exemple), mais je peux vous assurer que les gens qui développent ça n'y gagnent pas forcément non plus, parce que ça complexifie pas mal leur boulot à eux aussi.



Alors que conclure ? C'est effectivement plutôt bien que le plus d'informations possibles soient accessibles, de manière simple, par le Web. Un accès en lecture seule à une mailing list publique ou à des archives publiques de conversation, par exemple, ça me semble tout-à-fait entrer dans le domaine d'application du Web, et je n'ai rien à y redire.

N'avoir, quand on n'est pas sur son propre ordinateur, qu'un navigateur à lancer pour pouvoir se connecter à un WebMail ou à une messagerie instantanée et communiquer avec les gens qu'on a besoin de joindre, c'est effectivement très pratique.


Mais pour autant, c'est bien que les choses soient accessibles par d'autres moyens que le Web, des moyens qui, étant dédiés à cela et non pas détournés de leur fonction première, permettent un meilleur fonctionnement, et surtout garantissent à l'utilisateur de pouvoir choisir le logiciel qui lui convient le mieux pour effectuer les actions qu'il veut faire, plutôt que de devoir nécessairement passer par l'unique interface Web proposée.


Je pense que le Web devrait rester une sorte de « porte d'entrée » à Internet, qui permette à l'utilisateur de naviguer jusqu'aux informations dont il a besoin et de les consulter, mais sans pour autant être le seul moyen mis à disposition. Partout où l'utilisateur peut agir, il est intéressant de lui en laisser la possibilité, et cela en lui offrant des accès spécialisés(6) plutôt que de tout restreindre à l'utilisation du seul navigateur.


On peut d'ailleurs noter que le succès naissant du projet « Web Out of Browser », et peut-être de quelques autres de ce style que je ne connais pas encore, est un bon signe allant dans ce sens. Il s'agit d'un autre moyen de contournement, qui utilise le Web « faute de mieux » lorsqu'il n'y a pas d'autres moyens d'interagir avec le site, mais il montre en tout cas que non, tout le monde ne veut pas tout faire en passant uniquement par son navigateur.


Après tout, être acteur d'Internet, c'est aussi essayer de faire en sorte qu'Internet puisse s'adapter à nous plutôt que de devoir nécessairement nous adapter à ce que les autres en font.


Message 2, par Ithilnar

§ Posté le 07/02/2013 à 10h 11m 42

Je te confirme qu'il est effectivement possible de se connecter à Facebook Chat via Pidgin ;-) (L'interface Web de Facebook Chat est ignoble et profondément pas pratique, il a bien fallu que je trouve une solution viable ^^')


J'aime bien ta vision des choses, "faire qu'Internet s'adapte à nous" est un concept intéressant. Dommage que pour l'instant, les seuls qui arrivent à faire ça soient ceux qui se sont fortement documentés sur la question, et donc à priori se sont le plus "adaptés à Internet" en premier lieu... =)

Message 3, par Elzen

§ Posté le 07/02/2013 à 23h 06m 31

La solution la plus viable, pour Facebook Chat, c'est de ne plus utiliser Facebook 😋


Et effectivement, il y a encore besoin de pas mal de connaissances, mais c'est justement en s'y mettant qu'on va pouvoir améliorer les choses. À mon échelle, en tout cas, j'essaye de faire ce que je peux pour améliorer ça.


D'ailleurs, je sors d'une conf sur l'auto-hébergement (que j'animais avec un camarade pour l'ALDIL), et il y avait pas mal de monde, c'était chouette 😊 (je mets les slides et l'audio à dispo dès que possible, mais là, j'ai besoin de me reposer un peu).

(Suite au décès inopiné de mon précédent serveur, je profite de mettre en place une nouvelle machine pour essayer de refaire un outil de blog digne de ce nom. J'en profiterai d'ailleurs aussi pour repasser un peu sur certains articles, qui commencent à être particulièrement datés. En attendant, le système de commentaires de ce blog n'est plus fonctionnel, et a donc été désactivé. Désolé ! Vous pouvez néanmoins me contacter si besoin par mail (« mon login at ma machine, comme les gens normaux »), ou d'ailleurs par n'importe quel autre moyen. En espérant remettre les choses en place assez vite, tout plein de datalove sur vous !)