§ Posté le 06/06/2014 à 1h 12m 09
Le sable dans lequel, douillettes, leurs autruches
Enfouissent la tête, on n'trouve pas plus fin,
Quant à l'air qu'ils emploient pour gonfler leurs baudruches,
Leurs bulles de savon, c'est du souffle divin !
– Georges Brassens, la ballade des gens qui sont nés quelque part.
Si, comme le dénonçait fort justement l'oncle Georges, certaines personnes ont tendance à s'enorgueillir un peu trop de la ville qui les a vu naître, la ville elle-même peut parfois se vanter de certaines personnes y ayant élu domicile.
La ville où j'ai grandi possède ainsi une école primaire nommée en mémoire d'un certain Gustave Flaubert. Mais j'habite désormais à Lyon, et c'est ici une Université qui porte le nom de deux des plus célèbres riverains : les frères Auguste et Louis Lumière.
Je vous l'apprendrai peut-être, mais il existe une controverse au sujet de la paternité de leur plus célèbre invention : certains nos voisins d'outre-atlantique(1) aiment en effet avancer que le cinéma fut inventé par l'un de leurs compatriotes, un certain Thomas Edison(2).
Ce pionnier de l'électricité et inventeur du phonographe avait en effet mis au point dès 1889, soit six ans avant le tournage du premier film des deux frères lyonnais, le kinétographe, première véritable caméra, entraînée par un moteur électrique.
De nombreux films ont donc pu être tournés avant que les frères Lumière n'aient connaissance de cette invention, qu'ils s'ingénieront à dépasser. Le premier réalisateur de l'histoire du cinéma fut sans doute William Dickson, collaborateur d'Edison, qui tourna un certain nombre de films (Wikipédia indique environ 70) avant que nos lyonnais n'entrent en scène.
Pour accompagner son invention, Edison mit également au point le kinétoscope, instrument destiné à visionner les films enregistrés avec sa caméra. Là non plus, les frères Lumière n'ont pas été les premiers.
Ce qui fit la différence fondamentale entre leurs approches, cependant, fut que le kinétoscope était un instrument strictement personnel : pour pouvoir visualiser un film, il était nécessaire de venir placer ses yeux sur une sorte de lunette située sur l'appareil, empêchant plusieurs personnes d'assister au même spectacle.
Cela fait donc dire à certaines personnes que l'invention d'Edison était plutôt celle de la télévision que celle du cinéma.
La caractéristique fondamentale du cinématographe, l'invention des frères Lumière, qui justifiait son statut particulier, fut le fait qu'il s'agissait d'un projecteur et non pas d'un appareil personnel : l'image était projetée sur un écran plus grand, permettant à un grand nombre de personnes d'en profiter simultanément.
Autre progrès important par rapport au kinétographe, le cinématographe (qui servait, lui, aussi bien pour enregistrer que pour visionner ; même si l'idée d'Edison de faire deux appareils distincts fut celle qui l'emporta par la suite) pouvait être réglé pour accepter plus ou moins de lumière, permettant une meilleure adaptation aux conditions extérieures.
Lyon était une ville de tisserands : le mécanisme permettant au cinématographe des frères Lumière de fonctionner, différent de celui utilisé par Edison, a très probablement été inspiré par ceux du métier Jacquard, du nom du célèbre autre lyonnais qui l'avait inventé. Le mécanisme utilisé par les caméras plus récentes en descend également.
Mais au delà des différences techniques, certaines personnes mettent en avant le fait qu'Edison n'a jamais véritablement exploité tout le potentiel de son invention : il avait le point de vue d'un inventeur, se concentrant sur les aspects techniques, tandis que les frères Lumière auraient prêté davantage d'attention à la mise en scène, et à la naissance de l'art cinématographique.
Ainsi, dans la Sortie de l'usine Lumière à Lyon, l'un de leurs premiers et plus célèbres films, la caméra avait enregistré le passage inopiné d'un chien au milieu des ouvriers. Trouvant le détail intéressant, les deux frères ont fait en sorte de le reproduire dans les versions ultérieures de ce film en faisant passer volontairement un chien sur les lieux.
Ce film, parmi une dizaine, fut projeté dans ce qui est considéré comme la première séance de cinéma au Salon indien du Grand Café, à Paris, le 28 décembre 1895 ; qui fut une séance publique… et payante. La première séance avait coûté un franc à chacun des trente-trois spectateurs(3) ; nous savons malheureusement que les prix ont pas mal augmenté depuis(4).
L'autre plus célèbre film des frères Lumière, l'arrivée d'un train en gare à la Ciotat ne fit pas partie de cette première séance, mais, diffusé à partir de janvier de l'année suivante, fit très grande impression, notamment parce que les premiers spectateurs eurent l'impression que le train allait littéralement sortir du mur.
Autre époque, autres effets, et nous ne sommes plus guère surpris par les images en mouvement, mais l'arrivée du cinéma en « trois dimensions »(5) recommence peut-être à faire éprouver ce genre d'effets à certains d'entre nous. Jusqu'à ce que tout le monde y soit également habitué…
Mais puisque j'évoque ce cinéma à « trois dimensions », notons que son invention n'est pas nouvelle. En fait, le procédé baptisé anaglyphe fut inventé en 1891, avant même la première projection des frères Lumière.
Lesquels ne manquèrent pas d'en tirer parti, quoique quelques temps plus tard : les deux frères avaient tourné un film utilisant cette technique dès 1936.
Mais ils ne travaillèrent pas que sur le cinéma : la photographie restait également l'une de leurs activités principales, et l'on peut noter qu'ils furent, en 1904, les inventeurs du premier procédé de photographie couleur, l'autochrome, qui fut progressivement remplacé par d'autres techniques au cours des années 1930.
Si elle ne fut pas forcément la ville où naquit le cinéma, et si sa rue « du premier film » est un peu abusivement nommée, Lyon n'a donc pas à rougir de certaines contributions apportées par ces deux habitants parmi les plus célèbres.
L'Institut Lumière, installé à l'endroit où se situait la fameuse usine, comporte un musée dédié à l'histoire du cinéma qui, parmi d'autres lieux aussi impressionnants, mérite le détour ; et il contient notamment un cinéma diffusant des films d'anthologie.
Pour conclure cet article, je vous proposerai simplement les liens vers les deux films dont je vous ai parlé plus haut : la sortie de l'usine Lumière, et l'arrivée d'un train en gare à la Ciotat.