Sous surveillance…

Message 1, par Elzen

§ Posté le 04/04/2015 à 0h 36m 38

J'ai vingt-huit ans, une montagne de boulot pour ma thèse, et je viens d'être élu président d'une chouette association avec laquelle j'ai envie de faire plein de trucs cools. Et comme soixante millions de personnes qui, il y a vingt-huit ans, vivaient dans un pays supposé être celui des Droits humains, je suis en train de devenir citoyen d'un État policier.


Non, je n'exagère pas. Je ne fais que suivre la définition de Raymond Carré de Malberg :

L'État de police est celui dans lequel l'autorité administrative peut, d'une façon discrétionnaire et avec une liberté de décision plus ou moins complète, appliquer aux citoyens toutes les mesures dont elle juge utile de prendre par elle-même l'initiative, en vue de faire face aux circonstances et d'atteindre à chaque moment les fins qu'elle se propose : ce régime de police est fondé sur l'idée que la fin suffit à justifier les moyens. À L'État de police s'oppose l'État de droit.

Cela devenait de plus en plus évident au vu des lois sécuritaires votées ces dernières années, et celle qui est actuellement en train de passer au parlement achève le travail : nous ne sommes plus dans un État de droit.


Depuis plusieurs années, nos gouvernements successifs votent des lois retirant toujours plus de pouvoir à la Justice, pour les placer entre les mains d'autorités administratives ou d'acteurs privés. Depuis plusieurs années, nos ministres et nos parlementaires s'acharnent à créer la zone de non-droit qu'iels prétendent vouloir réguler.

Oui, il s'agit d'Internet. Mais Internet n'est pas un monde à part, différent de « la vie réelle » : Internet est l'outil dont nos sociétés se sont dotées pour changer. Internet est l'outil fondamental permettant une véritable liberté d'expression et des rapports véritablement égalitaires.

Ce n'est pas un simple truc d'informaticien : c'est utile pour tout le monde. C'est utile pour tou⋅te⋅s les citoyen⋅ne⋅s. Ce sont des enjeux qui concernent toute personne qui sera amenée à vivre en France dans les années à venir.


Le projet de loi qui est actuellement discuté (si l'on peut parler d'une véritable discussion…) au parlement, pour être voté dans une « procédure accélérée » que rien ne justifie, vise à instaurer une surveillance de masse, généralisée de l'ensemble de la population.

Plusieurs films, dans des genres totalement différents, comme La vie des autres ou Le grand blond avec une chaussure noire, nous montrent des services secrets en train de truffer l'appartement d'un quidam de micros, pour pouvoir l'écouter en permanence.

Eh bien, ce qui est en train d'être voté, c'est très exactement cela, appliqué à l'ensemble de la population. Appliqué à vous. Et d'une manière bien plus intrusive qu'à l'époque de ces films, car les échanges que l'on passe sur Internet couvrent bien davantage de choses que ce que peut capter un simple micro.


Ne dites pas que ça ne vous concerne pas, parce que vous n'avez rien à vous reprocher. Tout le monde, même le plus irréprochable de nos semblables, a des choses qui n'ont pas vocation à être rendues publiques.

Au nom d'une sécurité fantasmée, accepteriez-vous des caméras de vidéosurveillance dans votre chambre à coucher ? Placarderiez-vous publiquement, tous les mois, vos fiches de paye ? Vous promèneriez-vous avec des vêtements transparents ?

C'est notre intimité la plus simple et la plus naturelle qui est en jeu. Si vous n'en êtes pas convaincus, jetez un œil à cet article. À celui-ci. À celui-là.

La surveillance de masse, la surveillance généralisée, est nuisible pour tout le monde.


Elle est nuisible, entre autres, parce qu'elle inverse la causalité. Dans un monde sous surveillance, plus de présomption d'innocence. On ne surveille que les personnes suspectes : s'iels nous surveillent, nous sommes suspect⋅e⋅s. Tou⋅te⋅s.

Et en plus d'être nuisibles, nous savons déjà que ces mesures seront d'une totale inutilité. Dans le meilleur des cas. Le plus vraisemblable, nous avons eu l'occasion de le constater quand d'autres ont fait les mêmes erreurs, est qu'elles aggraveront les problèmes qu'elles prétendent combattre.


Les députés qui, en 1940, ont voté les pleins pouvoirs à Philippe Pétain, avaient l'excuse d'une guerre mondiale, face à un ennemi d'une barbarie sans précédent. Nos député⋅e⋅s actuels n'ont aucune excuse : iels ont délibérément choisi, dans un contexte ne justifiant aucune mesure d'urgence, de s'en prendre durement et durablement aux citoyens qu'iels étaient censés représenter, et à la République dont iels étaient censés être les garant⋅e⋅s.

Ce sont des traîtres à la République. Et nous devons agir. Il nous reste, à l'instant où j'écris ces lignes, douze jours pour nous mobiliser. Douze jours pour leur faire entendre raison. C'est très peu.


Voici quelques mois, je relayais ici un appel visant à sauver la Quadrature du Net, une association qui, depuis plusieurs années, se bat de toutes ses forces pour sauver nos libertés.

Nous nous sommes mobilisés à l'époque et nous l'avons sauvée. Mais ça n'aura servi à rien si nous laissons faire ce contre quoi elle se bat.

La Quadrature du Net, grâce au soutien que nous lui avons exprimé, a pu analyser efficacement ce projet de loi et faire des propositions pour sauver les meubles. Elle a pu mettre en place des outils qui nous permettent d'agir.

C'est maintenant à nous de prendre le relais. À nous de montrer que nous pouvons avoir une démarche responsable et prendre les choses en main. Appelons nos député⋅e⋅s. Ces coups de fil sont notre dernier espoir de conserver une intimité.


Si j'avais le choix dans mes occupations, je serais vraisemblablement en train de travailler d'arrache-pied pour ma thèse, ou éventuellement de faire tourner une asso. Seulement, voilà : d'autres gens en ont décidé autrement.

Ce n'est pas de gaieté de cœur que je viens de passer quelques heures à écrire cet article. Mais il faut parfois faire des choses qui ne nous plaisent pas dans l'intérêt commun. Et nous sommes précisément dans une situation où cela est nécessaire.

Message 2, par Nibel

§ Posté le 29/04/2015 à 7h 01m 13

Je me permets de relayer ton message un peu partout. Il est parfaitement clair pour le commun des mortels tout en étant très complet.


Merci.

(Suite au décès inopiné de mon précédent serveur, je profite de mettre en place une nouvelle machine pour essayer de refaire un outil de blog digne de ce nom. J'en profiterai d'ailleurs aussi pour repasser un peu sur certains articles, qui commencent à être particulièrement datés. En attendant, le système de commentaires de ce blog n'est plus fonctionnel, et a donc été désactivé. Désolé ! Vous pouvez néanmoins me contacter si besoin par mail (« mon login at ma machine, comme les gens normaux »), ou d'ailleurs par n'importe quel autre moyen. En espérant remettre les choses en place assez vite, tout plein de datalove sur vous !)