Poussières d'étoiles, seconde partie

Au cœur des étoiles.

Message 1, par Elzen

§ Posté le 12/12/2008 à 15h 30m 49

Avant-propos :

Je vais sauter ici quelques pages du livre qui me sert de guide dans mon récit. Hubert Reeves, dans son ouvrage, s'attarde un court instant sur le sujet des galaxies entre ces deux parties. Je les lui laisse, vous ayant déjà suggéré de vous procurer l'édition de 1988 de Patience dans l'azur, et découvrir toute la richesse de son œuvre, dont la mienne ne fait que s'inspirer. Je vais donc reprendre mon récit là où nous l'avions laissé, pour tenter de voir comment, de l'Univers simple des premiers instants, la complexité que nous attendons va prendre forme.



Avec l'avènement du règne de la matière, une nouvelle force va faire son entrée magistrale en scène. Une force que l'on a appelé la gravitation. Cette force s'exerce entre toutes les particules pourvues d'une masse. Isaac Newton sera plus tard l'un des premiers à théoriser ses effets, et Sir Henry Cavendish s'en servira quelques années plus tard pour déterminer la masse totale de notre planète. Il faudra encore attendre Albert Einstein pour commencer à comprendre sa véritable nature. Mais nous pouvons déjà observer ses effets.


Cette force s'exerce donc entre particules de matière. Elle les attire les unes vers les autres, pour former non plus de petits couples comme les forces précédentes, mais de gigantesques amas, car plus la quantité de matière augmente, plus les particules voisines sont attirées.

Dans ces amas, les particules vont se réchauffer, accélérer, gagner en agitation. Plus les particules sont nombreuses au sein d'un même amas, plus la gravitation va les attirer toutes en direction du centre de cet amas, qui agit comme s'il regroupait toutes leurs masses.


(illustration)


Alors que l'Univers dans sa globalité continue son expansion et son refroidissement, on voit apparaître, localement, la tendance inverse : au sein de ces amas, les particules se resserrent, laissant de moins en moins de vide entre eux. Comme si elles reprenaient, en sens inverse, l'histoire de l'univers.


Les photons qui nous accompagnaient depuis le début sont maintenant devenus si froids et si calmes qu'ils n'interagissent plus. Ils continuent cependant de cheminer, et l'on peut encore de nos jours, avec le matériel adapté, les détecter. Cependant, dans notre récit, ils ne servent plus à rien. Ils ont passé la main. Mais de nouveaux photons se mettent à apparaître : nos atomes, au sein de ces amas, sont maintenant tellement agités qu'ils émettent eux-même des particules d'énergies.


Ces photons émis par l'agitation des particules deviennent bientôt assez énergiques pour venir à bout de la force électrique qui relie les protons aux électrons. Ceux-ci se mettent alors à errer seuls, aux côtés des noyaux, sans que les couples ne puissent se former. Au sein de notre amas, l'Univers reprend l'aspect qu'il avait durant son premier million d'années, avant que le refroidissement ne permette la naissance des atomes et des molécules.

L'agitation augmente alors sans cesse. Les photons sont de plus en plus énergiques. Bientôt, ils dépassent le stade de l'infrarouge pour passer au rouge, puis au jaune. Parfois même au bleu. La lumière qu'émet notre amas devient visible à nos yeux. Une étoile vient de s'allumer.


Au cœur de cette étoile, les particules sont tellement agitées que la force électrique, qui, par la répulsion qu'elle provoque entre eux, empêche deux protons d'entrer en contact, perd de plus en plus d'importance. Elle finit par devenir négligeable. Les protons entrent de nouveau en contact les uns avec les autres. Les neutrons, qui sont eux aussi présents à cet endroit, font de même. Revoilà des couples qui se forment entre nos nucléons. Lorsque quatre nucléons entrent en contact, ils forment un nouveau noyau d'hélium.


(illustration)


À ce stade, c'est l'étoile entière qui se stabilise. L'énergie perdue par les photons qu'elle émet en permanence est compensée par celle qu'elle génère par ces liaisons.

Elle s'installe alors dans la première grande phase de sa vie, au cours de laquelle elle consomme ses réserves de protons et de neutrons, qui sont ses constituants initiaux. Puisque le noyau d'un atome d'hydrogène, séparé de son électron, est un proton isolé (ou parfois accompagné d'un neutron), on peut considérer cette phase comme la fusion de l'hydrogène en hélium.


Quinze millions d'années se sont écoulées depuis la naissance de l'étoile. Selon la taille de l'étoile ainsi formée, cette phase qui commence durera probablement entre une centaine de millions et une dizaine de milliards d'années, durant lesquelles l'aspect extérieur de l'étoile ne changera pas.

Pourquoi pareil écart ? Parce que la masse des étoiles n'est pas toujours la même. Plus l'étoile est massive, plus la force de gravitation qui s'exerce entre les particules la constituant est importante, et plus le cœur de l'étoile se réchauffe et s'agite. Les collisions y sont donc plus fréquentes, et l'hélium est créé plus rapidement.

Au contraire, quand l'étoile est moins massive, cette réaction, par manque d'agitation, est extrêmement lente. Il y a des cas extrêmes : certaines étoiles “brûlent” tout leur carburants en quelques millions d'années seulement. Pour certaines autres, cela prendra plusieurs centaines de milliards d'années.


Mais quoi qu'il en soit, le moment va bien finir par arriver où l'étoile viendra à manquer de ressources. Tout l'hydrogène finira par être consommé, et il ne restera alors plus que des noyaux d'hélium.

Plus de liaisons. Plus de production d'énergie pour compenser celle perdue en lumière. Que se passe-t-il alors ?


Le cœur de l'étoile s'effondre sur lui-même. La gravitation reprend le dessus, et la température augmente de nouveau, entraînant avec elle l'agitation des molécules. C'est à ce moment que va se produire un phénomène qui n'avait pas pu arriver dans les secondes qui ont suivi le « Big Bang » : à l'époque, tout allait vers l'expansion et le refroidissement. Un refroidissement tellement rapide que cette phase propice et fertile n'aura duré en tout que quelques minutes. Désormais, c'est la tendance inverse. La température augmente, et ce sont encore des millions d'années que nous avons devant nous.

Un temps suffisamment long pour que de nouvelles rencontres se forment.


En effet, lorsque deux noyaux d'hélium se rencontrent, ils ne se séparent pas immédiatement. Quelques instants s'écoulent durant lesquels ils restent côte à côte. Si par hasard un troisième noyau se manifeste à ce moment, ce que nous attendions se produit enfin : trois atomes d'hélium peuvent se réunir pour former un système stable. Un noyau constitué de six protons et de six neutrons : un noyau de carbone.


Voilà de nouvelles liaisons qui deviennent possibles. Une nouvelle fois, l'étoile va trouver une phase de stabilité. Une nouvelle source d'énergie va venir compenser la perte lumineuse. Cette fois, c'est l'hélium, produit lors de la première phase, qui devient le carburant principal. Le carbone n'en est d'ailleurs pas le seul produit : carbone et hélium peuvent également se combiner pour former l'oxygène. Deux nouvelles sortes de noyaux qui, vous vous en doutez, seront d'une importance cruciale pour la suite(1).


(illustration)


En même temps que la fusion de l'hélium en carbone s'amorce au cœur de l'étoile, un autre phénomène se produit dans son atmosphère. Celle-ci se gonfle et vire au rouge. Vu de l'extérieur, c'est ce que nous appelons une « géante rouge » : une étoile beaucoup plus volumineuse qu'elle ne l'était à l'origine(2).

L'atmosphère, elle aussi, s'est réchauffée. Alors que dans la phase précédente, l'activité ne se déroulait qu'au centre, les couches externes restant faites d'hydrogène inchangé, cette fois, quelques-unes de ces couches vont atteindre la température nécessaire pour que l'agitation engendre de nouveaux noyaux d'hélium.

Bien que la plus grande part de sa vie se soit écoulée, l'étoile commence seulement à manifester tout son potentiel créatif.


Puis l'hélium, à son tour, va venir à manquer.

Si l'étoile est peu massive, ce sera la fin de l'histoire : après sa phase de géante rouge, l'étoile va peu à peu évacuer une partie de sa matière, pour former ce que l'on appelle une nébuleuse planétaire. À mesure qu'elle s'éloigne du cœur chaud de l'étoile, la matière refroidit, et les liaisons électriques entre protons et électrons se reforment.

L'Univers a alors gagné deux nouveaux types d'atomes, mais guère plus. Certes, ceux-là sont les plus importants, et les atomes de carbone, d'oxygène et d'hydrogène peuvent se combiner en un très grand nombre de molécules. La complexité que nous attendions est peut-être enfin au rendez-vous. Mais quatre sortes d'atomes différents, n'est-ce pas un peu trop peu ?


Si l'étoile, au contraire, est très massive, la gravitation l'entraînera tellement qu'une nouvelle fois, son cœur va se contracter. Jusqu'à ce que le carbone, à son tour, ne devienne le carburant d'une nouvelle fusion, qui engendrera de nouveaux noyaux. On peut citer quelques noms : néon, sodium, magnésium, aluminium, silicium, phosphore, soufre. Tous commencent à apparaître à ce moment.


Puis ce sont le néon, l'oxygène, puis le silicium qui commencent à fusionner. Tout le groupe des métaux se forment, puis tous les éléments que nous avons classés dans le Tableau Périodique, jusqu'à l'un des plus lourds d'entre eux, l'Uranium. Tous ces éléments, que l'on attendait vainement juste après le « Big Bang », sont désormais au rendez-vous au cœur des étoiles massives.


La température monte trop, cependant. On se rapproche dangereusement de la température à partir de laquelle l'agitation est trop forte pour que les nucléons restent collés les uns aux autres. La préparation risque de “brûler” : nos nouveaux noyaux, si difficiles à obtenir, vont bientôt se dissocier et tout sera perdu.


C'est alors qu'une de nos particules les plus discrètes va connaître son moment de gloire. Souvenez-vous : l'Univers des premiers instants était constitué de cinq sortes de particules (trois de matière et deux d'énergie) : protons, neutrons, électrons, photons et… neutrinos. À partir de la fin de la consommation de l'hélium, les fusions en produisent en plus des photons.


Nous l'avons déjà dit, un neutrino n'interagit presque jamais avec une autre particule. C'est ce qui va nous sauver. Car les photons émis au cœur de l'étoile doivent se frayer difficilement un chemin vers les couches supérieures de l'atmosphère pour pouvoir s'échapper. Bien souvent, ils se heurtent à d'autres particules et ne peuvent pas arriver jusqu'au bout. Les neutrinos, eux, n'ont pas ce problème : ils foncent droit devant eux en ignorant royalement la présence de tous leurs voisins et compagnons de route(3).


À partir du moment où l'étoile commence à émettre des neutrinos, sa perte d'énergie augmente donc considérablement. C'est en partie ce qui fait que les différents carburants dont elle dispose en son cœur sont usés beaucoup plus rapidement que lors des deux phases précédentes.


Bientôt, cette perte d'énergie sera trop importante. L'étoile ne pourra plus y résister. Dans un gigantesque éclair lumineux, elle va exploser, libérant dans l'espace le fruit de son activité interne. C'est ce que l'on appelle une supernovæ. Cette fois encore, les noyaux, en refroidissant, vont récupérer leurs électrons, et nous obtiendrons enfin ces atomes lourds que nous attendions. Grâce aux neutrinos, l'explosion de l'étoile se produit juste à temps pour qu'ils soient sauvés.


(illustration)


Que va-t-il se passer ensuite ? Ces atomes se grouperont en molécules et en cristaux. La matière nouvelle va pour un temps refroidir et errer dans l'espace, puis les jeux de la gravitation en amasseront de nouveau une partie.

De nouvelles étoiles vont se former. À proximité de ces étoiles, d'autres amas se formeront. Trop petits pour se mettre eux-même à briller, ils se placeront en orbite autour de leur étoile. C'est ce que l'on nommera des planètes.


(illustration)


Sur l'une au moins de ces planètes, l'évolution ne s'arrêtera pas là. Rendus possibles par la présence de tous ces atomes lourds, produits de l'activité des étoiles anciennes, des jeux d'associations vont se faire entre les molécules, qui pourront conduire jusqu'à la petite scène dont nous parlions au début. Vous êtes vous-même, comme tout ce qui vous entoure, constitués d'atomes de nombreuses sortes. Votre hydrogène vous vient directement du Big Bang. Tout le reste de vos atomes a été assemblé au cœur des étoiles qui ont précédé notre Soleil.


Nous sommes tous poussière d'étoiles(4).


Bien sûr, l'histoire n'a pas été aussi simple. La vie, telle que nous la connaissons, a nécessité bien d'autres transformations, bien d'autres jeux tout aussi impressionnants. Mais ceci est une autre histoire…



« Patience, patience,

Patience dans l'azur !

Chaque atome de silence

Est la chance d'un fruit mûr ! »

– Paul Valéry.


Message 2, par Iota

§ Posté le 26/07/2013 à 20h 52m 51

J'arrive un peu après la bataille, mais étant donné que c'est plus ou moins mon domaine (sans prétention aucune, j'ai encore beaucoup de choses à apprendre moi aussi), je me permets d'apporter quelques précisions.


Les photons qui nous accompagnaient depuis le début sont maintenant devenus si froids et si calmes qu'ils n'interagissent plus.


On ne peut pas vraiment parler de température d'un photon, puisque la température est une notion statistique liée à la vitesse des particules (on parle d'agitation thermique). Or un photon voyage à la vitesse de la lumière. Par contre, en observant le spectre de tous ces photons (en gros en comptant les photons en fonction de leur longueur d'onde), on est en accord (en fait, l'écart entre l'observation et le modèle est l'un des plus faibles que l'on connaisse) avec ce que l'on appelle le spectre du corps noir, auquel on peut associer une température d'environ 2,7 K (soit -270 °C environ).


Le refroidissement a en fait été celui de la matière dans laquelle baignaient les photons, et qui jusqu'à lors était « opaque » (elle absorbait et réémettait sans arrêt ces photons, qui ne pouvaient donc pas aller bien loin). Au moment où la matière est devenue transparente, les photons émis on pu s'échapper, et ce sont eux que l'on observe.



Ces photons émis par l'agitation des particules deviennent bientôt assez énergiques pour venir à bout de la force électrique qui relie les protons aux électrons. Ceux-ci se mettent alors à errer seuls, aux côtés des noyaux, sans que les couples ne puissent se former.


En fait, l'agitation thermique des électrons et des nucléons suffit à ioniser (libérer les électrons) les atomes.



Au cœur de cette étoile, les particules sont tellement agitées que la force électrique, qui, par la répulsion qu'elle provoque entre eux, empêche deux protons d'entrer en contact, perd de plus en plus d'importance. Elle finit par devenir négligeable. Les protons entrent de nouveau en contact les uns avec les autres. Les neutrons, qui sont eux aussi présents à cet endroit, font de même. Revoilà des couples qui se forment entre nos nucléons. Lorsque quatre nucléons entrent en contact, ils forment un nouveau noyau d'hélium.


La force électrique ne devient pas négligeable, les particules ont simplement suffisamment d'énergie pour vaincre la répulsion. De même que si on y met suffisamment de force, on peut réussir à faire se toucher deux aimants qui se repoussent (ce n'est pas exactement la même force, mais l'idée est la même).


À ce stade-là, le nuage de gaz qui s'effondre par gravitation pour donner naissance à une étoile est majoritairement constitué d'hydrogène, donc il y a très peu de neutrons. Les neutrons se forment par collision d'un électron et d'un proton. Dans tous les cas, dès que la température atteint environ dix millions de degrés, les noyaux d'hydrogène fusionnent pour donner des noyaux d'hélium.



Puis ce sont le néon, l'oxygène, puis le silicium qui commencent à fusionner. Tout le groupe des métaux se forment, puis tous les éléments que nous avons classés dans le Tableau Périodique, jusqu'à l'un des plus lourds d'entre eux, l'Uranium.


En pratique, la fusion successive des atomes s'arrête au fer, les suivants étant trop instables pour subsister. Une fois que la fusion s'est arrêtée, il n'y a plus rien qui puisse empêcher le cœur de l'étoile de s'effondrer. Si l'étoile est suffisamment massive, cet effondrement est tellement violent que le cœur se transforme en un objet plus massif et beaucoup plus compact, sur lequel le reste de l'étoile vient « rebondir », ce qui crée une violente onde de choc : l'étoile explose, et c'est ce qu'on appelle une supernova (en fait, il existe d'autres types de supernovæ, celle-ci est qualifiée de type II).

Message 3, par Elzen

§ Posté le 27/07/2013 à 12h 41m 13

Merci bien 😊


'fectivement, je connaissais un peu moins le sujet à l'époque et j'avais déjà simplifié l'explication, donc rajouter des précisions est très loin d'être une mauvaise idée. J'avais déjà rajouté quelques notes depuis ; mais les points que tu indiques sont importants aussi ^^

(Suite au décès inopiné de mon précédent serveur, je profite de mettre en place une nouvelle machine pour essayer de refaire un outil de blog digne de ce nom. J'en profiterai d'ailleurs aussi pour repasser un peu sur certains articles, qui commencent à être particulièrement datés. En attendant, le système de commentaires de ce blog n'est plus fonctionnel, et a donc été désactivé. Désolé ! Vous pouvez néanmoins me contacter si besoin par mail (« mon login at ma machine, comme les gens normaux »), ou d'ailleurs par n'importe quel autre moyen. En espérant remettre les choses en place assez vite, tout plein de datalove sur vous !)