§ Posté le 31/12/2017 à 21h 34m 31
J'invoquais, dans un précédent article, l'effet nocebo, contrepartie négative de l'effet placebo, comme explication la plus vraisemblable des troubles comme l'électrosensibilité. Mais c'était à la fin d'un article dont ce n'était pas le sujet, ce qui fait que je n'ai clairement pas assez expliqué à mon goût. Que les effets soient positifs ou négatifs, ce type d'effet est pourtant quelque chose de suffisamment impressionnant pour mériter son article dédié.
Or, il se trouve que j'ai demandé récemment quel genre de sujets vous aimeriez me voir aborder ici, et que fflorent m'a suggéré d'aborder l'homéopathie. Et que l'homéopathie est un très bon exemple d'effet placebo. J'ai donc décidé de traiter les deux, mais chacun dans son article pour gérer un peu mieux les différents aspects. Et vous trouverez par ici le jumeau de celui-là.
Commençons par le début : il n'est pas rare, sur pas mal de sujets, d'entendre ce fameux « tout ça, c'est dans ta tête ». Mais combien de personnes savent, au juste, l'énorme quantité de choses ce qui se passent dans nos têtes ?
Prenons par exemple nos sens : nous disposons d'un certain nombre d'organes sensoriels chargés de récupérer des données, mais c'est notre cerveau qui se charge de l'interprétation de ces données. Contrairement à l'appellation courante de « trompe-l'œil », la plupart des illusions d'optique ne trompent absolument pas l'œil lui-même : c'est le cerveau qui est embrouillé dans sa tentative d'interpréter les informations, correctes, qu'il reçoit.
Le mécanisme le plus connu par lequel notre cerveau interagit avec le reste du corps est sans doute le système nerveux : les nerfs répartis partout servent à remonter les informations (dont notamment la douleur) vers le cerveau(1), mais également à contrôler nos muscles(2).
Mais le cerveau n'intervient pas que pour ça dans la vie du corps. Il gère également la production des hormones, des messagers chimiques qui transitent cette fois par le sang, et qui interviennent dans nombre des fonctions du corps (par exemple, l'ovulation).
Ce qui se passe « dans nos têtes » ne s'y limite donc pas, et peut avoir des effets tout ce qu'il y a de plus physico-chimiques sur le reste de nos corps. Et cela, sans pour autant que notre conscience soit impliquée : la conscience n'est qu'une toute petite partie de l'activité cérébrale.
C'est dans ce cadre que joue l'effet placebo. Ses mécanismes précis (comme beaucoup d'autres choses dans le fonctionnement de notre cerveau) sont encore loin d'être parfaitement connus (la dopamine semble y jouer un rôle important), mais ses effets ont été largement observés et documentés : le simple fait d'administrer un traitement, même lorsque celui-ci est totalement ineffectif par lui-même, peut suffire à provoquer une gamme d'effets divers.
Et il ne s'agit pas de certaines personnes qui seraient plus influençables que la moyenne, ou quoi que ce soit de ce style : en l'état actuel des connaissances, tout le monde est concerné à peu près de la même manière. Notre intelligence, notre niveau d'études, notre facilité à accepter que l'effet placebo fonctionne, etc., ne rentrent absolument pas en ligne de compte.
D'autres facteurs jouent, en revanche, comme l'assurance de la personne qui administre ce traitement, sa forme exacte (une piqûre semble provoquer davantage d'effet placebo que la prise d'une pilule, par exemple), son aspect (la couleur du liquide pour les piqûres, par exemple)…
Cet effet étant connu et omniprésent, la médecine moderne le prend bien évidemment en compte : pour qu'un médicament soit considéré comme efficace(3), il faut que les tests réalisés sur de véritables patient⋅e⋅s prouvent qu'il apporte un effet supérieur à celui obtenu par effet placebo.
Pour cela, on mène des études statistiques sur un certain nombre de patient⋅e⋅s volontaires, qui sont répartis en plusieurs groupes de taille équivalente. L'un de ces groupes, appelé « groupe témoin », reçoit un « médicament » ne contenant aucun principe actif(4)(5), et qui est donc « un placebo », tandis que les autres reçoivent différents dosages du produit testé.
Chaque groupe, naturellement, ignore lequel de ces différents produits lui a été administré, pour ne pas risquer de fausser l'expérience. Et l'on observe généralement des améliorations de l'état des patient⋅e⋅s y compris dans le groupe témoin : la seule chose qui peut jouer dans ce cas est l'effet placebo, et celui-ci semble avoir en moyenne autour de 30% d'efficacité pour améliorer l'état des personnes concernées (quoique cela soit assez variable, et puisse avoir bien plus d'effets dans certains cas. On avoisine par exemple les 60% pour un traitement dédié à diminuer les vomissements dans les cas de chimiothérapie, en complément donc d'un traitement ayant une efficacité propre pour autre chose(5), pour en diminuer les effets secondaires).
Si les autres groupes montrent une amélioration supérieure (et, tant qu'à faire, d'autant plus efficace que le dosage est élevé), alors le produit testé est considéré comme un médicament efficace (mais il faudra tout de même vérifier quels effets secondaires il entraîne. En médecine comme ailleurs, tout est affaire de balance bénéfices-risques).
Les homéopathes, puisque c'est à ce sujet que j'écris cet article, opposent généralement à cette méthode leur principe d'individualisation : on ne pourrait pas tester leur méthode de cette manière, car faire des groupes indifférenciés ne tiendrait pas compte du principe d'individualisation propre à leur discipline.
Cette objection ne tient toutefois pas la route : des tests de ce type sont effectués pour déterminer l'effet d'un traitement en fonction d'autres catégories, telles que par exemple la tranche d'âge, sans que ça ne pose le moindre problème. Il suffit de bien faire les groupes en amont (groupes témoins et groupes expérimentaux pour chaque catégorie visée).
Des tests de ce type ont d'ailleurs été menés par des homéopathes rigoureux : dans la section sur l'homéopathie de son livre Au cœur de l'extra-ordinaire, Henri Broch mentionne par exemple une étude réalisée entre 1937 et 1939 pour le Ministère de la Santé allemand par l'homéopathe Fritz Donner (sous contrôle d'un pharmacologue et d'un interniste)(6).
Notons d'ailleurs que poser des critères rendant impossible toute évaluation de ce type, par exemple en individualisant à outrance, revient simplement à rendre la théorie irréfutable, ce qui, de fait, lui ôte toute valeur scientifique (même si, en fait, ça ne marche pas si bien que ça, puisqu'il y aurait tout de même quelque chose à tester, voyez dans l'autre article).
Précisons par ailleurs (et cela invalidera au passage une autre objection courante au sujet du placebo) que ce type de tests n'est pas spécifique à l'être humain adulte : on peut également réaliser les mêmes tests avec groupe témoin et groupes expérimentaux chez les animaux ou chez les bébés. Et observer un effet placebo même dans ce cas. Si si.
L'affirmation peut paraître surprenante quand on envisage les choses en se limitant à notre conscience. Mais, je vous l'ai dit : notre cerveau fait bien plus que ça, et l'effet placebo est gérée par son activité « automatique », ce qui est sans doute pour beaucoup dans le fait que ça fonctionne globalement aussi bien chez tout le monde(7).
Dans le cas des bébés et des animaux, il semble que l'effet soit déclenché par les changements de comportements, si infimes soient-ils, des humain⋅e⋅s adultes qui s'occupent d'eux(8). Ne négligeons donc pas l'intérêt des fameux « bisous magiques »
Et même pour les patient⋅e⋅s testés lors des études statistiques, ces changements de comportements trop légers pour être consciemment perçus peuvent influer. C'est la raison pour laquelle les tests sont effectués en double-aveugle : les médecins qui administrent le traitement et vérifient l'état de santé obtenu ensuite ignorent quel groupe est le groupe témoin et quels autres ont quel dosage, afin d'éviter de donner sans le vouloir des indications aux patient⋅e⋅s qui pourraient influer. Ce n'est qu'ensuite, et par d'autres personnes, que les résultats obtenus sont réassociés aux traitements prescrits.
Alors, oui, l'effet placebo est quelque chose de très puissant. De même que son corollaire négatif, l'effet nocebo. Des cas ont été référencés pour lesquels un traitement sans effet propre, puisque constitué uniquement de sucre, a pu provoquer des effets aussi impressionnants que des hallucinations, et même des dépendances (avec effets de manque pendant le sevrage).
Toute substance (y compris, donc, les granules homéopathiques, réputées « soigner sans effet secondaire ») peut avoir des effets négatifs même sans action propre particulière sur notre corps. Nous ne devrions d'ailleurs pas en être surpris⋅es outre mesure, puisque notre imaginaire collectif connaît plutôt bien un cas pour lequel quelque chose qui n'a pas d'effet biologique direct peut avoir des répercutions avérées sur notre santé : le stress.
Dans le cas de l'électrosensibilité, il est fort probable que le stress et la fatigue engendrées par notre vie quotidienne (le peu d'envie de recevoir un appel malgré le téléphone en permanence dans la poche, par exemple) soit pour beaucoup dans les symptômes ressentis. En tout cas, je l'ai déjà dit, les tests en double-aveugle effectués jusque là n'ont jamais mis en évidence d'effets véritablement liés aux ondes Wi-Fi, ou quoi que ce soit de ce genre.
Pas plus d'ailleurs qu'elles n'ont mis en lumière un quelconque effet positif propre de l'homéopathie : toutes les expérimentations sérieuses menées jusque là montrent que les effets d'un traitement homéopathique sont absolument indissociables de ceux dus à l'effet placebo.
Le niveau de certitude est d'ailleurs ici assez élevé, puisque les études sur ce sujet ont été assez nombreuses et menées de manière indépendantes les unes des autres. Plusieurs méta-analyses, récentes ou non, regroupant et comparant les résultats de nombreuses expérimentations arrivent toutes à la même conclusion.
Compte tenu de l'ensemble de ces résultats, la seule manière de conclure qu'un produit homéopathique aurait un effet sur la santé serait de postuler qu'il parviendrait, dans le même temps, à inhiber l'effet placebo en même temps, pour pouvoir retomber sur les mêmes résultats. Ce qui n'est, a priori, pas totalement délirant : il existe des méthodes pour diminuer l'effet placebo.
Mais une telle supposition reviendrait à multiplier les hypothèses gratuites pour expliquer quelque chose qui peut l'être aussi bien de manière beaucoup plus simple : c'est alors contraire au principe de parcimonie(9), et donc aux règles du jeu de la démarche scientifique. Et de toute façon, ça n'aurait pas grand intérêt, le résultat final étant le même.
Peut-on en conclure que l'homéopathie est une bonne manière de traiter l'électrosensibilité ? Pourquoi pas, après tout. D'une manière générale, à titre personnel, tout ce qui est susceptible d'avoir un effet positif sur vous peut être intéressant à tenter, tant que cela ne se fait pas au détriment de traitements dont l'efficacité propre est objectivement avérée. C'est peut-être un des seuls cas où les petites superstitions peuvent servir à quelque chose(10).
Le souci, discuté dans l'autre article, réside dans le fait de faire reposer une partie de la santé publique (et, plus généralement, une partie de la façon dont on fait société) sur une forme d'obscurantisme. Il est préférable, au contraire, de permettre à chacun⋅e de faire ses choix en toute connaissance de cause, en appuyant les choix politiques sur des données solides.
La bonne nouvelle, pour ça, est que ça n'affectera pas tant que ça les résultats : il est prouvé que l'effet placebo peut fonctionner même si l'on a conscience du fait qu'il est le seul facteur en jeu (ce qui n'a rien de vraiment surprenant, puisqu'encore une fois, il est géré par le mode automatique, non-conscient, de notre cerveau).
Une conclusion plus intéressante (pour faire autre chose que répéter celle de l'autre article) serait de souligner que, comme je le disais au début, nous sommes encore loin de connaître tous les détails de la façon dont l'effet placebo fonctionne.
Ce qui ne nous empêche pas de l'utiliser, comme on a su fabriquer de l'Encre de Chine (j'en parle en note à côté) quelques millénaires avant de comprendre comment la gomme arabique permet au noir de fumée de rester en solution dans l'eau.
La science est une aventure passionnante et qui pourra solliciter nos esprits pendant encore très longtemps : dans tous ses domaines, dont la médecine fait partie, nous sommes loin de connaître la majorité de ce qu'il y a à savoir.
Et les progrès que nous faisons chaque jour dans ces différents domaines permettent de mieux soigner nos malades autant que de mieux connaître notre univers.
Ce n'est que d'autant plus motivant pour continuer à travailler
Extraits musicaux dans la version audio (par ordre de première apparition pour les usages multiples) : Ponyo sur la falaise : Deep Sea Ranch (spéciale dédicace à Ailyn), C'est grave, docteur ?, par Maloh, Au bal masqué, par la Compagnie Créole, Comédie, par Alain Souchon (et Jane Birkin), Zombie, par The Cranberries, Ça plane pour moi, par Plastic Bertrand, Le poinçonneur des Lilas, par Serge Gainsbourg, La Bohème, par Charles Aznavour (oui, ce sont les mêmes morceaux que dans l'autre article, mais les extraits utilisés sont différents)