La marée : une histoire de Lune ?

…ou comment l'astronomie se mêle de nos baignades.

Message 1, par Elzen

§ Posté le 19/10/2014 à 21h 42m 22

« Les marées sont dues à la Lune », nous dit-on. Certes, mais encore ?

Comme le souligne fort justement Robert L. Wolke dans son excellent Ce qu'Einstein disait à son coiffeur,

À chaque fois que quelqu'un déclare pompeusement que les marées sont causées par la Lune, tout le monde murmure : « Ouais, d'accord », et s'en va pas plus avancé qu'en arrivant.

« C'est la Lune » est un peu facile, car une explication complète nécessite beaucoup plus de détails.

Je n'ai cependant pas commencé cet article pour simplement recopier les explications que vous trouverez, au milieu de pas mal d'autres sur des tas de sujets passionnants, dans cet excellent livre ; aussi, souffrez que je vous explique ça à ma façon.


Au début, cela commence par ce que l'on appelle l'attraction(1) gravitationnelle, l'une des forces fondamentales de notre univers, qui permit de calculer la masse de notre Terre, qui était déjà la vedette de la seconde partie de la naissance de notre Univers. Mais nous n'aurons pas besoin de remonter aussi loin pour parler de la marée.

Comme Newton nous l'a apprit, grâce à l'attraction gravitationnelle, la matière attire la matière(2). Or, notre Terre et notre Lune sont toutes deux faites de matières, et par voie de conséquence, s'attirent mutuellement. Et il n'y a d'ailleurs pas qu'elles en jeu : le Soleil autour duquel tourne notre planète est de la partie également.

Commençons donc par là.


Nicolas Copernic, Giordano Bruno et Galileo Galilei se sont autrefois demandés – ce qui a à l'époque valu quelques ennuis au dernier et plus encore au second(3) – si ce n'était pas la Terre qui tournait autour du Soleil plutôt que l'inverse, comme on le croyait depuis Aristote(4).

Bon, en réalité, si on veut vraiment détailler, ce n'est complètement ni l'un, ni l'autre : c'est le couple Terre-Soleil qui tourne autour de son centre de masse. Mais le Soleil est largement plus volumineux et plus massif que la Terre, à un point tel que le centre de masse du couple Terre-Soleil se trouve à l'intérieur du Soleil, pas extrêmement éloigné du centre de ce dernier.

Donc, on peut continuer de considérer que la Terre tourne autour du Soleil, ça fait une bonne approximation. De même qu'on considérera que c'est la Lune qui tourne autour de la Terre, bien qu'un phénomène du même genre ait lieu pour elles aussi.

La Terre ressent donc l'attraction de ces deux astres. Elle ressent également celle des sept(5) autres planètes de notre système solaire, mais celles-ci sont trop peu massive et trop éloignées pour avoir une influence notable, aussi contentons nous de la Lune et du Soleil.

Ce dernier est énormément plus massif que la Lune, mais il est également terriblement plus éloigné. Or, l'attraction gravitationnelle augmente proportionnellement à la masse, mais diminue proportionnellement au carré de la distance : notre Soleil, si massif soit-il, est trop loin pour jouer ici les premiers rôles, et c'est pour cela que c'est surtout à la Lune que l'on pense pour expliquer les marées.

Nous allons donc nous concentrer d'abord sur la façon dont la Lune seule agit sur nos mers et océans, et nous verrons ensuite ce que ce Soleil y change.


Si nous faisons abstraction de tout le reste, donc, nous n'avons que la Terre et la Lune. Comme la Terre tourne sur elle-même, la partie d'elle-même qu'elle présente à la Lune change au cours du temps. Mais à une vitesse somme toute assez modérée : elle fait un tour complet en un jour (c'est même comme ça qu'on définit le jour(6)).

Si on fige les choses à un instant précis, la Lune est donc d'un côté et d'un seul. Il y a donc, à cet instant, une partie de la Terre qui est précisément « en dessous » de la Lune.

Cette partie se trouve donc plus près de la Lune que tout le reste de notre planète, et est donc davantage attirée par elle. Si cette partie est constituée de liquide(7), comme le sont nos mers et océans, alors ce liquide est susceptible de changer légèrement de forme pour répondre à cette attraction. Et c'est effectivement ce qui se passe : une certaine quantité d'eau va se déplacer pour essayer de se rapprocher le plus possible de cette Lune qui l'attire.

Cet effet est d'autant plus important que la quantité d'eau disponible est grande, c'est pourquoi l'importance de la marée varie en fonction des lieux(8), étant largement plus grande dans les océans que dans les mers (certains lacs de grande taille ont également des petites marées).


Ce déplacement fait donc qu'il y a davantage d'eau à un endroit donné : c'est ce qui nous donne la marée haute. Mais cette eau ne sort pas de nulle part : si elle s'est accumulée à un endroit donné (juste sous la Lune), c'est qu'elle est venue d'ailleurs. Il y a donc, à quelque distance de là, une zone d'où l'eau s'est enfuie : voilà la marée basse.

Si la brusque arrivée d'eau permet aux marins de tous poils de mettre leurs navires à la mer sans risquer de s'échouer, son départ permet de faire apparaître au sec des endroits qui, avant la marée basse, étaient sous les flots.

À certains endroits, ce qui était jusque là une île va donc se trouver atteignable à pieds : c'est ce que l'on appelle une « presqu'île ». Si vous projetez de profiter de la marée basse pour aller vous promener dans l'une d'elles, faites attention : les mouvements de la Terre et de la Lune font que l'eau s'échappe et revient à grande vitesse, plus vite qu'un humain ne marche.

Cela vaut aussi pour les grandes étendues sableuses, comme la baie du Mont Saint Michel, où il vaut mieux s'être mis à l'abris avant que l'eau ne décide de revenir, si l'on ne veut pas se retrouver noyé.


Mais avant de remettre vraiment du mouvement dans tout ça, notons que la Terre présente à la Lune toute sa surface en une journée, c'est-à-dire que la Lune « passe » au dessus de chaque partie de la Terre une fois par jour. Or, vous savez qu'il y a deux marées par jour. D'où vient la seconde ?

Eh bien, c'est aussi à cause de la Lune, mais pour la raison exactement inverse : si elle « tire » plus fort du côté où elle se trouve, elle « tire » moins fort du côté opposé. Dit autrement, l'eau est soumise à une attraction beaucoup moindre quand la Lune est aussi éloignée qu'elle peut l'être, c'est-à-dire de l'autre côté du globe terreste.

Et si l'eau est moins attirée, elle va avoir tendance à s'éloigner, comme tout ce qui tourne autour de quelque chose a tendance à s'en éloigner dès qu'on lui en laisse la possibilité.

C'est ce que l'on appelle « l'effet centrifuge »(9), que vous pouvez constater en fixant un objet à une corde et en le faisant tourner autour de vous : si longue soit la corde, elle va se tendre, parce que l'objet s'éloigne autant qu'il le peut.

Nous avons donc une première accumulation d'eau juste sous la Lune, parce qu'elle y est plus attirée, et une autre diamétralement opposée, parce qu'elle l'y est moins. Les endroits d'où l'eau part pour rejoindre ceux-là sont ceux qui sont situés entre les deux.


Bon, maintenant, remettons nos deux astres en route. Nous voyons alors les deux bourrelets d'eau se déplacer à la même vitesse que la Terre tourne sur elle-même, faisant que nos deux marées hautes et nos deux marées basses vont se succéder au sein d'une même journée.

Ou un peu plus d'une même journée. Car il n'y a pas que la Terre qui tourne : la Lune se déplace elle aussi(10). Et comme ces deux déplacements vont dans le même sens(11), quand la Terre a fait un tour complet sur elle-même, la Lune a un peu avancé, et la Terre doit donc tourner encore un peu pour pouvoir la rattraper.

C'est ce qui fait que l'horaire des marées change d'un jour sur l'autre, prenant approximativement cinquante minutes de retard chaque jour(12).



Prêts à remettre le Soleil dans l'histoire ? Lui aussi attire les eaux de la Terre, de la même façon, mais avec une amplitude plus faible que celle de la Lune, en raison de la distance. L'effet exact de l'influence du Soleil dépend donc de sa position par rapport à celle de la Lune.

Or, la position du Soleil par rapport à celle de la Lune est très facile à repérer : la Lune nous la montre quand nous la regardons.


En effet, vous savez que la Lune n'émet pas elle-même de lumière visible. Si elle nous paraît si brillante, c'est parce qu'elle nous renvoie la lumière qu'elle reçoit du Soleil. La partie éclairée de la Lune nous indique donc où se trouve le Soleil par rapport à elle.

Allez, en attendant un article détaillé sur les phases de la Lune et les éclipses (rappelez-moi de le faire si ça vous intéresse), une explication rapide ici.

Quand le Soleil et la Lune sont du même côté par rapport à la Terre, le Soleil se trouve derrière la Lune, et n'éclaire donc que la partie que nous ne voyons pas : la Lune est presque invisible (en plus, elle passe dans le ciel à peu près en même temps que le Soleil, donc c'est encore plus dur à voir). C'est la nouvelle Lune.

Puis les deux se décalent, et nous voyons une partie de plus en plus grosse de la Lune s'éclairer (on parle de « croissant » quand on en voit moins de la moitié, de « quartier » quand on est à peu près à cette moitié, et quand on en voit plus, on dit que la Lune est « gibbeuse »).

Arrive la pleine Lune : le Soleil est du côté opposé et, comme la Terre est généralement un peu au dessus ou un peu en dessous et ne masque pas toute sa lumière, nous voyons le disque lunaire éclairé entièrement (et à ce moment, ça dure toute la nuit).

Puis le décalage se produit en sens inverse, jusqu'à ce que la boucle soit bouclée et que cela recommence.


En positions de pleine et de nouvelle Lune, le Soleil et elle « tirent » dans la même direction, même si pas forcément dans le même sens(13).

Leurs effets vont donc avoir tendance à s'additionner : l'eau sera d'autant plus attirée de chacun des deux côtés. Les marées hautes seront donc d'autant plus hautes, puisque l'eau sera doublement attirée, et les marées basses seront d'autant plus basses (il faut prendre plus d'eau aux endroits où elle n'a pas envie de rester pour remplir l'endroit où elle va).


En revanche, quand la Lune est en quartier, le Soleil va « tirer » l'eau (d'un côté, et la tirer moins de l'autre, ce qui la fait s'éloigner par effet centrifuge) précisément à l'endroit d'où elle cherchait à s'échapper.

Il va donc avoir tendance à la retenir à cet endroit, et moins d'eau pourra partir des zones de marées basses pour rejoindre celles de marées hautes. Les marées basses seront donc moins basses, puisque l'eau reste sur place, et en contrepartie, les marées hautes seront moins hautes.


Si la Lune est la principale cause de marées, donc, le Soleil est responsable de l'amplitude de celles-ci. Les plus fortes marées n'ayant lieu que lorsque Lune et Soleil travaillent de concert, plutôt que de se tirer dans les pattes.


Notons que la distance entre Terre et Soleil joue ici un rôle important. Or, celle-ci varie légèrement au fur et à mesure des mouvements des corps célestes. La force des marées varie donc au cours du temps, même à configuration identique.

Nous pourrons constater ça le vingt-et-un mars prochain(14), où la configuration céleste nous donnera les plus fortes marées de ce siècle. J'ai, pour ma part, rendez-vous avec l'un de mes rêves de gosse à cette occasion, mais je vous en dirai plus le moment venu.


D'ici-là, que la Lune vous soit favorable 😊 (Et attention à ne pas la décrocher).


(Suite au décès inopiné de mon précédent serveur, je profite de mettre en place une nouvelle machine pour essayer de refaire un outil de blog digne de ce nom. J'en profiterai d'ailleurs aussi pour repasser un peu sur certains articles, qui commencent à être particulièrement datés. En attendant, le système de commentaires de ce blog n'est plus fonctionnel, et a donc été désactivé. Désolé ! Vous pouvez néanmoins me contacter si besoin par mail (« mon login at ma machine, comme les gens normaux »), ou d'ailleurs par n'importe quel autre moyen. En espérant remettre les choses en place assez vite, tout plein de datalove sur vous !)