Considérations écologeekes

Message 1, par Elzen

§ Posté le 06/04/2014 à 21h 14m 35

J'étais, il y a peu(1), au stand numérique du salon Primevère, dédié à l'écologie. La présence d'un stand dédié au numérique alternatif sur ce salon, si elle est encouragée par certains membres du comité d'organisation, fait également polémique, dans la mesure où le public visé, s'il est globalement favorable aux idées revendiquées par le mouvement logiciel libre, est également composé d'une importante proportion de personnes globalement hostiles au numérique.

Ainsi, l'une des conférences proposées cette année au cours du salon traitait de « la face cachée du numérique » : un conférencier manifestement peu à l'aise sur les aspects techniques du sujet(2) a longuement évoqué les questions d'obsolescences technique, mercantique et programmée, la question de la consommation d'électricité du parc informatique mondial, le fait que les ordinateurs sont conçus en utilisant des matériaux rares et peu recyclables, etc.

Comme le soulignait Jérôme Leignadier-Paradon(3), porte-parole du Parti Pirate, ayant assisté à sa conférence, ce dont il parlait est en fait plutôt la « face visible », celle qui fait l'objet de publicité et dont les polémistes de tous poils vont très aisément s'emparer. C'est plutôt le numérique libre, et les réponses qu'il peut apporter à ses problématiques, qui en constituent la « face cachée » ; et le conférencier n'avait simplement pas prévu d'en parler : il a fallu l'intervention de Jérôme et celle de Jean-François Mourgues, président d'Illyse, présent lui-aussi, pour faire arriver sur le tapis le fait qu'il y avait bien des solutions à proposer.

N'ayant pas assisté en personne à cette conférence, je ne peux ici que vous rapporter les propos de mes deux camarades ; et je ne consacrerai donc pas à ce propos une réponse aussi détaillée que celle que j'avais faite l'an dernier à un autre conférencier à Primevère. Mais je pense tout de même pouvoir apporter quelques éléments de réponse aux questions écologiques légitimes qui se posent autour de quelques uns des aspects pour lesquels je m'engage dans ce blog.


Car en effet, le logiciel libre offre une résistance intéressante aux différentes formes d'obsolescence évoquées plus haut.

L'obsolescence mercantique, tout d'abord : il s'agit du fait d'être vivement incités à abandonner une version d'un produit dès lors que la version suivante est parue, alors même que l'ancienne version pouvait encore fournir de bons et loyaux services pendant un certain temps.

Au niveau logiciel, passer d'une version à l'autre ne devrait pas poser problème. Le soucis, c'est lorsque changer de version logicielle oblige à changer de matériel, conséquence d'une sorte de verrouillage que j'ai déjà évoqué ici.

Le logiciel libre n'est, généralement, pas lié de façon irrémédiable au support sur lequel on le fait tourner. Si vous avez pu installer un système libre sur un matériel donné, vous pourrez normalement y installer les versions ultérieures.

Cependant, il arrive parfois que le matériel ne soit plus capable de faire tourner les versions récentes du logiciel, pour des changements d'architecture, ou parce que celui-ci est devenu trop gourmand en ressources. C'est le problème de l'obsolescence technique.

Le logiciel libre apporte encore une réponse à ce problème en supportant beaucoup plus d'architectures que n'en supporte habituellement le logiciel privatif(4), et en n'ayant pas grand intérêt à la fuite en avant dans l'utilisation des ressources.

Certains systèmes libres, comme toutoulinux, sont même spécialisés dans le fait de faire tourner des ordinateurs plutôt anciens et pas très puissants.

Bien sûr, tout à une limite, et certains ordinateurs sont véritablement obsolètes. Et ce d'autant plus en considérant l'obsolescence programmée, c'est-à-dire les dispositif intégrés par certains fabriquants de matériels pour faire en sorte que leurs machines tombent en panne au bout d'un certain temps (dans le but d'inciter les gens à en racheter).

Le logiciel libre en lui-même n'y apporte pas de réponse. Mais les communautés autour du logiciel libre y travaillent parfois. On peut citer, notamment, le cas de Jerry, un modèle d'ordinateur fabriqué à partir de matériel de récupération.


Dans un autre registre, ce que j'ai mentionné dans un autre article concernant l'importance de ne pas confondre Web et Internet a également certains impacts écologiques.

En effet, offrir des interfaces Web pour faire tout et n'importe quoi a un effet non-négligeable sur la consommation, puisque cela rajoute une couche de communication supplémentaire : en utilisant une interface Web, au lieu d'accéder directement au service d'origine sur son protocole dédié, nous nous adressons à un service intermédiaire, qui va effectuer cet accès à notre place et nous renvoyer le résultat par un autre moyen.

Cela demande donc davantage de traitements, donc une consommation énergétique plus importante.

De même, aux problématiques habituelles du « cloud computing » s'ajoute le fait que, si nos données ne sont pas sur nos ordinateurs personnels, alors nous avons besoin de lancer des requêtes sur le réseau pour y accéder, ce qui, la encore, à un coût qui n'est pas négligeable.

Le journal l'âge de faire consacrait son numéro de mars au numérique libre, et j'ai eu la bonne surprise d'y trouver une tribune de Michael Uplawski traitant de ces deux points. Je vous retranscris cet article ci-dessous, en remerciant une fois encore l'auteur de m'avoir autorisé à le faire.


Mais j'irai plus loin encore : la centralisation possède un autre effet problématique quant à la consommation de ressources.

Je ne sais pas exactement à combien de machines s'élève, par exemple, le parc informatique de Google, mais il est certain que c'est un nombre très élevé. C'est nécessaire, pour canaliser le nombre encore plus impressionnant de visiteurs utilisant leurs services(5).

Plus le nombre de demandes auprès d'un système central est élevé, plus ce système central doit être puissant pour répondre à cette charge (c'était, souvenez-vous, l'une des raisons pour lesquels les systèmes centralisés auraient dû être abandonnés au profit d'une organisation distribuée). Or, la puissance se traduit par une consommation énergétique beaucoup plus importante.

Un petit serveur, devant gérer un faible nombre de connexions, peut fonctionner de façon très économe. Benjamin Bayart soulignait, dans sa plus célèbre conférence, qu'un téléphone portable, ancien modèle(6), était plus qu'amplement suffisant pour gérer l'envoi et la réception de courrier de la plupart des gens. Pour un petit site Web recevant une centaine de visites par jour, un ordinateur très basse consommation, comme un raspberry pi, est amplement suffisant.

On pourrait imaginer que l'auto-hébergement généralisé, soit un serveur tournant en permanence dans chaque foyer, représenterait une surconsommation assez importante. Pourtant, si cela conduisait à couper les services des gros centraliseurs, cela représenterait au contraire très probablement une économie, car la somme des consommations de petites machines gérant un trafic raisonnable aurait toute les chances d'être inférieure à ce que consomment ces énormes parcs de machines.

Et ce d'autant plus que le serveur personnel pourrait également remplacer ces « box » que les fournisseurs d'accès commerciaux nous proposent et que peu de gens pensent à éteindre quand ils ne s'en servent pas.


Tout ça est essentiellement une question de connaissances : la plupart des gens n'ont de l'informatique qu'une vision très superficielle, ne sachant pas grand chose des services qu'ils utilisent, ni de la façon dont tourne leur machine.

Arthur C. Clarke, auteur de science fiction, avançait que toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie ; et c'est malheureusement loin d'être inexact. Mais je veux partir du principe que la magie, ça peut s'apprendre (et donc, cesser d'être magique) : ce que j'ai pu apprendre à maîtriser, je fais le pari que d'autres le peuvent aussi. Cela demande du temps, bien sûr ; mais ce n'est pas nécessairement un privilège inaccessible au commun des mortels.

Mon blog est essentiellement dédié au partage de connaissances. Et je crois que, pour ce qui concerne la technologie, partager les connaissances est un bon moyen d'éviter certaines situations aberrantes.


Je vais prendre, à ce sujet, un exemple découlant lui aussi de quelques rencontres ayant eu lieu au salon Primevère, et sur lequel je relaie également les paroles de Jérôme et de Jean-François : celui des ondes électromagnétiques(7).

L'idée que ces ondes puisse être dangereuses commence à être plutôt pas mal ancrée, et le mouvement de rejet des antennes, qui avait débuté il y a plus de vingt ans pour des raisons esthétiques, se base aujourd'hui principalement sur cet hypothétique danger.

Une chose importante à comprendre au sujet de ces antennes est pourtant que les effets dépendent de la puissance d'émission : plus l'antenne est forte, plus les ondes émises vont être susceptibles d'affecter les gens dans leur zone d'effet.

Or, la conséquence immédiate du mouvement de rejet de ces antennes est de conduire ceux qui les posent à en mettre de moins en moins, et donc à devoir augmenter considérablement leur puissance pour couvrir la même zone d'effet. Ce qui conduit donc à une élévation des risques.

Au contraire, multiplier les antennes de très faible puissance permettrait d'améliorer la qualité du réseau tout en diminuant grandement les risques d'affectation.

La question de la position de ces antennes est également à prendre en compte. Il arrive par exemple que les occupants d'un immeuble refusent d'avoir une antenne sur leur toit, sans être dérangé outre mesure par la présence d'antennes sur les toits voisins.

Or, il faut savoir que les antennes sont orientées de telle sorte qu'elles émettent très peu d'ondes à la verticale. Les personnes situées juste sous l'antenne sont donc celles qui risquent le moins d'être affectées par ses effets.

Je ne suis pas spécialiste, et je n'ai pas l'intention de m'étaler plus longuement sur le sujet ; mais il me semble que c'est un bon exemple du fait qu'en informatique comme ailleurs, il est nécessaire de s'approprier les sujets pour pouvoir adopter un comportement responsable, tant sur le plan écologique que sur les autres.


Je terminerai cet article sur un point sans grand rapport avec ce qui précède : celui de la consommation de papier.

Dans le cadre de ma thèse, j'ai à étudier un certain nombre d'articles scientifiques (ma bibliographie compte actuellement une cinquantaine de références, et il ne s'agit là que des papiers que j'ai retenu comme potentiellement utiles pour mes travaux). J'estime à vue de nez que leur taille moyenne est de dix à quinze pages chacun.

Tous ces documents sont sur mon disque dur, et je les ai étudié en les lisant à l'écran. De la même façon que j'ai lu énormément de documents, comme par exemple les articles de blogs que je cite un peu partout, ou les quelques (dizaines de ?) milliers de mails que j'ai reçu dans ma vie.

Il a fallu, certainement, pas mal d'électricité pour me permettre de lire tout ça. Mais combien d'arbre aurait-il fallu abattre pour que je puisse lire tout ça sur papier ? Combien aurait consommé la production de ce papier, et l'impression(8) du contenu dessus ?

Je suis un fan inconditionnel du livre papier, que je préfère de très loin aux « liseuses ». Mais je ne crois pas que tout soit destiné à être figé sur papier ; et je pense que pas mal de choses peuvent, sans difficulté, n'exister que sur disque dur et n'être lisibles que sur écran.

Il me semble que le numérique, lorsqu'il est utilisé à bon escient, peut ne pas être un problème, en ce qui concerne l'écologie. Peut-être même est-il susceptible d'apporter quelques solutions.


Message 2, par Elzen

§ Posté le 06/04/2014 à 21h 14m 36

Comme mentionné dans l'article, je recopie ici l'intervention de Michael Uplawski parue dans le journal L'âge de faire de mars 2014 :

Oui, Internet peut être écologique

Informaticien, originaire d'Allemagne, « en transition définitive » depuis environ trois ans, je suis assis entre deux chaises : d'un côté, le militantisme pour « le Libre », représenté par des associations comme l'April ou « Framasoft » (www.framasoft.fr). De l'autre côté, l'agroécologie de l'ancienne définition, selon Pierre Rabhi et Nature & Progrès. Les disputes pour ou contre l'informatique sont à la fois éclairantes et énervantes : personne ne comprend rien, tout le monde confond tout. C'est énervant de voir comment deux luttes pour les mêmes idéaux semblent produire de nouvelles guerres de tranchées plutôt que des synergies. Quand on m'explique que les serveurs qui hébergent tel ou tel service Internet gaspillent trop d'énergie, j'explose. Dans les années 90, on était arrivé à un point où des économies d'énergie étaient réalisées grâce à la communication par Internet. Je ne suis pas convaincu que l'informatique ait un avenir, et pour une diversité de raisons.

Mais je sais qu'une utilisation raisonnée des outils informatiques et de l'Internet est possible et apportera aux divers mouvements écologiques des immenses avantages et ouvre des possibilités inexistantes sans eux.

Pour donner un exemple : « normalement », le service mail ne fait pas partie des applications « web », qui sont hébergées quelque part et accessibles depuis les ordinateurs privés. Le mail est « normalement » envoyé d'un ordinateur et reçu par un autre ordinateur. Malheureusement, pour des raisons nombreuses et diverses, les utilisateurs d'aujourd'hui ne comprennent plus ce service. En choisissant des services « web-mail », ils obligent les hébergeurs non seulement à tenir accessibles leurs serveurs 24h/24 et 7j/7, mais également à fournir, chaque fois qu'un mail est lu, tout le contenu de chaque mail. Les transferts se multiplient, et les machines sont obligatoirement plus performantes que ce que nécessitent les protocoles du mail.


Des protocoles aux besoins plus modestes

Entre temps, une multitude de services, se basant tous sur les mêmes protocoles du web, ont été inventés, chacun nécessitant le même mode de fonctionnement inutile. Les gens qui argumentent que Facebook est « pratique » ne savent pas ce que « pratique » veut dire, car il leur manque la connaissance d'alternatives.

Avant que des entreprises ne commencent à installer leurs offres sur le Web, on a eu d'autres protocoles, qui permettaient la distribution d'informations, ponctuellement, à demande, et moyennant des systèmes plus simples et plus modestes en besoin d'énergie.

Je finis avec les moteurs de recherche. Aujourd'hui, il existe un système (Seeks, par exemple sur seeks.fr) qui permet d'organiser les recherches entre utilisateurs sans qu'une base de données centralisée, sous contrôle d'un seul administrateur ou entreprise, ne soit consultée. Ce sont les ordinateurs actuellement connectés qui échangent les recherches et les réponses.

Alors, comment faire ? Ne faites pas ce que vous ne comprenez pas. Renseignez-vous, améliorez vos connaissances des outils, même si vous avez déjà fait vos choix. C'est dans ce contexte que je recommande une consultation du site de Framasoft.

D'abord, quels sont vos buts ? Qu'est-ce que vous souhaitez réaliser avec l'Informatique ? Avez-vous suivi le conseil d'un ami ou celui d'un informaticien ? Avez-vous consulté les sites Internet dédiés à votre outil ou service préféré ? (Et pourquoi pas ?) Ou est-ce qu'il vous suffit de constater que « Google c'est pratique », que l'interface de votre fournisseur mail est juste ce qu'il faut, que vous avez vos habitudes et c'est bon ? Avez-vous cherché des alternatives et fait des comparaisons ?

Pour rebondir sur son propos concernant les moteurs de recherche, je vous renvoie à cet article que j'avais réécris il y a peu.

Message 3, par Frog_Boche

§ Posté le 07/04/2014 à 10h 54m 59

Merci pour la page.


Mon nom est une fois correctement écrit et une fois pas : Je m'apelle *Michael Uplawski*. ;-)

C'est silésien (?), car mon père y était né en 1920. Pour la même raison, c'est Allemand...


Allez, on écoute les réponses.., j'ai ditribué l'URL.


À plus.

Message 4, par Elzen

§ Posté le 07/04/2014 à 10h 58m 11

Désolé pour la coquille ^^" C'est corrigé.


J'en profite pour signaler que Jérôme m'a indiqué faire quelques illustrations pour expliciter un peu plus la partie sur les ondes, je les rajouterai ici dès que possible 😉


Merci pour la diffusion 😊

Message 5, par Elzen

§ Posté le 25/04/2014 à 23h 11m 02

Illustration sur les ondes


Pour illustrer les quelques explications sur les ondes présentes à la fin de cet article, Jérôme m'a fait parvenir cette image, dont voici la source au format XCF. Si vous voulez la réutiliser, elle est sous licence CC-by, l'auteur à citer étant bien sûr Jérôme Leignadier-Paradon.


Par ailleurs,

Citation (moi-même, dans l'article)

Je ne sais pas exactement à combien de machines s'élève, par exemple, le parc informatique de Google, mais il est certain que c'est un nombre très élevé.

Lors des 15e Journées du Logiciel Libre, il y a deux semaines, Pierre-Yves Gosset, de Framasoft, a abordé ce point au cours d'une conférence.

Les chiffres les plus récents qu'il a trouvé à ce sujet dataient de 2010, et mentionnaient 1,4 millions de machines répartis sur 60 datacenters. Se basant sur l'évolution au cours des années précédentes, il estime leur parc actuel aux alentours de deux millions de machines, dans 80 datacenters. Effectivement, cela a de quoi consommer.

(Suite au décès inopiné de mon précédent serveur, je profite de mettre en place une nouvelle machine pour essayer de refaire un outil de blog digne de ce nom. J'en profiterai d'ailleurs aussi pour repasser un peu sur certains articles, qui commencent à être particulièrement datés. En attendant, le système de commentaires de ce blog n'est plus fonctionnel, et a donc été désactivé. Désolé ! Vous pouvez néanmoins me contacter si besoin par mail (« mon login at ma machine, comme les gens normaux »), ou d'ailleurs par n'importe quel autre moyen. En espérant remettre les choses en place assez vite, tout plein de datalove sur vous !)